Le maintien et le renforcement, au fil des semaines, des protestations au Myanmar malgré l’intensification de la répression de l’État s’inscrivent dans une tendance plus générale des mouvements de résistance d’acquérir un soutien international en faisant se retourner contre elle la violence des autorités. Inspirée d’autres mouvements de résistance dans le monde, la campagne contestataire contre le coup d’État qui a renversé le gouvernement élu d’Aung San Suu Kyi au Myanmar émule maintes stratégies de résistance non-violente qui ont porté fruit en parvenant à accroître suffisamment la pression domestique et internationale sur un gouvernement répressif afin de le renverser ou du moins, l’obliger à faire certaines concessions.
Le Canada et d’autres pays alliés ont condamné l’usage de la violence par les forces armées du Myanmar contre les protestataires non-violents. Le département américain du Trésor a indiqué en mars dernier qu’il imposerait des sanctions à des membres de la junte, dont le chef de la police qui agit en coordination avec les militaires pour réprimer les manifestants. Le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a également incité la communauté internationale à s’engager dans une condamnation plus ferme des actes répressifs de la junte contre la population. L’ancien premier ministre australien, Kevin Rudd, a même appelé à une intervention du Conseil de sécurité. Si le mouvement contestataire au Myanmar continue ainsi de prendre de l’ampleur et qu’il maintient une discipline non-violente, on peut s’attendre à un engagement plus soutenu de la part d’États démocratiques, dont le Canada, pour faire cesser les violences et assurer la restauration d’un gouvernement démocratiquement élu, en ayant notamment recours à davantage de sanctions économiques contre la junte militaire.
L’indignation internationale vis-à-vis de violences perpétrées contre des manifestants est toutefois généralement tributaire de la nature non-violente d’une campagne de résistance. Par la terreur qu’elle suscite, l’intensification de la répression de l’État contre les protestations au Myanmar risque à tout moment de rompre la discipline non-violente du mouvement et de diminuer le nombre de protestataires prêts à braver les violences étatiques. Comment faire alors en sorte de maintenir une pression suffisante sur un gouvernement répressif tout en conservant une stratégie de résistance non-violente plus susceptible de convaincre les audiences internationales de la légitimité des revendications et de la nécessité d’intervenir ?
Une stratégie de résistance en permanente adaptation
Le mouvement protestataire au Myanmar a usé d’un large éventail de tactiques non-violentes dont les objectifs sont entre autres d’inciter les populations locales à rejoindre la rue ainsi que d’attirer l’attention internationale sur le conflit, tout en accentuant la pression sur le régime militaire en place.
Pour prévenir des irruptions et des arrestations massives, les protestataires ont notamment mis sur pied un réseau de vigiles civils dont le rôle est d’alerter l’arrivée des militaires à l’aide de casseroles qu’on entrechoque pour signaler le danger. L’utilisation de casseroles comme outil de contestation de l’autorité politique fait partie du répertoire d’actions généralement mobilisé par les mouvements non-violents, une méthode entre autres éprouvée lors du printemps étudiant de 2012 au Québec et dont la capacité à réunir un plus large public au sein de la mobilisation avait été auparavant démontrée lors des manifestations contre la répression politique du régime Pinochet au Chili. Le mouvement protestataire au Myanmar a également fait preuve d’ingéniosité en usant de codes culturels locaux visant à la fois à élargir la contestation à d’autres pans de la société et à pousser les forces policières à faire défection. Des vêtements de femme ont par exemple été pendus au-dessus des rues pour protéger les manifestants des charges policières puisque passer sous eux est traditionnellement perçu comme pouvant porter malheur aux hommes – une stratégie qui n’a toutefois pas empêché les militaires d’utiliser des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des grenades assourdissantes pour disperser les manifestants.
La force du mouvement protestataire au Myanmar est donc de faire preuve de flexibilité en adaptant ses tactiques de résistance aux actions répressives qui sont mises en place pour contrer la dissidence, faisant alors en sorte d’exercer une pression complexe et diffuse sur le régime. Le mouvement est également parvenu à intégrer dans ses rangs plusieurs groupes sociaux dont les intérêts et revendications divergent habituellement, une diversité dans la mobilisation qui constitue généralement un élément crucial du succès des campagnes de résistance non-violentes. Plusieurs groupes au sein du mouvement de résistance se sont d’ailleurs rassemblés au sein d’un Comité général de grève des nationalités, ce qui a permis une meilleure coordination des actions militantes sur l’ensemble du territoire.
En limitant ses tactiques de résistance à des actions non-violentes, le mouvement restreint également la capacité du régime à légitimer les mesures répressives qu’il met en place aux yeux de la communauté internationale. L’objectif des protestataires est donc d’imposer un coût de réputation à la junte si elle décide d’utiliser la violence contre une opposition pourtant non-violente et dont les revendications politiques font échos aux normes internationales les plus susceptibles d’engager des acteurs étrangers dans le conflit. La littérature scientifique sur le sujet a effectivement exposé l’avantage qu’implique la non-violence en ce qui a trait aux perceptions des audiences internationales, notamment parce que la non-violence serait perçue comme une forme moins extrême de résistance et faciliterait ainsi les concessions politiques. De plus, le mouvement d’opposition s’est efforcé de faire appel à la responsabilité de protéger de l’ONU lorsqu’un État n’assure pas la protection de sa population, en érigeant entre autres des banderoles et des boucliers sur lesquels on pouvait lire « R2P ». Ici encore, les protestataires ont donc usé de références au régime normatif international afin que les actions violentes vis-à-vis des protestataires aient pour conséquence d’affaiblir la junte et que la répression politique engendre un effet boomerang en insufflant un nouveau souffle à la mobilisation.
La fragile position du Canada
Le cas du Myanmar illustre l’influence du système international sur les pratiques des mouvements de résistance. L’établissement d’un réseau mondial d’activistes préconisant les méthodes non-violentes de résistance a permis la propagation au niveau global du succès de certaines campagnes non-violentes. Plusieurs États, dont le Canada, ont démontré une sensibilité particulière vis-à-vis de mouvements de résistance non-violents, et ont souvent diminué leur soutien à ces mouvements lorsque ces derniers ont eu recours à des tactiques violentes. Dans ses énoncés condamnant le coup d’État et la répression du régime, le Canada a mis de l’avant l’usage de la non-violence par les protestataires. Justin Trudeau a personnellement critiqué les actions répressives de la junte militaire. Ottawa participe de fait au cadrage du conflit, ce qui affecte la capacité subséquente de la junte à légitimer la répression. Le Canada exerce par le fait même une pression normative sur les mouvements protestataires afin qu’ils usent de certaines tactiques de résistance au détriment d’autres.
Les manifestations contre le coup d’État qui a renversé le gouvernement élu d’Aung San Suu Kyi ont jusqu’à maintenant fait preuve d’une remarquable résilience et d’une forte capacité à maintenir la discipline non-violente malgré des restrictions et des réponses de plus en plus extrêmes de la part des militaires. Cependant, plusieurs médias ont rapporté des cas récents d’escalade de la violence entre les protestataires et la police. Des protestataires ont également annoncé leur intention d’abandonner les tactiques non-violentes et de s’armer pour contrer la répression de plus en plus brutale du régime. Plusieurs études ont démontré que les mouvements de résistance civile qui joignent les tactiques non-violentes à des actions violentes, comme les affrontements de rue avec la police actuellement observés, tendent à diminuer leur capacité à atteindre leurs objectifs de changement politique. La radicalisation potentielle du mouvement vers la violence risque également d’intensifier la répression étatique, voire de préparer le terrain pour une situation encore plus catastrophique telle qu’observée en Syrie où les manifestations non-violentes réprimées ont finalement abouti à une guerre civile.
En somme, une radicalisation du mouvement d’opposition à la junte militaire pourrait compliquer la position du Canada qui devra dès lors se distancer d’un mouvement aux actions de résistance plus extrêmes, de façon à réaffirmer l’importance pour le Canada d’une résolution pacifique du conflit et du retour d’un gouvernement démocratiquement élu. D’autre part, le soutien du Canada au mouvement protestataire a ouvert la porte à d’ultérieurs engagements. Ainsi, le Burmese Canadian Action Network (BCAN) a envoyé une lettre au premier ministre Justin Trudeau et au ministre des Affaires étrangères Marc Garneau les incitant urgemment à dépêcher des ressources matérielles en soutien à la population du Myanmar en plus de reconnaître officiellement le Comité représentant l’Assemblée de l’Union qui rassemble les représentants élus aux élections de novembre 2020.
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