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Le 1er août dernier, le président américain Joe Biden annonçait l’élimination, la veille, du dirigeant de l’organisation terroriste Al-Qaïda, Ayman Al-Zawahiri, dans la capitale afghane, Kaboul. En déclarant que justice avait ainsi « été rendue (justice has been delivered) », le président Biden s’inscrivait dans la continuité de ceux qui, avant lui, Donald Trump, Barack Obama et George W. Bush, avaient vu dans les éliminations de dirigeants d’organisations terroristes jihadistes, une forme de justice. À quel ordre de justice est-il ici fait référence ?
Dire qu’une chose est juste peut correspondre à plusieurs ordres distincts. Comme le souligne la chercheuse de l’Institut français de relations internationales Amélie Férey, les éliminations ciblées de dirigeants terroristes sont traditionnellement présentées sous quatre régimes de justification : historique, légal, stratégique et moral. Deux me semblent ici particulièrement pertinents dans le traitement de l’élimination d’Ayman Al-Zawahiri : le légal et le moral. Une première approche a ainsi saisi la justice de cette élimination dans un sens procédural. Y est juste ce qui respecte les normes et cadres établis. Cela est rappelé sans équivoque par Hans Kelsen dans « Qu’est-ce que la justice ? », « un homme est juste si son comportement est conforme aux normes d’un ordre social supposé juste ». La justice y est ici entendue au sens de légalité. Mais dans une autre conception, plus philosophique, la justice de la frappe peut renvoyer plutôt à un ordre supérieur désirable, où est juste ce qui œuvre au bien commun, au progrès, à l’amélioration générale des conditions de coexistence entre êtres humains, parfois au détriment des normes établies. La justice, dans cette seconde conception, y est entendue au sens de moralité ou de légitimité. Dans la majorité des cas, ces deux ordres sont compatibles. Dans certains cas néanmoins, une chose moralement juste peut être illégale et inversement.
Les toutes premières lectures, principalement universitaires, de l’élimination d’Ayman Al-Zawahiri se sont utilement penchées sur sa licéité, suivant une lecture procédurale de la justice. Par opposition, sur le plan politique aux États-Unis, les discours entourant cette élimination semblent avoir prioritairement envisagé la moralité de cette élimination. Fait-elle avancer le bien commun et apporte-t-elle des effets désirables, jugés justes ? Ce second type de discours se décline en deux volets distincts. Un volet utilitariste d’abord. L’élimination y est jugée morale, car elle aurait une utilité sociale et contribuerait au bien commun futur en diminuant, préventivement, la menace. Un pendant rétributiviste appartenant davantage au registre transcendant ensuite. L’élimination peut aussi y être jugée morale, car elle permet d’assouvir une vengeance légitime.
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Marie Robin (@Marie_Robin_) est docteure en science politique de l’Université Paris Panthéon-Assas et de l’Université du Sud-Danemark. Elle est actuellement post-doctorante au Centre Thucydide de l’Université Paris Panthéon-Assas, où elle coordonne les activités du pôle « études stratégiques » et est l’une des co-éditrices du Rubicon. Ses recherches doctorales ont analysé les valeurs stratégiques des discours de vengeance proposés par Al-Qaïda, l’État islamique et Boko Haram. Elle a récemment publié dans l’Annuaire français de relations internationales et dans le Handbook of Terrorism Prevention and Preparedness.
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