Si les tensions liées au partage inégal des charges au sein de l’OTAN sont presque aussi anciennes que l’alliance elle-même, les « profiteurs » n’ont jamais été autant critiqués que depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Pendant la campagne électorale, Trump a déclaré sans ambages que Vladimir Poutine pouvait « faire tout ce qu’il voulait » avec les pays de l’OTAN qui ne respectaient pas leurs engagements en matière de dépenses. Bien qu’il n’ait pas réitéré cette remarque depuis son entrée en fonction, son administration a clairement indiqué que les alliés devaient se mobiliser et respecter leurs obligations.
Il est important de noter que Trump n’est plus le seul à faire pression pour une augmentation des dépenses. Les alliés d’Europe de l’Est, qui se sentent le plus directement menacés par l’agression russe, ont commencé à se faire l’écho de cette demande. La Pologne et l’Estonie, par exemple, ont publiquement approuvé l’objectif de 5 % dès janvier 2025. Le Premier ministre polonais Donald Tusk a clairement exprimé cette frustration en déclarant qu’« à l’heure actuelle, 500 millions d’Européens supplient 300 millions d’Américains de les protéger contre 140 millions de Russes ». De même, le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, plaide en faveur d’un nouvel objectif de dépenses pour l’OTAN depuis le début de son mandat, avertissant que l’objectif de 2 % n’est plus suffisant pour relever les défis sécuritaires à venir.
À l’approche du sommet de l’OTAN à La Haye, la dynamique s’accélère en faveur d’un objectif de dépenses plus ambitieux, susceptible de dépasser le seuil actuel de 2 % du PIB. Un nouveau seuil de 5 % est envisagé, comprenant environ 3,5 % de dépenses directes de défense et 1,5 % supplémentaires pour soutenir les infrastructures et les besoins plus larges en matière de sécurité.
Pour les profiteurs traditionnels de l’OTAN, l’issue est claire : les budgets de défense devront augmenter, et rapidement. Mais l’augmentation des dépenses militaires dans un délai aussi court s’accompagne de défis politiques, institutionnels et logistiques complexes. La Belgique, notre propre pays, a commencé à prendre des mesures dans ce sens et, ce faisant, a mis en évidence le type de frictions et de contraintes auxquelles d’autres pays, comme le Canada, pourraient bientôt être confrontés.
Le deuxième choc a-t-il réveillé la Belgique ?
La réélection de Trump marque le deuxième choc majeur pour les alliés de l’OTAN en moins de trois ans. Le premier s’est produit le 24 février 2022, lorsque les troupes russes ont franchi la frontière ukrainienne. Cette invasion a déclenché une vague de « prises de conscience » géopolitiques et de déclarations de Zeitenwende à travers l’Europe. Mais le choc a eu des effets inégaux au sein de l’alliance.
Les pays les plus proches de la Russie, dont beaucoup investissaient déjà massivement dans leurs armées, ont considérablement augmenté leurs budgets de défense. Les États baltes visent désormais à consacrer 5 % de leur PIB à la défense dans un avenir proche. La Pologne a augmenté ses dépenses de défense de 2,7 % en 2022 à 4,2 % en 2024, et d’autres augmentations sont prévues. Les pays d’Europe du Nord ont également augmenté leurs investissements et ont commencé à (ré)introduire des approches globales de « défense totale ». À l’autre extrémité du spectre se trouvent les « profiteurs » de l’OTAN : les alliés qui ne consacrent qu’une fraction de leur PIB à la défense. Beaucoup d’entre eux n’ont procédé qu’à des ajustements modestes après l’agression de la Russie contre l’Ukraine en 2022, restant loin de l’objectif de 2 %.
Notre propre pays, la Belgique, fait partie de ces profiteurs obstinés. Dans les cercles politiques belges, on dit souvent que nous sommes « le pire élève de la classe de l’OTAN ». Bien qu’elle héberge le siège de l’Alliance, la Belgique n’a pas respecté ses engagements depuis longtemps. L’année dernière, elle n’a consacré que 1,2 % de son PIB à la défense, soit une augmentation de seulement 0,2 point de pourcentage par rapport à 2022. De plus, le gouvernement précédent ne visait à atteindre l’objectif de 2 % fixé par l’OTAN qu’en 2035. La Belgique se retrouvait ainsi à la traîne derrière d’autres pays traditionnellement peu performants comme l’Espagne, l’Italie et le Canada, qui s’étaient tous engagés à respecter la norme des 2 % au plus tard en 2030. Il est clair que la guerre en Ukraine n’a pas entraîné de véritable changement dans la politique de défense belge.
La Belgique était peut-être vraiment le « plus mauvais élève » de l’OTAN. Mais peu après le retour de Trump à la Maison Blanche, la Belgique a également mis en place un nouveau gouvernement. Cette coalition s’est engagée à mettre fin à ce que le ministre de la Défense Theo Francken a qualifié de « période de honte nationale ». L’accord de coalition visait initialement à atteindre l’objectif de 2 % d’ici 2029, avançant ainsi l’échéance de six ans. Puis, en mars, le gouvernement a de nouveau révisé son calendrier, annonçant qu’il atteindrait déjà cet objectif cette année.
Est-ce le changement de gouvernement qui a finalement poussé la Belgique à agir ? Cela a certainement donné une impulsion, mais cela ne peut être la seule explication. Trois des quatre partis de la coalition faisaient déjà partie du gouvernement précédent. Le seul nouveau venu est la N-VA, un parti nationaliste flamand de centre-droit qui détient désormais le portefeuille de la défense. Mais cela ne constitue pas une rupture décisive avec le passé : la N-VA faisait déjà partie du gouvernement après le sommet du Pays de Galles en 2014 et détenait même le ministère de la Défense pendant une période de baisse des budgets. Il semble plutôt que ce soient les tensions transatlantiques croissantes qui aient donné l’impulsion finale. Après tout, des pays comme l’Espagne et l’Italie se sont également engagés récemment à atteindre l’objectif de 2 % cette année. Quelle que soit la cause précise, le club des resquilleurs européens pourrait enfin être en train de se réduire.
Les défis liés à l’augmentation rapide des dépenses militaires
Le gouvernement belge s’est engagé à atteindre la norme de 2 % des dépenses de défense fixée par l’OTAN d’ici la fin de l’année. Si la réalisation de cet objectif peut s’avérer insuffisante à terme, elle pose déjà des défis considérables. Ceux-ci ne feront que s’intensifier si l’objectif est revu à la hausse.
Le premier défi est simple : comment financer de manière durable l’augmentation des dépenses de défense ? La création d’une marge de manœuvre budgétaire est un dilemme auquel tous les alliés de l’OTAN sont confrontés lorsque la nécessité d’augmenter les budgets de défense se fait sentir. Comme nous l’avons souligné dans une récente note d’orientation pour l’Institut royal des relations internationales d’Egmont, notre enquête auprès d’experts en sécurité nationale à travers l’Europe a révélé une grande diversité de stratégies budgétaires. L’Allemagne, la France et la Pologne ont principalement recours à l’endettement, une solution à court terme qui reporte les décisions structurelles. La Suède et les Pays-Bas ont opté pour des réaffectations budgétaires, tandis que les États baltes, confrontés à des menaces plus importantes, se sont montrés plus disposés à augmenter les impôts.
La Belgique, pour sa part, s’est principalement appuyée sur des mesures temporaires pour atteindre l’objectif de 2 % fixé par l’OTAN d’ici 2025. Cela comprend 1,2 milliard d’euros provenant des taxes sur les bénéfices des actifs russes gelés détenus chez Euroclear, un dividende unique de 500 millions d’euros versé par la banque publique Belfius, 125 millions d’euros provenant de la reclassification de dépenses existantes en dépenses liées à la défense, et environ 2 milliards d’euros de prêts, qui ne sont pas inscrits au budget ordinaire suite à la décision de la Commission européenne d’assouplir les règles budgétaires de l’UE. S’appuyant principalement sur des mesures provisoires à court terme, la Belgique reste confrontée à un défi budgétaire structurel. Avec un déficit budgétaire préexistant important et une dette publique représentant 107 % du PIB, le maintien d’une augmentation des dépenses de défense nécessitera des décisions politiquement douloureuses.
Ces décisions politiquement douloureuses ne seront pas faciles à prendre, étant donné que les dépenses de défense n’ont jamais été une priorité pour le public ou les élites politiques belges, principalement en raison de la position géopolitique de la Belgique. Située au cœur de l’Europe et entourée de nations amies, la Belgique se sent moins exposée à la menace d’une Russie renaissante que les pays d’Europe de l’Est. Même aujourd’hui, il n’existe aucun consensus entre les partis au pouvoir sur le dépassement du seuil de 2 %. Les chrétiens-démocrates flamands et wallons semblent tous deux opposés à cette idée. Le président des chrétiens-démocrates flamands a déjà déclaré que 2 % devrait être la limite maximale, tandis que le ministre wallon des Affaires étrangères, Maxime Prévot, souhaitait former une « coalition des réticents » pour s’opposer à l’objectif de 3,5 % ou 5 % fixé par l’OTAN.
Un troisième défi, souvent négligé, consiste à dépenser efficacement les nouveaux budgets alloués à la défense. Les pays qui ont tardé à augmenter leurs investissements dans la défense se retrouvent désormais en queue de peloton en matière d’approvisionnement. D’autres, qui ont agi plus tôt, ont déjà obtenu des créneaux de production pour des systèmes critiques. Des pays comme la Belgique doivent faire face à des contraintes en matière de capacité industrielle de défense, un problème que l’UE commence à traiter en augmentant la production et en mettant en place des incitations industrielles.
Les défis liés à la fin du parasitisme : les leçons tirées de l’expérience belge
L’engagement récent de la Belgique à atteindre l’objectif de 2 % cette année souligne à la fois l’urgence et les défis importants que représente l’augmentation rapide des dépenses militaires. Le Canada se trouve dans une situation similaire, avec une marge de manœuvre budgétaire limitée et une dette publique dépassant 100 % du PIB. Pour atteindre et maintenir des dépenses de défense plus élevées, il faudra prendre des décisions politiquement difficiles, qu’il s’agisse de réductions des dépenses, d’augmentations d’impôts ou d’investissements financés par l’endettement.
En Belgique, les choix budgétaires structurels ont été largement reportés. Le pays s’est appuyé sur des mesures temporaires pour atteindre l’objectif de 2 %. Ces solutions provisoires peuvent suffire à court terme, mais elles éludent le débat politique crucial sur l’intégration des dépenses de défense dans la planification budgétaire à long terme. Aux obstacles budgétaires existants s’ajoute l’absence de perception d’une menace forte parmi le grand public. Cela pourrait rendre plus difficile le maintien du soutien de la population à l’augmentation des dépenses de défense. Même lorsque la volonté politique et le financement sont alignés, les pays qui ont tardé à adopter cette approche, comme la Belgique et le Canada, se heurtent à des difficultés pratiques.
L’expérience de la Belgique offre des enseignements précieux : un espace budgétaire limité exige une planification structurelle à long terme, le soutien du public ne peut être tenu pour acquis et les goulets d’étranglement industriels ne se résoudront pas d’eux-mêmes. Pour se débarrasser de l’étiquette de « profiteur », il ne suffit pas d’augmenter les dépenses, il faut les maintenir, les justifier et les utiliser efficacement.
À propos des auteurs
Michelle Haas est doctorante à l’Institut d’études internationales et européennes de Gand.
Tim Haesebrouck est professeur adjoint à l’Institut d’études internationales et européennes de l’Université de Gand, en Belgique.
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