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Le 23 février 2025, les citoyens allemands seront appelés aux urnes pour des élections fédérales anticipées, un événement plutôt rare dans l’histoire politique du pays, marquant seulement la quatrième dissolution précoce du Bundestag depuis la Seconde Guerre mondiale. Initialement prévues pour septembre 2025, ces élections résultent de l’effondrement de la coalition gouvernementale dirigée par le chancelier Olaf Scholz.
Depuis son arrivée à la chancellerie en 2021, Scholz a gouverné presque entièrement dans un contexte de crise internationale marqué par la guerre en Ukraine. L’invasion russe de février 2022 a provoqué un Zeitenwende, un tournant stratégique qui a contraint Berlin à revoir sa posture en matière de défense et de sécurité. Sous pression interne et de ses alliés, Scholz a annoncé un fonds spécial de 100 milliards d’euros pour moderniser la Bundeswehr et renforcer le soutien militaire à Kyiv.
Le Zeitenwende a conduit à une augmentation du budget de la défense et au lancement de nouvelles commandes d’équipements. Toutefois, son impact demeure limité en raison de lourdeurs bureaucratiques, d’une industrie de l’armement inadaptée aux besoins actuels et de l’absence d’un réarmement effectif de la Bundeswehr. Parallèlement, si l’Allemagne a renforcé son soutien à l’Ukraine et accéléré sa diversification énergétique, elle peine encore à résorber les insuffisances capacitaires de son armée et à définir une stratégie cohérente face aux menaces russes et chinoises.
Au niveau politique, la gestion du conflit par la chancellerie a suscité des critiques, tant au sein de sa coalition qu’auprès de l’opposition, notamment chez les conservateurs de la CDU/CSU et les Verts, qui plaident pour une approche plus robuste. La ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, membre des Verts, a estimé que ce conflit marque « la fin de la retenue allemande en politique étrangère et de sécurité », tandis que Christian Lindner, membre du FDP, a lui parlé d’un « réveil brutal ».
L’éclatement de la coalition « feu tricolore » en novembre 2024 s’inscrit dans une double crise, à la fois interne et géopolitique. Arrivé en tête aux élections de 2021 avec 25,74 % des suffrages, le Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD) n’a pas obtenu de majorité absolue, une situation courante lors des élections fédérales allemandes, et a dû s’allier aux Verts (14,75 %) et au Parti libéral-démocrate (FDP, 11,45 %). Mais cette alliance fragile n’a pas résisté aux tensions croissantes, exacerbées par des désaccords sur la politique économique, la transition énergétique et l’engagement militaire de l’Allemagne.
La situation atteint un point de rupture en novembre 2024 lorsque Scholz limoge Christian Lindner, ministre des Finances et chef du FDP, entraînant l’implosion de la coalition. Privé de majorité, Scholz soumet une motion de confiance le 11 décembre 2024, rejetée cinq jours plus tard. Le président Frank-Walter Steinmeier dissout alors le Bundestag le 27 décembre 2024, fixant les élections anticipées au 23 février 2025.
Ces élections revêtent une importance stratégique pour l’Allemagne, l’Europe et leurs alliés. Cet article examine le soutien militaire de l’Allemagne à l’Ukraine dans ce contexte électoral. Il commence par démontrer l’ampleur du Zeitenwende et des défis qu’il soulève, puis retrace l’évolution de l’engagement allemand envers l’Ukraine depuis 2014, avec une attention particulière à l’accélération du soutien après 2022. Il examine ensuite les positions des principaux partis sur ces enjeux et leur vision du rôle de l’Allemagne dans le conflit. Enfin, il envisage les perspectives postélectorales, en évaluant les scénarios de coalition et les ajustements stratégiques potentiels, notamment en lien avec les relations transatlantiques et le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.
L’Allemagne face au Zeitenwende
L’invasion à grande échelle de l’Ukraine en février 2022 a constitué un choc majeur pour l’Allemagne. Après sept décennies de retenue en matière de politique de défense, le déclenchement d’une guerre conventionnelle en Europe a profondément marqué les élites politiques à Berlin et l’opinion publique.
Il faut comprendre le contexte dans lequel la politique de défense allemande s’est développée dans la période de l’après-Seconde Guerre mondiale. L’adhésion de la République fédérale d’Allemagne (RFA) à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en 1955, rendue possible par les accords de Paris de 1954, s’était accompagnée de strictes limitations sur l’usage de la force, interdisant toute intervention militaire extérieure. Par la suite, la réunification allemande, officialisée en 1991 à la suite du traité de Moscou de 1990, a entraîné une réduction significative des effectifs et de militaires. Les forces armées ont connu d’importantes transformations au cours des décennies suivantes. L’abolition de la conscription en 2011, suivie d’une réforme structurelle entre 2011 et 2012, a conduit à une réduction du nombre de soldats et de bases militaires.
Février 2022 constitue une véritable césure dans la façon dont le gouvernement et la société allemande comprennent leur environnement stratégique. Pour Olaf Scholz, « Nous vivons un tournant historique. Cela signifie que le monde d’après ne sera plus le même que celui d’avant. » Une analyse partagée par le chef des FDP et ministre des Finances, Christian Lindner, qui souligne que « La guerre en Ukraine nous réveille tous d’un rêve complaisant ». Ce changement est sans doute le plus marqué chez les Verts, comme l’illustre la déclaration d’Annalena Baerbock, ministre des Affaires étrangères : « Aujourd’hui marque peut-être la fin de la retenue particulière de l’Allemagne en matière de politique étrangère et de sécurité ».
Ce virage s’est aussi opéré au sein de la société allemande. Les récents sondages d’opinion révèlent que la majorité des Allemands perçoivent désormais la Russie comme une menace à leur sécurité. Une proportion significative de la population considère que le gouvernement russe représente un risque pour les intérêts nationaux. Ainsi, 66 % des répondants estiment que la Russie constitue une menace pour la stabilité économique et la sécurité de l’Allemagne, tandis que 54 % jugent que le soutien à l’Ukraine relève de l’intérêt national allemand.
Malgré ces préoccupations relatives à l’agression russe, la population allemande demeure divisée quant à l’intensification du soutien militaire à l’Ukraine. Seuls 44 % des citoyens y sont favorables, contre 47 % qui expriment une opinion contraire. De même, l’envoi de missiles Taurus bénéficie d’un soutien restreint, avec seulement 36 % d’opinions favorables. Toutefois, 45 % des répondants estiment que l’Ukraine devrait être autorisée à utiliser des armes occidentales pour frapper des cibles en Russie, ce qui constitue l’un des principaux points de débat concernant les livraisons de missiles Taurus.
Depuis le début du conflit, le soutien à l’Ukraine tend à s’éroder progressivement. L’analyse segmentée des tendances d’opinion indique une diminution du groupe le plus favorable à l’aide depuis octobre 2023, tandis que les segments affichant davantage de scepticisme à l’égard de cette assistance connaissent une légère progression. Cette évolution témoigne d’un essoufflement du consensus en faveur d’un engagement militaire, économique et humanitaire accru en faveur de l’Ukraine.
Cet essoufflement rejoint certains discours au sein du SPD plus réticent à une escalade du conflit et au risque d’engagement allemand dans la guerre, mais aussi de tendances plus isolationnistes ou prorusses à l’extrême droite (AfD) et antimilaristes à gauche (Die Linke et BSW).
L’engagement allemand dans la guerre en Ukraine
À la suite de l’annexion illégale de la Crimée et des actions militaires dans le Donbass en 2014, l’Allemagne s’est affirmée comme un acteur diplomatique majeur dans la gestion de la crise ukrainienne. Sous l’impulsion de la chancelière conservatrice Angela Merkel, Berlin a contribué à l’instauration du format Normandie, réunissant l’Ukraine, l’Allemagne, la France et la Russie, et a joué un rôle central dans la conclusion des accords de Minsk II. Parallèlement, l’Allemagne a contribué à l’élaboration des sanctions européennes contre Moscou, tout en condamnant fermement les actions russes.
Toutefois, cette implication diplomatique contrastait avec des limites structures en matière de défense. En raison de sa dépendance énergétique à la Russie, Berlin s’est abstenue d’annuler le projet Nord Stream, révélant une approche ambivalente vis-à-vis de Moscou. De plus, la Bundeswehr faisait face à des déficiences capacitaires majeures, compromettant son aptitude à répondre aux enjeux stratégiques européens.
Un rapport de la Commissaire parlementaire aux forces armées, publiée en 2018, soulignait que seulement une minorité des équipements militaires était alors en état de fonctionnement : 27 à 30% des avions de chasse, 20% des avions de transport, 22% des hélicoptères de transport, 19% des hélicoptères d’attaque, 47% des chars d’assaut, 38% des frégates et aucun sous-marin. Un rapport du ministère de la Défense publié à la même période soulignait également le manque de vêtements et de tentes, compromettant la participation des soldats allemands aux missions de l’OTAN.
Ainsi, malgré son rôle diplomatique de premier plan dans la gestion de la crise ukrainienne de 2014 au début 2022, l’Allemagne présentait une capacité militaire réduite, illustrant un décalage persistant entre son engagement international et sa préparation stratégique.
Lors de la formation de la coalition gouvernementale le 8 décembre 2021, l’Allemagne a réaffirmé son engagement à adopter une approche équilibrée entre dialogue et fermeté à l’égard de Moscou. Le programme gouvernemental soulignait la nécessité de relations bilatérales stables, tout en condamnant fermement l’annexion de la Crimée, les violences dans l’est de l’Ukraine et les actions de déstabilisation menées par la Russie. Il stipulait également que toute levée des sanctions restait conditionnée à la mise en œuvre intégrale des accords de Minsk.
L’accord de coalition ne qualifiait pas la Russie de menace à la sécurité de l’Allemagne. En effet, malgré ces tensions, Berlin maintenait une volonté de coopération avec Moscou sur des enjeux d’avenir, notamment dans les domaines de l’hydrogène, de la santé et du climat. Parallèlement, l’Allemagne dénonçait les restrictions imposées aux libertés civiles en Russie et affichait son soutien à la société civile russe, en facilitant notamment la mobilité des jeunes Russes vers son territoire. Sur le plan des exportations d’armements, le gouvernement allemand entendait renforcer les mécanismes de contrôle, tant à l’échelle nationale qu’européenne.
Face à cette montée des tensions à la fin de l’automne 2021, le chancelier Olaf Scholz est toutefois rapidement critiqué pour son approche jugée trop prudente et ambiguë, notamment en raison de son hésitation à suspendre la certification du projet Nord Stream 2. Ce gazoduc cristallise les débats sur la posture allemande vis-à-vis de Moscou.
Le 22 février 2022, alors que la Russie reconnaît unilatéralement l’indépendance de deux régions séparatistes de l’est de l’Ukraine, Scholz annonce finalement la suspension du projet Nord Stream 2. Cette décision marque un tournant dans la politique allemande à l’égard de la Russie et témoigne d’un durcissement de sa position face aux actions de Moscou. Ce changement s’inscrit dans la rupture stratégique annoncée par Scholz le 27 février 2022 lors de son discours du Zeitenwende, qui définit un repositionnement majeur de l’Allemagne en matière de défense et d’engagement dans le conflit russo-ukrainien.
S’adressant au Bundestag, Scholz expose les grandes lignes de cette réorientation à travers différents axes majeurs. L’Allemagne s’engage tout d’abord à soutenir activement l’Ukraine par une aide militaire incluant la livraison d’armements, justifiant cet engagement par la nécessité de défendre les principes de liberté et de démocratie face à l’agression russe. En parallèle, Berlin adopte, en coordination avec l’Union européenne, un régime de sanctions sans précédent visant les institutions financières russes, les entreprises d’État, les exportations de technologies stratégiques, ainsi que les élites économiques et politiques proches du Kremlin.
Sur le plan sécuritaire, l’Allemagne a annoncé renforcer son engagement au sein de l’OTAN, réaffirmant sa détermination à défendre chaque centimètre du territoire allié. Cela se traduit par un déploiement renforcé de troupes en Lituanie, en Roumanie, et en Slovaquie, ainsi que par une sécurisation accrue des espaces maritimes en mer du Nord et en mer Baltique. Dans une perspective plus structurelle, Berlin a entrepris une modernisation substantielle de sa défense nationale. Un fonds spécial de 100 milliards d’euros est alloué à la Bundeswehr pour améliorer ses capacités opérationnelles, notamment en matière d’équipement, de défense aérienne et de cybersécurité. L’Allemagne s’engage également à porter son budget de défense à 2 % du PIB, conformément aux objectifs fixés par l’OTAN, et à renforcer la coopération européenne en matière d’innovation militaire.
Dans le domaine énergétique, Berlin amorce une réorientation stratégique visant à réduire progressivement sa dépendance aux hydrocarbures russes. Cette transition repose sur l’accélération du développement des énergies renouvelables, la construction de terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL) pour diversifier les sources d’approvisionnement et la mise en place d’un plan d’aide économique destiné à atténuer l’impact de la crise énergétique sur les ménages et les entreprises.
Cette transformation ne se fait cependant pas sans tensions et défis. La Zeitenwende, présentée comme un tournant majeur de la politique de défense et de sécurité de l’Allemagne, peine à se concrétiser de manière significative. L’Allemagne tarde notamment à autoriser le transfert de chars Leopard 2 à l’Ukraine, invoquant des considérations juridiques, stratégiques et diplomatiques. Selon la législation allemande, tout pays ayant acquis ces chars doit obtenir l’approbation de Berlin pour les réexporter. Sous pression de la Pologne et de la Finlande, le gouvernement allemand hésite, redoutant une escalade du conflit. Berlin souhaite également que les États-Unis s’engagent à fournir des chars M1 Abrams avant d’envoyer les Leopard 2, afin de garantir une approche concertée. Le 25 janvier 2023, face aux pressions croissantes, l’Allemagne approuve finalement la livraison des chars et encourage les partenaires européens à former les soldats ukrainiens à leur utilisation.
En mai 2023, l’Ukraine sollicite officiellement la livraison de missiles de longue portée Taurus. Toutefois, dès juin 2023, Olaf Scholz et le ministre de la Défense Boris Pistorius indiquent que l’Allemagne ne fournira pas ces missiles. Cette position est réaffirmée en janvier et février 2024 par le chancelier, qui maintiennent leur refus tout en approuvant la livraison d’autres armements à longue portée. Si cette décision est soutenue par une opinion publique favorable à l’aide militaire, mais plus réticente à l’envoi de missiles Taurus, plusieurs partis politiques, dont l’Union CDU/CSU, les Verts et le FDP, plaident pour leur envoi à l’Ukraine.
En parallèle, le manque de clarté du gouvernement sur la finalité de l’aide à l’Ukraine, notamment le refus de livrer les missiles Taurus et l’absence d’un engagement explicite en faveur d’une victoire ukrainienne, a généré des tensions avec ses partenaires. De même, si la diversification énergétique a été réalisée avec une rapidité remarquable, elle s’est accompagnée de nouvelles dépendances, notamment envers le Qatar et l’Azerbaïdjan, tandis que la poursuite de relations économiques étroites avec la Chine soulève des préoccupations quant à la résilience stratégique de l’Allemagne.
De plus, l’incapacité de l’Allemagne à mobiliser efficacement le fonds spécial de 100 milliards d’euros pour la défense illustre très bien les blocages bureaucratiques, les contraintes budgétaires et les tensions politiques qui entravent sa capacité à répondre aux impératifs stratégiques posés par la guerre en Ukraine. Malgré l’annonce du Zeitenwende, la mise en œuvre de ces fonds demeure lente et insuffisante, les principaux équipements militaires – notamment les chasseurs F-35, les hélicoptères et les chars – n’étant pas attendus avant plusieurs années.
De surcroît, une part significative de ces ressources a été affectée à des acquisitions déjà prévues avant 2022, limitant leur impact sur la transformation immédiate des capacités de la Bundeswehr, dont l’état de préparation opérationnelle n’a connu aucune amélioration notable. Par ailleurs, l’inflation et le coût du financement du fonds ont réduit sa valeur réelle, tandis que le budget de la défense reste insuffisant pour garantir un effort de réarmement durable après son épuisement en 2027.
À ces difficultés s’ajoute un manque de consensus au sein de la coalition gouvernementale, qui a conduit à une réduction de moitié de l’aide militaire prévue pour l’Ukraine et à une dépendance accrue à des financements incertains issus des fonds européens ou des avoirs russes gelés. En l’absence d’une stratégie claire et d’une réforme des processus d’acquisition, l’Allemagne apparaît insuffisamment préparée à assumer ses engagements au sein de l’OTAN et à jouer le rôle de puissance militaire que le chancelier Scholz avait promis d’incarner.
Malgré tout, l’Allemagne demeure un acteur important du soutien militaire à l’Ukraine. Elle se classe parmi les principaux pays fournisseurs d’équipements lourds, occupant la deuxième place après les États-Unis. Son engagement comprend la livraison de 175 véhicules de combat d’infanterie (dont 155 déjà livrés), 60 chars (dont 52 livrés), 92 obusiers (34 livrés), 27 systèmes de missiles antiaériens (14 livrés) et 8 lance-roquettes multiples (tous livrés).
Grâce au fonds spécial de 100 milliards d’euros annoncé dès le début de la guerre, l’Allemagne a récemment atteint 2,12 % de son PIB en dépenses de défense, rejoignant d’autres États membres de l’OTAN ayant progressivement augmenté leur budget militaire depuis l’annexion de la Crimée en 2014, puis de manière plus marquée après 2022. En effet, grâce au fonds spécial, l’Allemagne a annoncé dépenser 90.6 milliards d’euros en défense en 2024 (budget de 51.9 milliards d’euros + fonds spécial). Toutefois, ce fonds spécial devrait être épuisé d’ici 2027. Pour maintenir un niveau de dépenses de 2 % du PIB, il faudrait que l’Allemagne alloue annuellement entre 20 et 30 milliards d’euros supplémentaires. Certains experts et responsables politiques plaident pour une augmentation plus substantielle, estimant qu’un budget de défense équivalent à 3 à 3,5 % du PIB—soit environ 120 milliards d’euros par an—serait nécessaire. Or, la part du budget prévu en défense pour 2025 s’élèverait à 53.25 milliards d’euros, représentant une hausse modeste de 1,2 milliard par rapport à 2024.
Dans un contexte marqué par les contraintes budgétaires imposées par la loi de 2009 sur le plafonnement de la dette, Berlin devra identifier des solutions pour garantir un financement soutenu de son effort de défense à long terme. Le chancelier Olaf Scholz s’oppose à une augmentation plus conséquente du budget pour 2025, tandis que le chef de l’Union CDU/CSU rejette l’idée de financer ces hausses par un recours accru à l’endettement. Pour certains experts, le sous-investissement cumulé de l’Allemagne en matière de défense s’élèverait à environ 600 milliards d’euros. Selon la Commissaire parlementaire aux forces armées, il faudrait au moins 300 milliards d’euros pour assurer un état opérationnel complet.
Élection fédérale anticipée en février 2025
Progressivement affaiblie au cours de l’année 2022, la coalition du feu tricolore a vu son soutien s’effriter, étant graduellement dépassée dans les sondages par l’union conservatrice CDU/CSU et par l’AfD, en forte progression. Si les enjeux internationaux n’ont pas provoqué l’effondrement du gouvernement Scholz, James Bindenagel et Karsten Jung soulignent, dans une analyse pour le German Marshall Fund, que l’élection fédérale à venir, le 23 février, déterminera à quel point l’Allemagne prend au sérieux sa réponse au tournant historique provoqué par l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Deux éléments structurants des élections allemandes sont importants à comprendre. Tout d’abord, le mode de représentation mixte du système électoral allemand impose habituellement la formation de coalitions, la CDU/CSU et le SPD dominant historiquement ces alliances avec des partis plus petits comme le FDP ou les Verts. D’autre part, l’exclusion politique de l’AfD demeure une ligne de fracture majeure. Un cordon sanitaire (Brandmauer) a jusqu’ici empêché toute coalition avec l’extrême droite, malgré sa progression électorale. Toutefois, un récent vote commun entre la CDU/CSU et l’AfD au Bundestag constitue une rupture historique, marquant une première forme de coopération parlementaire depuis la Seconde Guerre mondiale.
La CDU/CSU, le SPD, le FDP et les Verts s’accordent sur la nécessité de poursuivre l’aide à l’Ukraine, mais divergent sur son ampleur. Le SPD défend la ligne prudente de Scholz, affirmant que l’Allemagne doit soutenir Kyiv aussi longtemps que nécessaire sans risquer une escalade avec Moscou. Scholz tente de se positionner comme le garant de la paix, mettant en avant sa capacité à éviter un élargissement du conflit, notamment face à Friedrich Merz, leader de la CDU.
La CDU/CSU critique toutefois cette prudence et appelle à une assistance militaire renforcée, notamment par la livraison des missiles Taurus. Le FDP et les Verts soutiennent également une augmentation du soutien militaire, mettant l’accent sur la reconstruction de l’Ukraine et le renforcement de ses infrastructures.
À l’inverse, l’AfD critique le sous-investissement des forces armées, mais s’oppose aux livraisons d’armes, plaidant pour une politique étrangère centrée sur les intérêts nationaux allemands. L’AfD appelle aussi à une éventuelle neutralité de la part de l’Ukraine. Die Linke, bien que critique à l’égard de la Russie, rejette également l’envoi d’armes et préconise une solution diplomatique au conflit, privilégiant des sanctions ciblées contre les proches du Kremlin plutôt qu’un embargo économique généralisé. À l’instar de l’AfD, le nouveau parti populiste de gauche, Bündnis Sahra Wagenknecht (BSW), attribue la responsabilité du conflit à l’OTAN et aux États-Unis et rejette toute aide militaire à l’Ukraine.
Face aux défis posés par la guerre en Ukraine, la CDU/CSU, le SPD, le FDP et les Verts soutiennent une augmentation du budget de la défense. Le SPD s’engage à maintenir un budget d’au moins 2 % du PIB, considérant cet effort comme un élément central de la sécurité européenne. La CDU/CSU insiste sur la nécessité d’un engagement accru et appelle à une modernisation rapide des forces armées. De son côté, le FDP met l’accent sur la nécessité d’une Bundeswehr pleinement opérationnelle et adaptée aux nouvelles menaces.
Les Verts, historiquement pacifistes, défendent aujourd’hui un renforcement durable des capacités militaires. Annalena Baerbock estime que l’Allemagne doit investir de manière stable plus de 2 % de son PIB en défense, tandis que Robert Habeck, candidat des Verts à la chancellerie, appelle à porter cette contribution à 3,5 %.
L’AfD soutient l’amélioration des capacités militaires, mais rejette toute intégration européenne de la défense, prônant une approche strictement nationale et le rétablissement du service militaire obligatoire. Die Linke, à l’inverse, plaide pour une réduction des dépenses militaires et la fin des engagements de l’Allemagne au sein de l’OTAN.
La guerre Russo-Ukrainienne a profondément redéfini le débat sur la politique étrangère et de défense en Allemagne. Si le consensus en faveur du soutien à Kyiv reste majoritaire, des tensions persistent sur l’ampleur de l’aide et les choix stratégiques à venir.
Futur de l’engagement allemand en Ukraine
À la lumière des sondages, aucune formation politique ne semble en mesure d’obtenir une majorité absolue, ouvrant la voie à diverses configurations de coalition. Une grande coalition (Große Koalition, ou GroKo) entre la CDU/CSU et le SPD demeure une possibilité, bien que cette alliance ait été marquée par des tensions par le passé. Une coalition noir-vert, réunissant la CDU/CSU et les Verts, apparaît également envisageable, ces partis partageant des points de convergence sur la gouvernance économique et les politiques environnementales, bien que des divergences subsistent sur les questions sociales et sécuritaires. Une coalition Jamaïque, composée de la CDU/CSU, des Verts et du FDP, reste une autre option, son appellation étant issue des couleurs des partis, qui correspondent à celles du drapeau jamaïcain.
Compte tenu de la nette avance de la CDU/CSU dans les intentions de vote, une coalition orientée à gauche incluant Die Linke semble peu probable, d’autant plus que l’union conservatrice a exclu toute alliance avec ce parti. De même, une collaboration avec l’AfD est exclue en raison du cordon sanitaire appliqué par l’ensemble des partis démocratiques, qui refusent toute coopération avec l’extrême droite. Par conséquent, les négociations postélectorales devraient principalement s’articuler autour des équilibres entre la CDU/CSU, le SPD, les Verts et le FDP. Ainsi, aucun gouvernement ne devrait inclure les trois partis les plus critiques envers le soutien à l’Ukraine, bien qu’ils représentent une part croissante de l’opinion publique.
Trois scénarios de coalition se dessinent, chacun ayant des implications pour la politique allemande de défense et de soutien à l’Ukraine. Une coalition CDU/CSU-SPD poursuivrait l’aide militaire à Kyiv, les deux partis partageant un attachement historique à l’OTAN, pierre angulaire de la sécurité allemande depuis l’intégration de la RFA à l’Alliance atlantique en 1955. La CDU/CSU a toujours défendu un engagement fort au sein de l’Alliance, considérant l’ancrage transatlantique comme essentiel à la sécurité européenne. Le SPD, bien que plus nuancé, a également contribué à la consolidation du rôle de l’Allemagne dans l’OTAN, notamment en appuyant l’élargissement de l’Alliance et en soutenant la transformation de ses missions vers la gestion de crises. Toutefois, des divergences persistent quant à l’ampleur du soutien militaire à l’Ukraine : alors que l’union CDU/CSU plaide pour une assistance renforcée, le SPD, attaché à une approche plus prudente, pourrait modérer certaines décisions, notamment en ce qui concerne la livraison de missiles Taurus, afin d’éviter toute escalade.
Une coalition CDU/CSU-Verts favoriserait un engagement militaire accru envers l’Ukraine et une augmentation des dépenses de défense. Robert Habeck et Friedrich Merz, respectivement chefs de file des Verts et de la CDU/CSU, ont tous deux exercé des pressions sur le gouvernement Scholz pour autoriser l’envoi de missiles Taurus. Une telle coalition marquerait une inflexion majeure de la politique de défense allemande, inscrivant Berlin dans une posture plus affirmée face à Moscou. Cependant, des tensions pourraient émerger sur les questions budgétaires et fiscales, rendant l’équilibre gouvernemental fragile.
Une troisième option serait une reconduction de la coalition du feu tricolore (SPD-Verts-FDP), qui maintiendrait un soutien limité à l’Ukraine, mais resterait marquée par des blocages internes, notamment sur le financement de l’aide militaire et l’augmentation qualitative des livraisons d’armements, perçue comme un facteur de risque d’escalade.
Quel que soit le gouvernement issu des élections, l’influence croissante de l’AfD et du BSW pourrait modifier les dynamiques parlementaires. Ce dernier, nouveau parti populiste, s’oppose à l’aide militaire à l’Ukraine, pourrait franchir le seuil électoral de 5 % et obtenir des sièges au Bundestag. Une montée en puissance de l’AfD et du BSW exercerait une pression supplémentaire en faveur d’une réduction drastique de l’aide militaire, voire d’une ouverture à des négociations avec Moscou. Bien qu’il soit peu probable qu’ils participent à un gouvernement, leur présence au Bundestag pourrait influer sur le débat stratégique.
L’annonce, le 17 février, d’éventuelles négociations entre la Russie et les États-Unis sans la participation de l’Ukraine a suscité de vives réactions en Europe. En réponse, le président français Emmanuel Macron a réuni plusieurs dirigeants européens afin de coordonner une position commune face à cette initiative américaine. Les principaux partis traditionnels en Allemagne (à l’exception de l’AfD, Die Linke et BSW) ont fermement critiqué cette approche, la jugeant inacceptable. À l’issue de la rencontre, le chancelier Olaf Scholz a réaffirmé son soutien à l’Ukraine et aux mécanismes européens d’aide militaire, tout en repoussant toute discussion sur un éventuel déploiement de forces de maintien de la paix avant l’adoption d’un plan de paix structuré.
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche introduit une incertitude majeure quant au soutien américain à l’Ukraine, ce qui pourrait contraindre l’Europe, et en particulier l’Allemagne, à assumer une plus grande responsabilité en matière d’aide militaire. Si Washington réduit son assistance, Berlin devra faire un choix décisif : compenser ce manque par une augmentation de son engagement ou encourager un règlement négocié du conflit. Or, les contraintes budgétaires, la lassitude croissante des électeurs et le contexte politique interne rendent toute prise de leadership dans l’aide à l’Ukraine particulièrement délicate, tant sur le plan financier que politique.
L’avenir du soutien allemand à l’Ukraine dépendra donc du résultat des élections et de la coalition qui émergera. Scholz et le SPD continueront probablement à privilégier une approche modérée, tandis que la CDU/CSU et les Verts plaideront pour un engagement militaire renforcé. Parallèlement, la montée de l’AfD et de BSW pourrait alimenter des pressions en faveur d’une réduction des livraisons d’armes et d’une ouverture aux négociations avec la Russie.
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