« Ils ont perdu une bonne occasion de se taire. » C’est ainsi qu’en février 2003, le Président français de l’époque, Jacques Chirac, parlait du soutien de plusieurs nouveaux États membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et futurs membres de l’Union européenne (UE) à la politique américaine sur l’Irak, la Pologne en tête. Le rôle de Varsovie entre son adhésion à l’OTAN en 1999 et aujourd’hui en Europe centrale et orientale a grandement changé, au point où, elle souhaiterait concurrencer le leadership du couple franco-allemand sur le continent européen dans le cadre d’une crédibilité accrue en matière de défense et de sécurité. L’invasion illégale de l’Ukraine par la Fédération de Russie a, depuis trois ans, replongé l’Europe dans un contexte de fortes tensions où les dépenses militaires deviennent cruciales pour assurer la sécurité des États membres de l’OTAN, mais aussi par extension de l’UE.
La Pologne se place en tête devant les autres États membres de l’Alliance avec une estimation de 4.7% de son PIB pour les dépenses liées à la Défense en 2025, surpassant tous les Alliés incluant les États-Unis en part du PIB, et une bonne situation économique qui la place comme première économie d’Europe centrale et orientale et sixième à l’échelle de l’Union européenne, devant la Suède et la Belgique notamment.
En 2025, les États-Unis bouleversent les équilibres dans les relations transatlantiques. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, est insulté à la Maison Blanche, l’Union européenne est perçue par Washington comme une organisation anti-américaine et le Canada se retrouve en guerre commerciale et verbale avec les États-Unis. Au même moment, la guerre continue en Ukraine et la Russie devient, pour l’Europe et pour l’OTAN, une menace existentielle. Or, cette Europe ne peut plus se résumer aux puissances économiques et militaires allemande et française. La Pologne montre son souhait d’être un acteur de premier plan ayant pris au sérieux cette menace russe en investissant massivement dans ses capacités militaires et fait aussi partie des plus importants soutiens à l’Ukraine. Dans ce contexte, le Canada doit élargir ses relations avec les partenaires européens, notamment la Pologne, dans le but de renforcer la coopération en matière de défense et de production d’équipements militaires.
D’un État prévoyant, mais paria, à un acteur majeur dans les crises
Comme le rappelait en 2023 le journaliste du New York Times, Andrew Higgins, plus personne en Europe ne peut dire à la Pologne de se taire maintenant. Varsovie est aujourd’hui un acteur crucial en Europe. Ses craintes au sujet des menaces russes contre l’Europe centrale et orientale se sont avérées être justifiées par l’invasion illégale de l’Ukraine et les actes de sabotages russes en Europe. Depuis 2008 et l’invasion de la Géorgie par la Fédération de Russie, Varsovie n’avait pas cessé d’alerter ses alliés à l’OTAN et l’UE sur la menace que représente la Russie, critiquant le « Reset » des relations russo-américaines de l’administration Obama en 2009 ou le rapprochement franco-russe du Président Macron en 2019. Les Alliés, dont le Canada, ne peuvent donc plus ignorer l’opinion de Varsovie sur les politiques décidées à l’OTAN et sur l’Ukraine.
Ce nouveau rôle de Varsovie en matière de leadership n’était pas évident avant la deuxième phase de la guerre en Ukraine (la première étant l’invasion et l’annexion illégale de la Crimée et la guerre dans la région ukrainienne du Donbass en 2014 et 2015). En effet, depuis 2015, la Pologne a été isolée sur la scène européenne en raison de la tournure anti-démocratique, voire autoritaire des gouvernements en place. Lors des élections présidentielles de 2015, Andrzej Duda fut élu président, puis les élections législatives donnèrent une majorité absolue à son parti Droit et Justice (PiS), un parti placé au centre-droit sur l’échiquier politique polonais, qui resta au pouvoir jusqu’en 2023. Pendant ces huit années au pouvoir, le PiS mit en place de multiples réformes remettant en cause l’État de droit, la justice et les libertés individuelles. En 2017, la Pologne fut mise en cause par l’Union européenne pour ces dérives anti-démocratiques faisant d’elle un « mauvais élève » au sein de l’union.
Cependant, avec le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, les relations entre la Pologne et ses partenaires européens se sont réchauffées, à l’exemple des mots de l’ancien premier ministre Mateusz Morawiecki : « Il faut mettre fin au conflit à l’Ouest, le véritable ennemi est à l’Est ». Dès le début des opérations d’invasion de l’Ukraine par la Russie, la Pologne s’est fermement opposée à la décision russe, soutenant les multiples sanctions, qualifiant la Fédération de Russie d’État soutenant le terrorisme, et est devenue depuis le nœud logistique de l’aide militaire occidentale pour leur livraison vers l’Ukraine avec l’aéroport Rzeszów-Jasionka puis par des corridors terrestres et ferroviaires à la frontière.
En 2025, le contexte sécuritaire en Europe est remis en question par les perspectives potentielles d’un retrait entier ou partiel des États-Unis de l’OTAN, mais aussi du continent. En Europe centrale et orientale surtout, la crainte d’une attaque russe s’est intensifiée à la suite des positions de l’administration américaine sur la guerre en Ukraine et sur ses relations avec Moscou. Au même moment, la Pologne a pris la présidence de l’Union européenne pour les six prochains mois avec comme priorités la défense et la sécurité. Il s’agit donc d’une période cruciale pour Varsovie et son potentiel de leadership en Europe.
La première armée d’Europe sera polonaise
Il est vrai que Varsovie a fait du réarmement de ses forces un point important, et ce même avant 2022. Dès le début des années 2000, la Pologne s’est engagée à répondre aux standards de l’OTAN le plus rapidement avec, en 2002, l’achat des premiers chars modernes de combat (Leopards 2A4 et 2A5), ainsi que la construction de véhicules blindés sur le sol polonais par l’entreprise finlandaise Rosomak, puis en 2004 la commande des premiers F-16 américains.
Cependant, le réarmement important de la Pologne débute dans les années 2010. L’arrivée au pouvoir aux États-Unis de Barack Obama en 2009 avec, d’une part, son plan de « Reset » des relations russo-américaines et, d’autre part, la politique du pivot vers l’Indopacifique et la compétition avec la Chine, inquiète Varsovie qui y voit déjà un certain désengagement américain en Europe. Cette inquiétude est alimentée aussi par la décision du président américain d’annuler le déploiement du système de défense antimissile en Europe afin de confirmer les nouveaux rapports positifs entre Washington et Moscou. Pour les Polonais, cette décision illustre une certaine naïveté américaine sur les objectifs russes en Europe. En effet, en 2008 la Fédération de Russie avait déjà envahi la Géorgie créant deux régions séparatistes en Abkhazie et en Ossétie du Sud. Face à ces inquiétudes, Varsovie vote en 2012 un plan de modernisation technique (PMT – Plan Modernizacji Technicznej), à hauteur de 40 milliards dollars et couvrant les futures dépenses militaires de 2013 à 2022.
L’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 et la guerre dans le Donbass ukrainien en 2015 ont amené Varsovie à devoir renforcer plus rapidement que prévu son programme de réarmement. Dès 2015, la Pologne a dépassé le seuil des 2% du PIB dans les dépenses militaires alors que l’Allemagne était à 1.19% et la France à 1.78%. Depuis, les gouvernements polonais successifs, bien qu’ayant des désaccords sur les montants alloués au réarmement, ont tous eu le même postulat sur la nécessité de renforcer les forces armées face à la menace russe et la menace hybride à la frontière avec le Bélarus. En 2018, le programme Wisla a visé à réaménager le plan prévu en 2012 afin de s’adapter à l’évolution de la situation en matière de Défense.
Le premier mandat de Donald Trump à la Maison Blanche n’a fait que renforcer l’idée, pour la Pologne, de la nécessité de se réarmer face à une Russie de plus en plus active dans la déstabilisation des démocraties occidentales avec des cas d’ingérences dans les élections américaines de 2016 (cherchant à favoriser Donald Trump) et françaises de 2017 (cherchant à favoriser Marine Le Pen). Ainsi entre 2018 et 2022, les commandes polonaises en termes d’équipements se sont multipliées avec l’achat de matériels américains notamment mêlant achat de matériel de qualité et entretient de bonnes relations avec le président américain. La Pologne s’est équipée de batteries sol-air Patriot, d’hélicoptères UH-60 (Black Hawk), ainsi que de lance-roquettes multiples HIMARS. Varsovie espérait aussi pouvoir convaincre le président américain de maintenir sa présence en Europe pour dissuader la Russie en se mettant d’accord sur une présence permanente de troupes américaines sur le territoire polonais, et en proposant même la construction d’un « Fort Trump ».
À la veille de l’invasion de l’Ukraine, les forces armées polonaises étaient considérablement renforcées et remplissaient les critères de standardisation OTAN. La Pologne (797 chars de combat) surpassait en nombre les parcs de chars de combat français (222 chars Leclerc) et allemand (284 chars Leopard), détenait la première flotte aérienne d’Europe centrale et orientale, mais connaissait un léger retard sur sa marine bien qu’elle développait ses capacités pour la sécuritisation de la Mer Baltique face aux menaces russes. Les budgets polonais pour les dépenses militaires n’ont cessé de croître pour arriver à 4% du PIB en 2024, passant en 10 ans de 10.1 milliards $ à 34.9 milliards $ représentant plus de la moitié des dépenses de la France (64.2 milliards $ en 2024). En 2024, les forces armées polonaises étaient classées 3ème en termes d’effectifs au sein de l’OTAN avec 216.000 personnes (contre 204.600 pour la France), derrière les États-Unis et la Turquie. Bien que ces effectifs aient mélangé armée de professionnels, réservistes et volontaires, ils illustraient le souhait polonais de compter d’une part sur la qualité de ses équipements modernes et d’autre part sur la massification afin de répondre aux défis d’une guerre terrestre de haute intensité.
La modernisation des forces armées polonaises a donc été pensée pour s’adapter aux exigences du combat de haute intensité avec le développement des moyens de frappes en profondeur et la construction d’une fortification défensive, notamment aux frontières avec l’enclave de Kaliningrad et le Bélarus. À l’été 2024 le gouvernement de Donald Tusk annonçait le financement du projet de Bouclier de l’Est d’un montant de 2.5 milliards $ visant à construire des fortifications à la frontière avec le Bélarus et la Fédération de Russie. Ce bouclier comprendra des barrages modernes ainsi que des fortifications de surveillance. Il se fera conjointement avec les États baltes (Estonie – Lettonie – Lituanie), frontaliers de la Fédération de Russie et du Bélarus. Dans le cadre de la communication stratégique en direction de la Russie et du Bélarus, les responsables politiques polonais aiment présenter les forces armées polonaises comme la « première armée d’Europe », devant la France et l’Allemagne. Après ces efforts, il semble qu’elle est en passe de le devenir, surtout sur les capacités terrestres.
Cependant des questions se posent sur la capacité économique et structurelle de la Pologne pour maintenir ces efforts sur le long terme. En effet, les efforts importants appliqués par les différents gouvernements questionnent sur la capacité de la Pologne à maintenir ces efforts dans le temps, tout en assurant une acception claire de la population pour cet effort national.
Après Paris et Berlin, Varsovie devient un centre majeur de l’Europe
En janvier 2025, la Pologne prenait la tête de la présidence du Conseil de l’Union européenne pour une période de six mois avec un slogan « Sécurité, Europe ! ». La présidence du Conseil permet à un trio d’États, ici la Pologne avec le Danemark et Chypre, de définir les thèmes et les grandes questions qui seront traités durant la période par le Conseil de l’UE.
Parmi les sept principaux axes, la Pologne met en priorité l’accent sur la Défense et la Sécurité de l’Union européenne. Durant ce mandat, le gouvernement polonais souhaite travailler sur le renforcement de la préparation des partenaires européens dans la défense du continent et donc améliorer l’industrie de défense en Europe. Le 3 février dernier, lors d’une rencontre informelle à Bruxelles entre plusieurs représentants européens, dont le Premier ministre britannique invité, Keir Starmer, l’avis était de renforcer les dépenses européennes dans la Défense et l’aide à l’Ukraine. La Pologne soutient l’idée d’alléger les règles de la Banque européenne d’investissement afin d’aider au financement de projets de Défense, comme le projet Bouclier de l’Est. Ces discussions sur un accord européen concernant le financement de projets pour le renforcement de la Défense des alliés étaient déjà présentes dans les discussions de la présidence française du Conseil de l’UE début 2022. Cependant, la Pologne tient aussi à réfléchir à l’amélioration de la coopération directe entre l’Union européenne et l’OTAN, élargissant les acteurs impliqués, dont le Canada et les États-Unis.
Cette présidence permet à Varsovie d’être au cœur de toutes les discussions européennes et de mettre en avant son agenda politique au moment où le couple franco-allemand, habituellement « leader » de l’Union européenne, connaît un certain ralentissement. En effet, la France est dans une situation politique interne instable depuis la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024 et l’absence de majorité claire, ce qui a eu pour conséquence la chute d’un premier gouvernement en décembre dernier et de fortes critiques envers le Président français, Emmanuel Macron. Néanmoins, le président français est très actif sur le sujet de l’Ukraine et de la défense des alliés européens depuis les fortes tensions entre Washington et Kyiv après l’entrevue désastreuse à la Maison Blanche fin février entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky.
Du côté allemand, l’éclatement de la coalition des partis SPD, Verts, FDP en novembre dernier amenant le chancelier Olaf Scholz à perdre un vote de confiance en décembre, l’ont obligé à convoquer des élections législatives anticipées. Les conservateurs de la CDU ont remporté l’élection, mais il faut noter une émergence majeure du parti d’extrême-droite AFP. Le futur chancelier allemand, Friedrich Merz, s’est dit en faveur du renforcement des forces armées allemandes[1], ainsi que d’une révision des ententes stratégiques, évoquant la possibilité d’ouvrir le débat sur l’idée d’un parapluie nucléaire européen, en coopération avec les deux seules puissances nucléaires du continent : le Royaume-Uni et la France.
Bien que la France et l’Allemagne retrouvent une certaine forme de décision d’agir pour la défense de l’Europe et le soutien à l’Ukraine, la Pologne se démarque par sa ligne stable sur la perception de la menace russe depuis 2008, par une stabilité politique actuellement, mais aussi par les investissements consentis dans sa défense depuis son adhésion à l’OTAN en 1999. La Pologne, qui entretient par ailleurs de bons rapports avec le 47e président américain, veut être perçue comme un interlocuteur de premier plan en Europe.
La Pologne face à l’abandon américain de l’Ukraine et de l’Europe
L’invasion à grande échelle de l’Ukraine par près de 200.000 soldats russes en 2022 a, comme dit précédemment, mis au clair l’étendue des objectifs révisionnistes des frontières en Europe par la Fédération de Russie. Cependant, alors que la communauté transatlantique avait été en mesure à l’époque de répondre ensemble pour dénoncer cette invasion et aider l’Ukraine, trois ans plus tard la situation a bien changé. En 2025, la nouvelle administration américaine montre son souhait de mettre fin à la guerre coûte que coûte, même si cela indiquerait l’abandon des territoires illégalement occupés (Crimée comprise). De plus, le président américain a aussi annoncé exclure l’adhésion à l’OTAN de l’Ukraine en gage de garantie de sécurité, renforçant la division entre Washington et les chancelleries européennes sur la conduite des négociations de paix. Le sort réservé à l’Ukraine inquiète donc grandement en Europe centrale et orientale sur le soutien de « l’allié » américain.
De plus, depuis plusieurs semaines déjà, le refrain d’un retrait militaire américain de l’OTAN et donc de l’Europe inquiète. Un tel départ laisserait les Européens devant le devoir de se réorganiser pour dissuader toute tentative russe sur le flanc Est de l’alliance atlantique. Bien que les mots paix et cessez-le-feu sont de plus en plus évoqués pour parler de la guerre en Ukraine, la Fédération de Russie ne semble pas s’apprêter à arrêter les efforts militaires. L’International Institute for Strategic Studies estime que cette année, les dépenses militaires de la Russie représenteront 7.5% du PIB. De plus, durant son allocution du 5 mars dernier, le Président français, Emmanuel Macron, expliquait que la Russie prévoyait d’accroître les rangs de ses forces armées avec 300.000 soldats supplémentaires, mais aussi un accroissement de matériels. Même si la guerre devait cesser en Ukraine, il est certain que le continent européen resterait sous la menace directe d’une Russie enhardie par ses gains dans sa campagne militaire.
Donc, entre le risque d’abandon de l’Ukraine et de l’Europe par l’administration américaine, le gouvernement polonais ne faiblit pas et tient à démontrer sa détermination à la défense du flanc Est de l’Europe. Le Premier ministre, Donald Tusk, a récemment annoncé que le gouvernement travaille sur un programme permettant d’assurer à chaque homme adulte en Pologne une formation militaire basique[2]. Il a aussi annoncé l’objectif fixé à 500.000 membres des forces armées, parlant de « Course à la Sécurité ». Malgré les craintes d’un retrait américain, le gouvernement polonais tente d’assurer le lien transatlantique, s’illustrant comme l’État le plus à même de discuter avec l’administration Trump. Cependant, le Royaume-Uni et la France ont démontré un certain leadership dans les dernières semaines, notamment en proposant de travailler sur le déploiement potentiel de troupes européennes en Ukraine dans le cadre d’un cessez-le-feu ou d’un traité de paix, visant à assurer le respect d’un quelconque accord signé. La Pologne de son côté s’est opposée à toute participation à ce déploiement, ce qui pourrait remettre en question sa réelle détermination face à la menace russe. Néanmoins cette décision peut être compréhensible en raison de la nécessité pour la Pologne d’assurer la protection de son territoire, de ses frontières avec l’enclave de Kaliningrad et le Bélarus et aussi la protection de la frontière polono-lituanienne qui assure un lien terrestre entre les États baltes et le reste du continent européen.
Considérations politiques pour le Canada
En janvier dernier, l’ancien Premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a signé un accord de coopération nucléaire avec le gouvernement polonais de Donald Tusk qui vise à améliorer la coopération canado-polonaise dans le secteur du nucléaire et de la transition énergétique. Le prochain gouvernement canadien devra maintenir l’approfondissement des relations avec Varsovie.
Que doit retenir le Canada au sujet de l’évolution des rapports de force en Europe ?
Les considérations politiques à retenir :
Les élections à venir en Pologne
En mai 2025, les Polonais seront appelés à voter. Les derniers sondages donnent, tant aux élections présidentielles que législatives, en tête le parti (Coalition Civique ou KO) de l’actuel Premier Ministre polonais (36% d’intentions de vote pour le candidat à la présidentielle, Rafal Trzaskowski, et 35% au Parlement). Le parti KO est considéré comme étant au centre de l’échiquier politique en Pologne. Cependant il faut aussi noter un niveau élevé des partis d’opposition. D’une part, le précédent parti au pouvoir (PiS), dont le Président actuel, Andrzej Duda, fait partie, est crédité à 24% pour les présidentielles et 31% des intentions aux législatives, avec Karol Nawrocki comme candidat. D’autre part, on observe aussi la montée du parti d’extrême-droite Confédération Liberté et Indépendance (KWOiN) avec 19% des intentions de vote pour les présidentielles et législatives. Les positions des différents partis politiques sur la question de la politique étrangère sont similaires et le résultat des élections ne devrait pas grandement influencer ces deux sujets politiques, avec notamment le souhait de maintenir des liens forts avec l’allié américain. La thématique de la sécurité reste un thème majeur dans ces élections.
Cependant, la dernière fois que le PiS était au gouvernement, la Pologne a été grandement critiquée sur le respect des droits fondamentaux et le retour au pouvoir de ce parti pourrait rendre difficile un approfondissement des relations entre Ottawa et Varsovie.
La Pologne est un acteur-clé dans le soutien à l’Ukraine
Varsovie est l’un des plus importants soutiens tant militaire qu’humanitaire pour Kyiv. En 2025, l’aide polonaise à l’Ukraine représente l’équivalent de 4.91% du PIB de la Pologne en additionnant l’aide directe, mais aussi l’aide aux réfugiés. La Pologne a accueilli près d’un million de réfugiés sur son territoire depuis le début de l’invasion. De plus, du point de vue militaire, Varsovie a délivré un nombre conséquent de moyens : environ 800 chars de combat, près de 500 véhicules de combat d’infanterie et d’importants stocks de munitions, mais aussi des avions de combat de fabrication soviétique. En plus de son aide directe, la Pologne est devenue le lieu de la centralisation des aides militaires occidentales envoyées en Ukraine, grâce à ses infrastructures aériennes, ferroviaires et routières.
De son côté, le Canada a certes une aide militaire, en termes d’équipements, plus limitée à l’Ukraine depuis 2022. Cependant Ottawa a été très présent en Ukraine avant la guerre avec l’Opération UNIFIER, qui était « une mission d’instruction militaire de professionnalisation et de renforcement des capacités des Forces armées canadiennes (FAC) en soutien à l’Ukraine », mise en place en 2015. Depuis la guerre, l’Opération UNIFIER a déplacé des missions de formation en Europe et notamment en Pologne, renforçant les liens entre Varsovie et Ottawa en matière de coopération dans l’aide à l’Ukraine. Environ 54.000 membres des forces armées ukrainiennes ont été formés depuis le début de l’Opération, rendant crédible la position du Canada sur l’aide à l’Ukraine.
La Pologne est un allié-clé dans les relations transatlantiques et la coopération économique
Avec une croissance positive constante de ses dépenses militaires et des investissements dans l’industrie de défense, la Pologne devient un pilier du renforcement des capacités européennes. En s’engageant avec Varsovie sur ces questions, le Canada pourrait faciliter des partenariats industriels et stratégiques bilatéraux, servant à renforcer les relations avec Varsovie. Ce rapprochement industriel pourrait notamment permettre à Ottawa de trouver de nouvelles pistes d’achat d’équipement militaire (voir recommandation 1).
La Pologne joue un rôle central dans le renforcement du flanc Est de l’OTAN. Son engagement dans la sécurité régionale en fait un partenaire stratégique pour le Canada, qui partage les mêmes objectifs de stabilité face aux menaces russes avec notamment la présence militaire canadienne dans la région dans le cadre de l’Opération REASSURANCE. Dans le cadre de cette présence en Lettonie, la Pologne devient un partenaire majeur pour assurer la protection du corridor Suwałki. Depuis 2022, ce corridor a été identifié comme un point faible du dispositif de l’Alliance face aux risques d’attaques russes contre les États membres de l’OTAN.
Le rôle croissant de la Pologne dans la politique européenne offre aussi au Canada une opportunité d’approfondir ses liens avec l’UE par l’intermédiaire d’un État favorable à une coopération renforcée avec l’Amérique du Nord. Il n’est pas question de remettre en cause le rôle de la France ou de l’Allemagne, mais de diversifier ses rapports avec les partenaires européens, d’autant plus qu’il existe une importante communauté polonaise au Canada, avec environ 1.1 millions de Canadiens de descendance polonaise.
Pourquoi la Pologne doit devenir un partenaire plus important pour le Canada ?
En capitalisant sur l’influence grandissante de la Pologne en Europe, le Canada pourrait consolider son rôle au sein des alliances transatlantiques et renforcer son activité politique en Europe de l’Est, un enjeu clé pour la stabilité mondiale. Cependant, ces recommandations doivent être combinées à la priorité polonaise pour la défense au sein de l’OTAN et donc accroître le budget pour les dépenses militaires.
Recommandations pour le gouvernement du Canada
1- Renforcer la coopération bilatérale en matière de défense et de sécurité
Comme il a été mentionné précédemment, la Pologne et le Canada coopèrent déjà ensemble sur les domaines de défense et de sécurité avec d’une part leur participation aux missions et exercices militaires de l’OTAN, avec notamment leur participation commune à l’International Security Assistance Force (ISAF) en Afghanistan de 2001 à 2014 et la présence, entre 2014 et 2017, de troupes canadiennes en rotation sur le sol polonais (entre 120 et 220 personnes) à Drawsko Pomorskie. D’autre part, avec l’invasion de l’Ukraine, le Canada a relocalisé sa mission de formation des troupes ukrainiennes en Europe et notamment en Pologne dans le cadre de l’Opération UNIFIER. Ainsi, la coopération entre Pologne et Canada en matière de défense et de sécurité est déjà importante, mais elle pourrait encore s’approfondir.
Dans un premier temps, le Canada pourrait renforcer son accord bilatéral avec la Pologne sur la sécurité générale de l’information en incluant les mêmes principes que ceux annoncés dans le cadre du partenariat bilatéral avec la France. Ce dernier visait à assurer le renforcement de la cybersécurité et de l’échange de renseignements concernant différents axes, notamment l’ingérence, l’espionnage et le sabotage. En ayant connaissance des actes de sabotages russes en Europe, le Canada devrait commencer à renforcer cette coopération avec ces États ciblés, dont la Pologne, afin de mieux se préparer face à ce type de menace, qui pourraient être russe. ou bien chinoise.
Deuxièmement, au printemps 2024, la Pologne, en collaboration avec plusieurs autres États frontaliers de la Russie[3], a annoncé un accord pour établir un « Mur de drones » sur les 3.800km de frontière allant de la Norvège jusqu’à la Pologne. Ce projet de mur de drones vise à améliorer les capacités de surveillance de la frontière car chaque drone est en mesure de couvrir une plus large zone que l’installation habituelle de caméras fixes. De plus, la guerre en Ukraine a démontré l’importance majeure des drones dans les opérations militaires, que ce soit pour du combat, mais aussi et surtout pour du renseignement et de la reconnaissance. En 2023, le Canada a annoncé l’acquisition de 11 systèmes d’aéronefs télépilotés, accompagnés par l’achat de moyens nécessaires autour (postes de contrôle, hangars, services de soutien, …) acquis auprès du fabricant américain General Atomics Aeronautical System. En raison des tensions politiques et commerciales entre le Canada et l’administration américaine, il semble nécessaire pour Ottawa de trouver de nouvelles alternatives en terme d’acquisition de matériel militaire aéronautique. Afin de couvrir plus largement son espace aérien et notamment dans le Nord Arctique, le Canada pourrait donc renforcer sa coopération avec la Pologne dans le projet de « Mur de drones » via l’achat de drones européens avec, en contrepartie, un élargissement du « Mur » jusqu’à la frontière nord du Canada. Cet élargissement permettrait de couvrir une zone aussi menacée par l’aviation et la marine russe.
2- Soutenir l’émergence du leadership polonais dans les relations avec l’UE
Le Canada et la Pologne ont toujours entretenu d’importantes relations bilatérales depuis la fin de la Guerre froide. Depuis 2022, le Canada apporte son aide à la Pologne pour la gestion des réfugiés en provenance d’Ukraine. Dans le cadre d’un renforcement de ses relations avec les États d’Europe centrale et orientale, le Canada devrait collaborer avec la Pologne sur les enjeux transatlantiques pour promouvoir des positions communes lors de forums internationaux.
Ensuite, Ottawa devrait encourager Varsovie à jouer un rôle moteur dans l’évolution des politiques européennes en faveur d’un renforcement des liens avec l’Amérique du Nord. En effet la Pologne reste un des États européens le plus engagé dans la conservation des bonnes relations avec les États-Unis malgré les tensions actuelles sur la guerre en Ukraine et sur les relations commerciales avec l’Union européenne. Alors que le Canada a la présidence du G7 cette année, il serait pertinent d’accorder une place plus importante à la Pologne dans un format de rencontre élargie, démontrant ainsi la considération du gouvernement canadien dans l’émergence du leadership polonais en Europe.
3- Développer les échanges économiques et énergétiques
La Pologne est le premier partenaire économique du Canada en Europe centrale et orientale. En plus de l’accord de coopération nucléaire signé en début d’année, le Canada pourrait continuer de renforcer ses investissements en Pologne dans les secteurs stratégiques comme l’énergie. Le gouvernement canadien pourrait soutenir des accords de coopération énergétique, notamment en matière de gaz naturel liquéfié (GNL) et d’énergies renouvelables. LNG Canada, première installation d’exportation de GNL à grande échelle, souhaite faire ses premières exportations de GNL dès cette année 2025. D’autres projets d’installation sont prévus pour les environs de 2027-2030. La Pologne de son côté cherche à diversifier ses importations de gaz, alors qu’elle dépendait du gaz russe avant l’invasion de 2022, et pourrait donc être un partenaire pertinent pour le Canada et son gaz naturel liquéfié.
[1] Le 18 mars 2025, le Bundestag vote un plan de dépense militaire majeur à hauteur de centaines de milliards d’Euros.
[2] Cette formation sera aussi proposée aux femmes sur une base volontaire cependant.
[3] Norvège, Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie.
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