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La prophétie de la fin de l’Histoire et de l’inéluctable triomphe du modèle démocratique devront attendre. Le spectre des néo-autoritarismes hante désormais des régimes que les penseurs politiques pensaient inébranlables. Si les évènements du Capitole ont entériné avec force et fracas le déclin d’un hégémon, ils ont surtout démontré que le moteur normatif de la démocratie n’est plus infaillible et que le monde n’a surement plus besoin de la tutelle américaine. L’érosion démocratique affecte l’ensemble des espaces régionaux. En passant par la démocratie la plus populeuse avec la montée du nationalisme hindou, à l’inexorable avancée du populisme en Europe de l’Est (Pologne, Hongrie, etc.) ou encore par la dérive autoritaire dont fait preuve le président Erdogan, ce changement de paradigme profond tend à déliter les fondements mêmes de la marque démocratie.
Les menaces que représentent la constitution d’un front commun illibéral ou encore la multiplication d’offensives d’acteurs étatiques, qui semblent ne pas respecter les règles qui régissent l’ordre international, sont légion. Ils devraient pousser les démocraties libérales à développer une stratégie globale pour renforcer une coopération multilatérale afin de soigner les maux de la démocratie et ainsi se relever de la chute annoncée.
Par conséquent, afin d’éviter un bégaiement de l’Histoire à travers des prédictions erronées, la communauté des démocraties se doit d’élaborer des moyens globaux de résistance pour améliorer la résilience démocratique et des stratégies offensives proactives contre ces régimes qui prospèrent sur le terreau de nos propres contradictions et dissensions politiques.
L’irrationalité du monde libre et la régression démocratique
Dans ce siècle initialement salué comme celui porteur d’une ferveur pour la démocratisation impossible à endiguer, le constat est sans appel, le moins mauvais de tous les systèmes commence à montrer des signes de faiblesses. Avec un recul certain, seulement la moitié de la population mondiale a vécu en démocratie en 2021. Si la pandémie mondiale et l’ensemble des restrictions aux libertés individuelles qu’elle sous-tend sont parfois instrumentalisées pour réprimer les droits humains, elles ne sont pas moins les catalyseurs d’une longue tendance à la régression. Les coups d’État ou encore les prises de pouvoir anticonstitutionnel se sont accrus significativement tandis que certains bastions de ce modèle, à l’instar des États-Unis ou de la France, sont devenus des démocraties défaillantes. Un diagnostic sur les plans intérieur et extérieur de ce déficit démocratique s’impose.
Le désenchantement à l’égard de la démocratie et la dévalorisation de la politique semblent prévaloir. Cantonnée à un rôle minimal, la confiance du citoyen s’érode progressivement envers le système représentatif. Autre composante, ces démocraties libérales semblent désormais asservies par un capitalisme exacerbé. Présenté à son origine comme un couple vertueux, les inégalités mondiales n’ont cessé de croitre depuis quarante ans. Pour pallier cette tendance, le modèle de l’État providence que les décideurs politiques ont érigé en rempart semble incapable de juguler ces disparités profondes.
Le discrédit est alors jeté sur des élites technocratiques perçues comme inefficaces puisque le système semble changer « de dirigeants mais pas de politique ». L’absence d’impact concret du vote sur le quotidien des votants fait naitre une frustration populaire et un enrayement des processus électoraux qui s’exprime à travers les urnes. L’ampleur de l’abstention n’est pas le seul symptôme. Alors que la confrontation des idées est de plus en plus complexe, l’éclatement du centrisme induit une polarisation politique -accélérée par les algorithmes sensationnalistes des technologies de l’information- qui gangrène les sociétés occidentales. L’électorat semble condamner à choisir entre des technocrates déconnectés qui observent impuissants leur propre déliquescence et des entrepreneurs de colère qui profèrent des slogans creux pour rentrer en résonance avec la lassitude des citoyens.
Sur la scène internationale, l’arrogance occidentale, genèse de son déclin, a porté un coup certain à la marque démocratie. Après avoir fait tomber le monde soviétique sans porter les armes, l’Occident en proie à une euphorie s’est donné comme objectif d’exporter son modèle démocratique. Si l’intention est louable, promouvoir la démocratie à coup d’ingérences étrangères et de missiles parait inconcevable. Portés par un destin messianique, les chefs de file de l’Occident se sont prêtés à l’exercice. Entre le recours à la force contre Milosevic en Bosnie en 1995, le renversement de Kadhafi en Libye en 2011, les exactions commises par les Américains à la prison d’Abou Ghraib durant la deuxième Guerre du Golfe ; l’utilisation de la puissance pour promouvoir des changements de régime est un échec cuisant. Totalement déconnecté des réalités sur le terrain, l’Occident a tenté d’imposer la démocratie, mais a attisé la guerre et mis en échec la paix.
Si l’interventionnisme libéral est en déclin, l’hypocrisie du monde libre semble l’avoir remplacée. Lorsque la France fait preuve d’une certaine complaisance envers la nouvelle junte tchadienne issue d’une prise de pouvoir anticonstitutionnelle, mais désavoue les nouvelles autorités maliennes issues d’un putsch, ou encore que les États-Unis montent en première ligne pour garantir l’indépendance de Taïwan mais se positionnent en retrait concernant le processus de colonisation mené par Israël sur le territoire palestinien; le message politique est alors brouillé. Sur le plan idéologique, alors que la communauté des démocraties se doit d’être irréprochable, la compromission occidentale face aux régimes autoritaires rend illégitime le discours sur l’universalité des valeurs. Cette stratégie de l’irrationalité dictée par des intérêts stratégiques divergents offre des leviers supplémentaires pour légitimer le narratif sur l’impérialisme occidental et consacrer l’attrait des régimes autoritaires.
L’irrépressible séduction de l’autoritarisme
Miné de l’intérieure, l’Occident démocrate peine à saisir le basculement de la centralité du monde. Ce changement de paradigme profond instille une tentation autoritaire. Le flou conceptuel autour du néo- autoritarisme et du populisme illustre l’hybridité de ces variants illibéraux. Néanmoins, ils usent souvent des mêmes ressorts pour s’affirmer comme des alternatives radicales, mais crédibles.
La crispation identitaire du monde occidental est une réalité, elle n’en est pas moins instrumentalisée par les détracteurs de la démocratie afin de mettre en exergue une nouvelle doxa. Entre nationalisme ou encore rejet du multilatéralisme et du progrès, la grande famille des populistes puise dans un répertoire de valeurs axé sur le retour à la tradition pour lutter contre ce qu’ils dénoncent comme la décadence occidentale.
Les soubassements de ce discours antisystème proviennent de cette résistance revancharde contre les élites dirigeantes prétendument corrompues et au service de l’étranger (l’immigration, vassalisation envers des puissances étrangères et la finance mondialisée). Émerge alors des « Hommes forts » qui serait les porte-étendards de la souveraineté et du peuple réel délaissé par la mondialisation. La sacralisation des urnes et la capacité de vider de sa substance la démocratie par la voie des élections libres (ou simulacre d’élections libres) sont symptomatiques de la perméabilité de nos régimes. Alors que ce phénomène délétère paraissait inconcevable, ces régimes hybrides s’accommodent de l’absence de garantie des droits fondamentaux. Si la dénaturation de l’idéal démocratique était une stratégie camouflée, elle est désormais exercée aux yeux de tous, à l’instar de Victor Orbàn qui se réclame du concept de démocratie illibérale.
La performance comparée des formes de gouvernance montre que dans le cadre de la crise sanitaire, les politiques efficaces pour endiguer la pandémie n’étaient ni populistes, ni autoritaires et ni libérales. Toutefois, la capacité de dépasser l’impossibilisme légal en s’affranchissant des règles de l’État de droit offre des opportunités d’action attractives pour les régimes anti-démocratiques. En faisant taire ou en supprimant, la lenteur des règles bureaucratiques, les garde-fous et les institutions du contre-pouvoir ; les démocraties illibérales gagnent en souplesse et débloquent la paralysie de l’action publique pour ainsi promouvoir un autoritarisme compétitif.
Le populisme devient alors une sorte de rampe de lancement de la dérive autoritaire. Avec différent degré d’aliénation, un glissement insidieux s’opère alors entre la démocratie libérale, la démocratie illibérale et les régimes autoritaires avec un spectre aussi large qu’il existe de combinaisons. En jouant avec les limites du jeu démocratique, Donald Trump, Jair Bolsonaro ou encore Erdogan légitiment les pouvoirs néo-autoritaires exercés par les dictatures fossilisées et suppriment de fait la dichotomie simplificatrice entre la démocratie et l’autoritarisme.
Il va s’en dire que dans le cadre de la compétition des puissances, les menaces qui pèsent sur la démocratie sont symptomatiques de ce renversement de tendance. Une prise de conscience de cette nouvelle donne politique et de la nature complexe des néo-autoritarismes qui se sont adaptés à l’air du temps est impérative. Définir ces régimes comme il se doit permettra de qualifier correctement les dérives/crimes qu’ils commettent pour à terme leur refuser l’instauration de régime répressif alternatif.
La démocratie libérale n’est donc pas le terminus de l’itinéraire démocratique. Ce diagnostic réaliste permettra de poser les bases de la lutte contre la viralité autocratique puisque les États illibéraux ne sont plus confinés dans leurs zones. L’Occident libéral peut être sclérosé aussi bien de l’intérieur qu’assiégée de l’extérieur.
Une compétition asymétrique : Oeuvrer dans un ordre international où les règles se délitent
La capitalisation des efforts de privation du pouvoir permet de faire émerger une politique étrangère agressive avec la mobilisation de tout l’appareil d’État. Dès lors, le développement d’une répression transnationale à l’encontre des démocraties s’exerce avec des capacités de nuisance sans égal. Ces formes hybrides de gouvernance conjuguent les canaux conventionnels pour faire valoir leurs intérêts ainsi que des tactiques autoritaires se situant en dehors du droit international et qui échappent alors à l’Occident.
Vilipender les régimes autoritaires ne semble plus suffisant pour contenir leur incursion sur la scène internationale. L’offensive chinoise pour l’obtention des postes à haute responsabilité au sein des institutions internationales manifeste avec éclat cette stratégie d’influence pour orienter le système vers ses intérêts. Son engagement international croissant est à mettre en perspective avec ses propres initiatives (nouvelle route de la soie, financement infrastructures, etc.). La désoccidentalisation du monde passe nécessairement par une refonte de l’ordre international et ces régimes semblent en prendre pleinement conscience. Victime collatérale du repli américain, l’OMS est devenue l’instance privilégiée pour la Russie, la Chine ou encore la Corée du Nord afin d’exprimer la supériorité de leur modèle durant la crise sanitaire.
De surcroit, Pékin use de son poids économique, de son soft power grandissant et de sa capacité à manipuler l’information pour exporter son modèle vers des démocraties fragiles. Si cette stratégie comporte des limites, la Chine continentale est parvenue à isoler encore davantage Taïwan sur la scène internationale. Les investissements massifs et les liens de dépendance en Afrique ont permis de faire pencher la balance vers Pékin, désormais seuls deux pays africains reconnaissent Taipei contre treize en 1995. L’Afrique subit un reflux autoritaire et Pékin lui vend son modèle de gouvernance autoritaire à mesure que la démocratie s’éloigne.
Au-delà des succès diplomatiques, les tours de force se multiplient. Entre l’assassinat de Jamal Kashoggi, l’affaire Skripal, l’arrestation d’un opposant politique avec une fausse alerte à la bombe dans un avion fomenter par Alexandre Loukachenko ; les dissidents des régimes autoritaires ont la vie dure. Les sanctuaires pour leur sécurité se délitent face à ce schéma de répression internationale qui vise à saper la démocratie et à se prémunir de toutes critiques. Depuis 2014 environ 600 attaques autoritaires transfrontalières ont été recensées. Il est impératif pour l’Occident de mettre un terme à cette stratégie de harcèlement international. Pour cela, un engagement plus ferme envers la responsabilité de protéger est nécessaire. Un soutien actif et une protection des dissidents sur le terrain permettront de semer les germes de l’opposition avec un effet déstabilisateur pour ces régimes aussi effectif que les attaques permanentes à l’encontre de la démocratie.
Ce schéma d’intimidation passe également par la nouvelle plateforme que représentent les technologies d’informations. Les cyberattaques, les ingérences étrangères et la désinformation numérique rentrent dans la pratique de l’influence qui est par exemple dans l’ADN de la Russie. Au-delà de marginaliser des individus, cette stratégie de déstabilisation s’insère plus globalement dans les réponses militaires asymétriques de la guerre hybride. L’architecture de l’ordre international limite la marge de manœuvre des démocraties qui accusent dès lors un retard certain dans ces nouveaux espaces de conflictualité non conventionnels. Toute en gardant sa nature démocratique, la communauté des démocraties se doit de développer une prévention augmentée avec des moyens défensifs et offensifs pour lutter dans le cadre de la guerre informationnelle.
Finalement, le renouveau stratégique agressif de ces formes alternatives de gouvernance est consacré par le géant chinois qui semble sorti de sa période d’hibernation comme l’atteste l’offensive de ces loups guerriers. Dans la course à l’hégémonie, il illustre que l’adhésion aux valeurs démocratiques n’est plus nécessaire pour briguer la place de leader mondial. Quant à la Russie, elle s’attaque désormais directement à la démocratie dans son ancien pré carré pour neutraliser l’expansion d’un modèle qui la fragilise. La lutte idéologique s’accompagne donc d’incursions militaires bien plus concrètes et la communauté des démocraties est acculée face à ce réveil stratégique de taille.
Dans l’enceinte onusienne, lors du vote sur la résolution contre la guerre en Ukraine, de nombreux pays africains, l’Inde ainsi que la Chine se sont abstenus. Cette neutralité et cet élan démocratique modéré sont liés à la volonté de ne pas froisser la Russie avec qui ces États conservent de bonnes relations pouvant aller jusqu’à des liens d’amitié. Si ce phénomène résulte par exemple des leviers d’influence russes en Afrique, des lignes de convergence entre des régimes qui peinent à approfondir leur processus de démocratisation se dessinent.
Vers la constitution d’un front commun illibéral
Pékin observe confortablement le dénouement de la guerre sur le vieux continent tel un test grandeur nature de la réaction occidentale par rapport à ses propres ambitions territoriales. La Chine développe néanmoins une position ambiguë en reprenant le récit du Kremlin sur l’opération militaire spéciale déployée en Ukraine. Si cette quasi-alliance illibérale est moins concrète, le nouvel élan stratégique impulsé par l’invasion russe jouera en la faveur de Joe Biden pour la constitution d’une alliance des démocraties même si son sommet pour la démocratie manquait d’ambitions. La logique de blocs semble resurgir et ce revirement stratégique pourrait entériner le renouveau de la bipolarisation de l’arène internationale.
Les déclarations de soutien à la Chine concernant sa politique antiterroriste à l’encontre des minorités ouïghoures présageaient les lignes de fractures entre l’Occident libéral et un front commun illibéral en émergence. L’Occident s’élevait pour dénoncer un génocide culturel tandis que Pékin, chef de file d’un idéal anti-démocratique, rétorquait en fédérant 46 pays pour soutenir sa politique repressioniste au Xianjang.
Au-delà de la guerre d’influence, ce rapprochement est allé encore plus loin lors de la guerre en Syrie. Lorsque la communauté transatlantique tergiversait pour renverser Bachar el-Assad, sa survie a été rendue possible grâce à Moscou et Téhéran, les bailleurs de fonds d’un régime sous perfusion. L’axe de résistance Damas-Moscou-Téhéran a porté un coup décisif à l’influence et à la stratégie occidentales au Levant. Entre la simple convergence d’intérêts conjoncturels et la constitution d’une alliance pérenne, le rejet de l’Occident est générateur de partenariats. Toutefois, si Bachar el-Assad a exprimé son soutien à l’invasion russe en Ukraine, la rencontre entre les deux homologues évoque davantage un sauvetage de l’illusion d’une souveraineté syrienne. La dépendance du dictateur Assad envers Vladimir Poutine incarne ces relations asymétriques de pouvoir qui ne se limite pas au cas syrien.
Renforcer l’alliance des démocraties pour ébranler le colosse au pied d’argile illibéral
Main dans la main durant la trêve olympique, la solidité des liens d’amitié « sans limite » entre Moscou et Pékin est désormais mise à rude épreuve. La neutralité de façade de la Chine commence à montrer ses limites. Pékin oscille entre sauver le principe de non-ingérence, pilier de sa politique étrangère, et s’aligner stratégiquement avec la Russie dans leur opposition commune aux démocraties libérales occidentales. Dans ce cadre, la déclaration conjointe pour dénoncer la politique d’élargissement de l’OTAN aurait pu conduire à un soutien plus actif de Pékin envers Moscou. Les relations sino-russes se nourrissent du durcissement américain à leur égard et la « pariatisation » du Kremlin la conduit à se tourner vers Pékin. Toutefois, la demande d’assistance militaire prend davantage la forme d’un appel à l’aide que d’un simple rapprochement. Soucieux de restaurer son statut de poids lourd politique, Moscou peine désormais à ne pas apparaitre comme le vassal de Pékin. Puisque la puissance économique chinoise ne joue pas dans la même catégorie que celle de la Russie, la constitution d’une alliance pourrait conduire Pékin à rejoindre Moscou dans sa mise au ban de la scène internationale. Finalement, l’axe de convenance décrit davantage ces relations fragiles.
Par crainte d’être marginalisées, ces liens d’amitié indéfectibles entre les puissances illibérales ressemblent davantage à une inféodation en cascade. La solidarité entre ces États est bridée par la fragilité de ses fondements, comme l’atteste le renouveau des tensions entre Ankara et Moscou. Le « nouvel axe du mal » se délite lorsque les intérêts stratégiques de ses membres s’éloignent. De l’autre côté du prisme, outre le manque de concertation et les divergences stratégiques du clan occidental, la nouvelle donne conflictuelle mondiale pousse la communauté des démocraties à renforcer sa cohésion et à approfondir la coopération dans la lutte contre l’offensive de l’autoritarisme.
Alors que les régimes anti-démocratiques ne cessent de dicter l’agenda international, la constitution d’une alliance des démocraties fédèrera l’Occident libéral contre des puissances qui peinent à y parvenir. Cela permettra de dépasser la paralysie du Conseil de sécurité, de freiner la contagion autoritaire et d’endiguer l’incursion de ces régimes dans l’ordre international qu’ils dénaturent. Il s’agira de ne pas abandonner les États qui tombent dans leur giron en renforçant la coopération et en maintenant le dialogue en tout temps. C’est-à-dire ne pas reproduire ce que la diplomatie française a pu faire envers la nouvelle junte malienne. Finalement, le renforcement capacitaire d’un tel partenariat doit prendre la forme d’une approche pangouvernementale qui ne passe pas nécessairement par la confrontation directe avec ses adversaires.
Les fondements d’une communauté des démocraties pour lutter contre les rivaux systémiques
Les États-Unis endossaient le rôle de leader du monde libre jusqu’à la parenthèse Trump. Néanmoins, loin de se cantonner à un seul mandat, le Trumpisme pourrait survivre à son créateur et s’installer durablement dans le spectre politique américain. En ravivant l’idée d’un « pouvoir par l’exemple », le nouveau locataire de la maison blanche pourrait bien redorer le blason démocratique de la première puissance mondiale. Néanmoins, cette nouvelle inconstance dans ce leadership soulève l’enjeu de savoir qui endossera le rôle de champion de la démocratie alors que les mouvances autoritaires se pérennisent dans l’espace politique. Le sursaut civique salutaire en France ou encore aux États-Unis pour faire barrage aux extrêmes et aux populistes fut salvateur, mais la barrière démocratique est mince et un glissement pernicieux vers l’autoritarisme peut vite arriver.
Dans ce contexte, les leaders démocratiques à l’échelle régionale doivent être valorisés pour offrir des abris démocratiques en cas de basculement d’un État vers des formes plus autoritaires de gouvernance. Puisque « la démocratie est mieux promue collectivement », avec ce nouveau leadership démocratique décentralisé qui émergera, la circulation transnationale des dispositifs démocratiques et de régulation politique sera plus diffuse et sécurisée. Les fers de lance de l’Union européenne que sont la France et l’Allemagne pourraient endosser ce rôle malgré leurs divergences sur le devenir de l’Europe. Quant au Canada, il pourrait constituer la solution de replis dans un continent nord-américain fracturé par un état de la démocratie américaine préoccupant. Enfin, des îlots de démocraties comme le Ghana, le Costa Rica ou encore la Corée du Sud peuvent constituer des références de stabilité politique plus inspirantes pour leurs aires régionales respectives. L’Occident se trouvera allégé du fardeau qu’il s’est lui-même infligé et qu’il n’est pas capable d’honorer, à savoir l’exportation de la démocratie.
Ce point chaud s’efforce de déconstruire l’antagonisme entre la démocratie et l’autoritarisme. La nouvelle communauté des démocraties devra également faire preuve de souplesse en appliquant une politique de la porte ouverte. En étant inclusive, cette initiative permettra de saluer les efforts de poursuite des processus de démocratisation en cours sans pour autant offrir un vernis de légitimité démocratique à ceux qui ne le méritent pas. Dans certaines alliances comme l’OTAN cette politique d’entrée a montré ses limites, notamment concernant la pertinence de la candidature ukrainienne. Pour éviter de telles dissensions politiques entre ses membres, la discipline devra être de mise pour ne pas altérer le fondement démocratique de cette communauté et pour dépasser la première expérience non concluante portée par Madeleine Albright en 2000. Tout aussi décevant, le sommet des démocraties à l’initiative du président Biden portait sur la défense contre l’autoritarisme mais a finalement été vidé partiellement de sa substance. Selon le classement Freedom House, un tiers des régimes conviés laissait à désirer ce qui a ravivé l’esprit de recroquevillement clanique de la part de la puissance américaine.
Une nouvelle initiative se doit d’être portée par un groupement d’États démocratiques afin d’éviter une sélection discutable des nations conviées et pour accroitre la légitimité d’une telle alliance. Elle devra également être à l’origine d’un ensemble d’incitatifs ou encore de mesures de soutien/pression pour passer de la rhétorique à l’action. Ensuite, son caractère informel permettra de mettre au ban tous les États qui opèrent un revirement politique vers ces formes alternatives de gouvernance incompatible avec ses idéaux. La mise en place de mécanismes d’alerte précoce permettra de déceler les menaces externes et d’y faire face rapidement. Dans un second temps, développer un soutien indéfectible envers les alliés démocratiques menacés avec une posture crédible de dissuasion est une nécessité. À travers son caractère inédit, l’ampleur de la réponse occidentale envers l’invasion russe pourrait en dissuader plus d’un de réviser les frontières par la force. Néanmoins, cet arsenal de sanctions aurait également pu être déployé par les démocraties non occidentales. Cela aurait conduit à un embargo encore plus performant jugulant dès lors l’économie russe et ses capacités d’amortir les sanctions. Il va sans dire que Moscou souffre. Toutefois, le fait que les sanctions soient presque uniquement occidentales est symptomatique de cette incapacité à élargir le cercle de ceux qui œuvrent contre la montée de l’autoritarisme. Avec cet appui international très faible, la communauté transatlantique est forte, mais bel et bien isolée au sein d’une bulle occidentale. L’attentisme latent du Sud global complique l’isolement de la Russie.
Mettre sur pied une réponse collective à la hauteur de l’offensive de l’autoritarisme est donc la clef d’une communauté des démocraties résiliente face à un front commun illibéral désuni. Fragmenter la collaboration entre les dirigeants autoritaires est une nécessité pour réduire leurs capacités de nuisances. Sans nécessairement encourager un esprit de guerre froide ou encore de sombrer dans une croisade idéologique, un réaménagement et un renforcement des réseaux de partenariat entre les démocraties libérales s’imposent.
Une ligne de conduite démocratique comme préalable à l’engagement stratégique
Au sein des États membres de cette alliance, sur les plans intérieur et extérieur, la cohérence stratégique et le dialogue citoyen doivent dicter l’élaboration des politiques pour améliorer la résilience démocratique. Dès lors, la lutte contre la corruption, l’argent sale et les réseaux d’influence sont une priorité. Le régime de sanctions élaboré contre la Russie a permis de mettre un terme à l’obstination du gouvernement allemand de réaliser le projet Nord Stream 2. Si ce projet a été abandonné par la force des évènements, il a permis d’envoyer un signal fort et il devrait servir d’exemple pour élaborer une ligne de conduite démocratique dont le respect doit être dans l’ADN de nos dirigeants et une condition à tout partenariat international.
Puisque le modèle de gouvernance démocratique est toujours attrayant, les leaders politiques doivent capitaliser sur cette tendance afin d’annoncer des actions et des engagements spécifiques pour promouvoir un respect absolu de la règle de droit passant avant les intérêts stratégiques de chacun. Seulement à travers ce refus du relativisme, les démocraties libérales pourront renforcer l’autorité de la démocratie et développer des leviers de discussions pour contrecarrer les tentations illibérales de nombreuses nations. Les attributs démocratiques se verront renforcer et les régimes autocratiques ou ceux qui s’en rapprochent dangereusement ne seront plus en mesure de coopter l’étiquette de démocratie, en sapant son idéal et les valeurs communes, pour renforcer leur propre crédibilité.
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