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L’invasion russe de l’Ukraine a causé une telle onde de choc dans les capitales occidentales qu’elle a entraîné un sursaut militaire. Celui-ci est marqué, entre autres, par des réinvestissements massifs dans les budgets de défense, le déploiement de milliers de troupes aux frontières orientales de l’OTAN, la livraison accélérée et considérable d’armes aux Ukrainiens, un consensus sur la menace claire et immédiate que représente le revanchisme russe, ainsi qu’un élargissement de l’OTAN à la Suède et à la Finlande. Bref, l’Alliance atlantique semble ressuscitée après sa soi-disant « mort cérébrale » annoncée à l’automne 2019.
À ce portrait d’unité, il faut toutefois reconnaître qu’une certaine disparité demeure dans le sursaut des alliés et ce, à deux niveaux. D’abord, les alliés varient dans leur niveau de réinvestissement en défense et dans l’ampleur du soutien accordé à l’Ukraine. Pour le président Zelensky, ceci s’explique par leurs intérêts divergents. Il s’est ainsi montré critique envers les Français, qui refusent de fournir des armes offensives « parce qu’ils ont peur de la Russie », et des Allemands, qui « font une erreur » en souhaitant ménager leurs liens économiques avec la Russie.
Les alliés divergent en outre sur l’issue souhaitée de la guerre. Les États-Unis et le Royaume-Uni partagent la position maximaliste de l’Ukraine : la défaite totale de la Russie. Selon le secrétaire américain à la défense, « l’Ukraine peut encore gagner la guerre » en affaiblissant durablement la Russie au point où elle ne puisse envahir ses voisins. Similairement, la secrétaire d’État britannique aux affaires étrangères soutient que la victoire de l’Ukraine – un « impératif stratégique » – nécessite de « pousser la Russie hors de l’ensemble de l’Ukraine » et de lui fournir des armes autant défensives qu’offensives aux standards de l’OTAN.
A contrario, la France, l’Allemagne et l’Italie, notamment, demeurent fidèles aux objectifs initiaux de la guerre, c’est-à-dire de minimiser les pertes territoriales de l’Ukraine et forcer la Russie à négocier un cessez-le-feu le plus favorable que possible à l’Ukraine. Dans les mots du président Macron : « Nous restons concentrés sur notre objectif : tout faire pour obtenir un cessez-le-feu et aider l’Ukraine à négocier dans les termes que l’Ukraine décidera pour elle-même. » Le chancelier allemand estime lui aussi qu’il est impératif de mettre fin le plus rapidement possible à la guerre. Si les deux camps se rejoignent sur le soutien à l’intégrité territoriale de l’Ukraine et qu’il appartient aux Ukrainiens de déterminer les conditions acceptables d’un règlement négocié, les maximalistes ont intérêt à ce que la guerre se prolonge afin d’infliger des pertes durables à la Russie. Les minimalistes favorisent, pour leur part, un règlement rapide du conflit et un accord de paix qui ne se fasse « ni dans la négation, ni dans l’exclusion de l’un l’autre, ni même dans l’humiliation ».
Qu’en est-il du Canada ? Si l’on se fie à la rhétorique en provenance d’Ottawa, il se situe résolument dans le camp des maximalistes. La vice-première ministre Chrystia Freeland est allée jusqu’à appeler au changement de régime à Moscou : « Les démocraties du monde entier, y compris la nôtre, pourront être en sécurité seulement lorsque le tyran russe et ses armées seront vaincus ». Lors de sa visite à Kyiv, le premier ministre Trudeau a également appelé à une victoire de l’Ukraine contre la Russie.
Le problème est que, fidèle à ses habitudes, le gouvernement canadien a la verve facile et les gestes plus discrets. Il agit en contradiction avec le conseil prodigué par le président américain Theodore Roosevelt : le Canada parle fort mais tient un petit bâton. Ce paradoxe s’illustre sur le plan des investissements en défense, du déploiement de troupes en Europe et de la fourniture d’armes aux Ukrainiens. Ce fossé entre la rhétorique et le comportement n’est pas nouveau, mais il mine la capacité du Canada d’articuler une politique de défense cohérente. S’il est dans l’intérêt du Canada que l’Ukraine inflige une défaite totale à la Russie, pourquoi ne pas fournir davantage de soutien militaire à l’Ukraine ? Il semble qu’Ottawa préfère une rhétorique grandiloquente à moindre coûts, qui se traduit par une posture internationaliste libérale à rabais. Il serait préférable de s’attarder à mieux circonscrire les contours de la paix souhaitée et de mobiliser toutes les énergies pour l’atteindre.
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