La conférence d’examen du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) doit avoir lieu en janvier 2022. Entre sa ratification en 1968 et la fin de la guerre froide, le paysage nucléaire a radicalement changé. Les tensions géopolitiques croissantes de l’ère multipolaire actuelle ont créé un nouveau sentiment d’urgence en matière de désarmement nucléaire. Les défis auxquels la communauté internationale est confrontée étant désormais trop nombreux pour être traités de manière bilatérale, le dialogue multilatéral est appelé à jouer un rôle clé pour faire face aux dangers entourant les armes nucléaires, leur prolifération et leur utilisation potentielle. Des cadres concurrents au TNP ont même vu le jour avec la signature du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) en 2017. Le Canada est membre du TNP et, grâce à l’utilisation de sa tribune et au développement d’une politique étrangère cohérente en matière de lutte contre la prolifération et de réduction du risque nucléaire, il pourrait jouer un rôle clé dans la construction d’un monde plus sécuritaire.
Cette note stratégique est divisée en quatre sections. Premièrement, elle établit le cadre juridique actuel du TNP et souligne ses principales faiblesses. Deuxièmement, elle évalue les deux facteurs sous-jacents qui rendent nécessaire une action plus concertée en matière de prolifération et de réduction des armements. Troisièmement, elle définit les trois risques qui composent le paysage nucléaire moderne. Quatrièmement, elle fournit au gouvernement du Canada des recommandations sur la manière de réviser modérément son rôle et de tracer une nouvelle voie plus prudente en ce qui concerne les armes nucléaires.
Le cadre juridique du traité de non-prolifération nucléaire
Conceptualisé pendant la guerre froide, le TNP est la pierre angulaire du régime de non-prolifération. Il regroupe 191 États et repose sur trois piliers. Ces piliers font référence à la non-prolifération en soi, au droit de toutes les parties de développer la recherche, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques et, enfin, aux procédures de désarmement. Celles-ci exigent que toutes les parties s’engagent : « à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire ». Si le TNP a relativement bien réussi à réglementer la non-prolifération pendant des décennies, les changements qui ont transformé le système international après la fin du monde bipolaire ont généré des questions et des défis fondamentaux quant à son efficacité. L’intensification des interconnexions entre les États signifie que, à bien des égards, ce traité datant de la guerre froide est désormais incapable de faire face au paysage actuel. En ce qui concerne la non-prolifération, l’octroi d’un monopole intemporel aux États adhérents possédant déjà des armes a amené de nombreuses personnes à qualifier le TNP de « grand bargain ». Et même si la plupart des États l’ont ratifié, la portée de ses dispositions est mise à mal par les fondements mêmes du droit international, à savoir le principe de souveraineté des États. Comme un traité ne peut pas créer d’obligations pour des États tiers, des États comme l’Inde, le Pakistan ou même Israël n’ont jamais été soumis aux limites imposées par le TNP, même s’ils sont aujourd’hui tous des puissances nucléaires publiques ou secrètes. Ceci illustre bien les limites du traité en matière de non-prolifération. Même s’il a fourni un cadre pour les pratiques des États en matière d’armes nucléaires, son inapplicabilité aux États non membres et son manque de légitimité morale concernant l’octroi de monopoles ont de graves conséquences.
En ce qui a trait à la recherche pacifique, même si celle-ci est tout à fait légitime, elle a conduit à une plus grande diffusion des matières et des technologies nucléaires au sein du système international. Ainsi, dès 2007, une quarantaine d’États ont été identifiés comme « possédant suffisamment de matière fissile pour produire une bombe ». Bien que les activités de recherche pacifique ne doivent pas être interdites, elles complexifient néanmoins le calcul de la menace nucléaire aujourd’hui, alors que nous observons une augmentation du nombre d’États utilisant l’énergie nucléaire dans le cadre de leurs efforts en matière d’énergie « propre ». S’il est vrai que l’énergie nucléaire est une énergie performante et qu’elle peut être au cœur du programme de transition énergétique, il est toujours pertinent d’évaluer la diffusion de la technologie nucléaire à travers le prisme des politiques de sécurité et de désarmement. Si l’énergie nucléaire n’est pas intrinsèquement mauvaise, il n’en demeure pas moins que la diffusion de la technologie nucléaire s’est avérée trop diffuse pour être efficacement supervisée, comme cela était prévu à l’origine.
Enfin, c’est en matière de désarmement que le TNP semble le plus obsolète. En effet, même si la dissémination des armes nucléaires a été contrôlée horizontalement, la prolifération verticale a atteint un sommet bien au-delà des prévisions. En ce sens, le TNP fait davantage référence à une obligation de moyens qu’à une obligation de résultat et est particulièrement peu spécifique en ce qui concerne les obligations de désarmement. Ceci est différent des traités couvrant d’autres armes de destruction massive (ADM), comme ceux sur les armes chimiques ou biologiques. S’il est clair que le TNP a eu un impact significatif sur le contrôle de la prolifération nucléaire, la dynamique actuelle reflète une déconnexion importante entre le contexte entourant sa conceptualisation et l’état actuel des relations de pouvoir dans le système international.
Même si le TIAN est récemment entré en vigueur, il ne fait guère de doute que les puissances nucléaires et les pays qui bénéficient d’un parapluie nucléaire ne le ratifieront pas. Les Pays-Bas en sont la preuve, puisque même face à une opinion publique fortement favorable à l’adhésion au traité, la pression internationale l’a emporté sur les préoccupations intérieures et les a tenus à l’écart du traité. Ce que le cadre actuel démontre, c’est que l’autosurveillance n’est sans doute pas le meilleur moyen de parvenir au désarmement ni d’arrêter les programmes d’armement en matière d’ADM, car ce sont les États qui ont le plus besoin d’être surveillés qui fixent les paramètres, desquels d’ailleurs ils ne cessent de se soustraire.
À une échelle plus « micro », les traités bilatéraux ne parviennent pas à suivre la dynamique actuelle du système international en matière de désarmement. Il existe aujourd’hui de multiples dyades nucléaires (États-Unis-Russie, États-Unis-Chine, États-Unis-République populaire de Corée, Inde-Pakistan, Inde-Chine, et potentiellement d’autres), et les liens entre elles sont plus nombreux que jamais. Par conséquent, les restrictions sur les armements par le biais d’accords bilatéraux sont difficiles à maintenir, car les pays peuvent les considérer comme une autodépréciation de leurs capacités militaires face à d’autres concurrents. C’est ce que montre le récent retrait des États-Unis du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), en réaction à la modernisation militaire de la Chine, exempte de traités. Même s’ils restent utiles pour la mise en œuvre de politiques concrètes de désarmement, les traités bilatéraux ne peuvent constituer à eux seuls la solution au désarmement nucléaire. À la lumière de cet aperçu de la structure juridique, il est juste de dire que le cadre actuel du droit international est devenu inefficace et que le désarmement nucléaire reste un défi moderne. Il a besoin d’être renouvelé.
Les facteurs sous-jacents
Même dans le cadre juridique international actuel qui encadre la possession et le développement d’armes nucléaires, il existe des facteurs sous-jacents importants. Bien qu’aucun de ces risques ne soit nouveau, il est important de les prendre en compte avant de passer en revue le paysage nucléaire moderne. Les dernières frappes nucléaires ont eu lieu en 1945, il y a plus de 75 ans. Pourtant, la menace que représente une guerre nucléaire pour la survie de l’humanité demeure aussi grande qu’au cours de la guerre froide : en 2021, le Forum économique mondial classe encore l’utilisation d’armes de destruction massive comme le troisième risque avec le plus d’impact et la plus grande menace existentielle. Dans le contexte de rivaux nucléaires belliqueux qui se défient les uns les autres en cette nouvelle ère de compétition entre grandes puissances, le niveau de risque actuel est croissant, comme le fait valoir l’UNIDIR dans son rapport de 2020. Il existe deux facteurs sous-jacents : l’omniprésence des biais de perception dans le système international et le pouvoir destructeur des armes nucléaires modernes. Associés à la dangerosité du paysage moderne, ils alimentent le décalage qui existe entre les positions des États nucléaires et la menace réelle qu’ils représentent.
La possession d’armes nucléaires rend nécessaire le développement de doctrines pour dissuader efficacement les agressions de rivaux. Pourtant, ces rivalités alimentent un scepticisme mutuel, qui est aggravé par les biais de perception inhérents au système international. Comme le système est « multilatéral et interactif » et que « la notion de dyades de dissuasion distinctes n’est peut-être plus un cadre utile », le danger de perceptions erronées, c’est-à-dire d’une mauvaise interprétation des signaux envoyés par un autre État, ne doit pas être sous-estimé. Le fondement du système international est que « bon nombre des moyens par lesquels un État tente d’accroître sa sécurité diminuent la sécurité des autres », ce qui renvoie au dilemme de sécurité. Cependant, comme les États perçoivent à travers le « processus actif de construction de la réalité », leur perception peut être déviée par des communications erronées, des signaux contradictoires, des informations incomplètes et des biais d’interprétation. Par exemple, Charles A. Duelfer et Stephen Benedict Dyson ont fait valoir de manière convaincante les erreurs de perception étaient au cœur des conflits entre les États-Unis et l’Irak. En effet, les organisations militaires professionnelles ont tendance à être influencées dans leur comportement par des tendances organisationnelles qui, bien souvent, résultent en un échec de dissuasion.
Comme elle joue un rôle dans les conflits conventionnels, la perception erronée pourrait également être à l’origine de tout conflit nucléaire et de toute dynamique de dissuasion, car un événement aussi simple qu’une déclaration mal interprétée, rendue de plus en plus probable par l’erreur humaine et l’interconnexion croissante des dyades de dissuasion nucléaire, pourrait déclencher les arsenaux. Il s’agit d’une caractéristique des relations entre la Chine et les États-Unis, la concurrence autour d’intérêts fondamentaux étant aggravée par des dilemmes de statut. Cela est particulièrement important puisque des études ont constaté que « les attitudes du public sur l’opportunité d’utiliser des armes nucléaires sont largement motivées par des considérations conséquentialistes d’utilité militaire », car « la volonté d’utiliser des armes nucléaires augmente considérablement lorsque les armes nucléaires offrent des avantages par rapport aux armes conventionnelles pour détruire des cibles critiques ». Le TNP ayant été fondé à l’origine sur la doctrine de la dissuasion élargie, les doutes de leurs alliés par rapport aux engagements de sécurité des États-Unis, s’ils ne renforcent pas leurs engagements, pourraient signifier que davantage d’États pourraient chercher à proliférer pour garantir leur sécurité. Ainsi, le biais de perception entre les puissances et ses probabilités croissantes d’impact rendent le paysage actuel, en raison de sa dynamique volatile et multilatérale, préoccupant.
Le potentiel destructeur des armes de destruction massive a été ancré dans la conscience mondiale par l’image des champignons atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki et des centaines de milliers de morts. Avec les avancées technologiques qui ont eu lieu depuis et le développement des bombes thermonucléaires, il est désormais plausible qu’une seule bombe puisse entraîner la mort de millions de personnes. Alors que les bombes qui ont été larguées sur Hiroshima et Nagasaki avaient une puissance respectivement de 15 kilotonnes et 20 kilotonnes de dynamite, les armes thermonucléaires modernes ont maintenant l’équivalent d’au moins 100 kilotonnes de dynamite ou plus. L’utilisation de moins de 1% des 13 125 ogives estimées actuellement pourrait même perturber le climat mondial. En tant que tel, le pouvoir destructeur croissant des armes nucléaires depuis leur invention constitue, à lui seul, une menace existentielle.
Ces deux facteurs exposent ce qui devrait être considéré comme une « déconnexion » entre la façon dont les États dotés d’armes nucléaires traitent leur arsenal et la menace réelle qu’ils représentent. En effet, la façon dont les pays et les acteurs envisagent et calculent les risques réels liés aux armes nucléaires repose sur l’intuition et les données erronées qui proviennent du fait que ces armes n’ont été utilisées qu’à une époque où elles étaient beaucoup moins destructrices qu’aujourd’hui. L’utilisation sous-stratégique des armes nucléaires dans des engagements limités a été directement suggérée par les États-Unis dans leur Nuclear Posture Review de 2018, qui a souligné le rôle du potentiel de guerre nucléaire limitée pour la dissuasion et les théâtres d’engagement régionaux. Certes, les doctrines de l’époque de la guerre froide évoquaient cette possibilité, mais cela revient à négliger ce qui était depuis 1985 un principe directeur de la politique nucléaire des États-Unis et de la Russie : l’accord Reagan-Gorbatchev selon lequel une « guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée ». Les risques que représentent les armes nucléaires sont catastrophiques, et le potentiel de conflits nucléaires, même limités, est important. L’examen du TNP devrait donc être considéré par le Canada non seulement comme une occasion de s’engager dans ce débat, mais aussi comme un moyen d’assurer sa propre sécurité à long terme grâce à l’entremise de traités multilatéraux de réduction des armements des grandes puissances.
Le paysage nucléaire moderne
Le paysage nucléaire actuel doit également être perçu comme une source d’inquiétude. Aujourd’hui encore, les chefs d’États et de gouvernements sont très peu incités à mettre en œuvre des politiques visant à abandonner leurs arsenaux nucléaires. Bien que leurs arsenaux respectifs aient généralement diminué depuis l’entrée en vigueur du TNP, les armes nucléaires constituent toujours un risque actuel pour la communauté internationale. Il y a actuellement neuf États qui possèdent des armes nucléaires : La Chine, les États-Unis, la Russie, la France, le Royaume-Uni, la Corée du Nord, Israël, l’Inde et le Pakistan. Seuls les cinq premiers sont soumis aux dispositions du TNP. Nonobstant le petit nombre d’États dotés d’armes nucléaires, tout argument qui réduit la menace nucléaire à une question dépassée doit être systématiquement rejeté pour plusieurs raisons.
La première tient au fait que certains États se trouvent sur ce que l’on appelle le « seuil nucléaire ». Ces États, qui possèdent la capacité de développer des armes nucléaires si nécessaire, représentent un risque de prolifération important dans le paysage nucléaire actuel. Tous ces États ne représentent pas une menace : les recherches suggèrent que les États qui poursuivent une libéralisation économique sont plus susceptibles d’adopter la modération et la latence que « leurs homologues repliés sur eux-mêmes, nationalistes et radicaux confessionnels ». C’est lorsqu’un tel État du seuil adopte une position hostile à l’égard de ses voisins ou rivaux que la faiblesse actuelle du régime de non-prolifération est mise en évidence. L’État du seuil le plus important et le plus préoccupant est l’Iran. Malgré les pressions et les sanctions internationales, ainsi que l’accord de 2015, on estime qu’en septembre 2021, l’Iran était à un mois de posséder suffisamment d’uranium enrichi pour fabriquer une ogive nucléaire. Comme les dirigeants iraniens ne veulent pas ou hésitent à revenir à la table des négociations avec les États-Unis, cette situation intenable remet en cause la puissance des mécanismes de non-prolifération actuellement en place et ouvre la porte à d’autres crises. De plus, comme Israël perçoit cela comme une menace existentielle, il prévient aussi ouvertement qu’il n’hésitera pas à frapper. Pour fonctionner, le TNP a besoin que tous les participants agissent de bonne foi et soient fiables. Le manque de fiabilité des États-Unis, dû à l’évolution de leur politique intérieure et aux objectifs concurrents des administrations démocrates et républicaines en matière de politique étrangère, a rendu les accords conclus dans le cadre actuel beaucoup plus laborieux.
Un autre point clé est la modernisation de l’armement nucléaire. Même si le nombre global d’ogives nucléaires est en baisse, cela est principalement dû à la campagne de démantèlement des ogives retirées du service par la Russie et les États-Unis. Néanmoins, chaque pays qui possède des armes nucléaires procède actuellement à une modernisation de son inventaire. À cet égard, le cas de la Chine est le plus préoccupant. Depuis son premier essai nucléaire en 1964, la Chine a maintenu une doctrine de dissuasion minimale, qui ne vise qu’une capacité crédible de deuxième frappe. Cependant, les récents développements concernant les capacités nucléaires de la Chine soulèvent de nombreuses questions quant à son engagement envers cette doctrine. Elle a actuellement environ 250 silos en construction à Yuman et Hami, ce qui constitue l’expansion la plus importante de l’arsenal nucléaire chinois à ce jour. La Chine n’est pas non plus le seul pays à suivre cette voie spécifique : les États-Unis et la Russie modernisent simultanément leurs ogives nucléaires, leurs systèmes de lancement de missiles et d’avions, ainsi que leurs installations de production d’armes nucléaires. De surcroit, les récents développements technologiques dans le domaine des missiles hypersoniques ne semblent qu’avoir exacerbé cette dynamique. Dans un contexte d’une intensification de la rivalité entre grandes puissances, le manque de confiance entre les acteurs semble encourager un réinvestissement actif dans les armes nucléaires, ce qui remet en cause le TNP et le rend de plus en plus obsolète et difficile à faire respecter.
Enfin, une troisième raison est la dépendance accrue des États à l’égard de l’armement à propulsion nucléaire. Le nouveau partenariat trilatéral AUKUS entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis est l’exemple le plus récent de ce phénomène. Le premier projet du partenariat sera de « livrer une flotte de sous-marins à propulsion nucléaire à l’Australie ». Ce nouveau développement et la normalisation associée de la possession de matériel nucléaire en dehors du système d’inspection de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) remettent en cause le régime de non-prolifération en introduisant une faille que d’autres États pourraient exploiter. Si la technologie et le matériel nucléaires se répandent à l’échelle mondiale et font partie des arsenaux conventionnels de la plupart des États, cela pourrait faire entrer une quantité croissante d’uranium enrichi dans le paysage actuel sans aucune garantie internationale. Si toutes ces questions rendent le calcul nucléaire actuel considérablement plus complexe, le fait que les lacunes du TNP soient exacerbées par la dynamique nucléaire sous-jacente du système international joue inévitablement un rôle dans l’émergence de ces nouvelles questions.
Recadrer le rôle et les intérêts du Canada
En tant que membre de l’OTAN, le Canada est depuis longtemps impliqué dans le discours nucléaire international. Il a toutefois maintenu une position ambiguë : s’il ne cherche pas à posséder ses propres armes et soutient en principe leur élimination, il est favorable à la possession continue d’ADM par ses alliés et compte sur eux pour assurer sa sécurité à travers l’OTAN et le NORAD. En particulier, l’évolution de la situation au sein de l’OTAN sur cette question pourrait être imminente. Une adhésion comme observateurs au TIAN par la Norvège et l’Allemagne pourrait avoir des impacts significatifs sur la cohésion de l’alliance. Alors que la dissuasion nucléaire redevient un outil stratégique courant et que « la diplomatie du contrôle des armements est en plein essoufflement », le Canada a l’occasion de revoir sa stratégie avec modération et de définir une nouvelle politique étrangère prudente, mais proactive en matière d’armes nucléaires. Celle-ci devrait protéger ses intérêts et ses objectifs stratégiques en maintenant une ambiguïté nécessaire, mais en favorisant également une plus grande sécurité au sein du système international.
Nous proposons que le Canada aborde la conférence d’examen du TNP comme un point d’inflexion et comme une occasion de recadrer modérément sa position nucléaire contradictoire. L’interrelation des deux facteurs sous-jacents susmentionnés avec le paysage nucléaire moderne rend le danger d’une prolifération accrue et les risques associés trop importants pour être simplement ignorés. Les instabilités à venir au sein de l’OTAN en matière de dissuasion nucléaire signifient également que l’actuelle stratégie canadienne de maintien du statu quo ne suffira pas totalement. Puisque la modernisation nucléaire rend le principe de la « dissuasion par punition » plus coûteux et que le débat en cours est sur l’adoption d’une posture de « dissuasion par déni, » il semble clair que le risque d’une augmentation de la vitesse de la course à l’armement et à l’innovation technologique chez les grandes puissances n’est pas minime. Le gouvernement canadien devrait s’engager dans une campagne sur le désarmement nucléaire multilatéral afin de tenter de prévenir toute nouvelle prolifération et de gérer les risques croissants. Nous suggérons trois façons pour le gouvernement canadien de le faire.
1. Promouvoir la réduction des armes nucléaires et un désarmement progressif
Il existe actuellement un manque de confiance entre les États non dotés d’armes nucléaires et les États dotés d’armes nucléaires parties au TNP, notamment en ce qui concerne l’engagement en matière de désarmement. Bien que le nombre d’États possédant ces armes ne représente que 3% des membres du TNP, les préoccupations des États non-détenteurs de l’arme nucléaire n’ont pas encore été entendues. Même si les sondages montrent qu’une forte majorité de Canadiens aimerait voir le Canada adhérer au TIAN, le Canada s’exposerait sans doute à des répercussions de la part de ses alliés en agissant ainsi, ce qui limite considérablement sa marge de manœuvre. Cependant, comme le Canada est déjà membre du TNP, il pourrait profiter de son appartenance à cette plateforme déjà existante.
Dans le cadre de la prochaine conférence d’examen, le Canada doit jouer un rôle de facilitateur. Comme le Canada ne peut pas durcir spontanément sa position sur l’armement nucléaire, il devrait au moins chercher à promouvoir un dialogue transparent entre les États détenteurs de l’arme nucléaire membre du TNP (P5) et les États non-détenteurs de l’arme nucléaire. Les accords bilatéraux étant plus facilement abandonnés, les accords multilatéraux devraient être la nouvelle voie à suivre. Pour éviter une guerre nucléaire, il faut que le contrôle des armements accompagne la dissuasion. Le Canada pourrait plaider pour le renouvellement des politiques de contrôle des armements. En pratique, cela impliquerait pour le Canada de s’opposer à l’extension du stockage des armes nucléaires au sein de l’OTAN au-delà de ce qui est nécessaire pour maintenir ses capacités de dissuasion actuelles dans le cas où l’Allemagne se retirerait du partage nucléaire. Cela impliquerait aussi de soutenir la négociation et la mise en œuvre de nouveaux traités visant à limiter la portée et le potentiel destructeur des technologies des armes nucléaires, et de promouvoir des sanctions contre tout pays qui abandonnerait ces nouveaux traités.
2. Combler les lacunes et rétablir la confiance dans le TNP
Le cadre du TNP est devenu, à certains égards, obsolète et mal adapté aux défis croissants auxquels il doit faire face. Lors de la prochaine conférence d’examen, le Canada devrait plaider en faveur de l’introduction de nouvelles garanties et d’un contrôle de supervision de la possession de matières nucléaires dans le cadre de l’arsenal conventionnel des États. Ramener le TNP sous le système d’inspection de l’AIEA pourrait être une mesure positive pour empêcher l’établissement d’un nouveau précédent préjudiciable, pour rendre impossible aux « proliférateurs potentiels d’utiliser les programmes de réacteurs navals comme couverture pour le développement d’armes nucléaires ». Il est possible que le Canada doive lui-même acquérir des sous-marins à propulsion nucléaire pour remplacer ses navires vieillissants de la classe Victoria considérant que le maintien des capacités opérationnelles de sa marine est l’un des objectifs de la Défense nationale canadienne. Ainsi, la promotion de cette nouvelle mesure pourrait être une preuve de bonne foi préventive qui renforcerait considérablement sa crédibilité s’il devait s’engager dans cette voie, même s’il n’y a aucune chance qu’il se dote de l’arme nucléaire. Bien sûr, si le Canada décide d’acquérir des sous-marins à propulsion nucléaire, l’impact serait limité, mais il est essentiel de combler la lacune en matière de supervision pour rétablir la confiance dans le TNP.
L’importance croissante de l’énergie nucléaire dans les plans de transition de nombreux pays vers une économie à faibles émissions pourrait être un phénomène positif. Cependant, le renforcement de la surveillance des programmes énergétiques pacifiques pourrait également réduire la méfiance et éviter que des États voyous n’utilisent ces programmes pour des motifs secrets. Enfin, il faudrait sérieusement envisager de dynamiser le TNP en introduisant des mécanismes d’application pour pénaliser les États qui ne respectent pas ses dispositions ou qui s’en retirent. La faiblesse du régime actuel est en partie exacerbée par les revirements politiques des principaux acteurs, car il compte sur eux pour lancer des initiatives et des mesures de non-prolifération. La systématisation des sanctions et des conséquences pourrait être un moyen de faire face à cette évolution préoccupante.
3. Renforcer les normes existantes de non-utilisation et d’absence d’essais nucléaires
Nina Tannenwald a fait valoir que, depuis 1945, la norme de non-utilisation des armes nucléaires a été « le phénomène le plus important de l’ère nucléaire ». Cette norme « a stigmatisé les armes nucléaires comme des armes inacceptables de destruction massive ». Bien qu’elle ait été respectée jusqu’à présent, le fait qu’il s’agisse d’un principe normatif signifie qu’elle pourrait également être brisée puisqu’elle ne dispose, en soi, d’aucun mécanisme d’application et que l’aversion envers les armes nucléaires est relative au sein de la population. Le principe Reagan-Gorbatchev, même s’il date de l’époque de la guerre froide, devrait être renouvelé et promu par le Canada. Certaines dyades, comme les États-Unis et la Russie, s’y sont récemment réengagées. Encourager les autres États à les suivre serait une étape importante. Empêcher les États d’envisager sérieusement des stratégies de première utilisation et un engagement limité est une autre étape nécessaire pour renforcer cette norme. En outre, la norme de l’interdiction d’essai nucléaire devrait également être renforcée, car elle « signifie la reconnaissance des dangers associés à l’utilisation ». En pratique, cela signifie que le Canada devrait utiliser son influence et sa tribune pour promouvoir l’engagement de toutes les puissances nucléaires sur ces questions, et leur réengagement envers ces deux normes.
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