Les deux dernières décennies ont été difficiles pour la politique étrangère canadienne. Les gouvernements successifs à Ottawa ont eu du mal à articuler une politique cohérente ancrée dans nos valeurs et nos intérêts et à allouer des ressources à ces objectifs. En bref, nous avons perdu le contrôle de notre propre destin dans le monde.
En temps aussi confus, un premier pas vers une nouvelle réflexion sur notre place dans le monde devrait commencer par une prise de conscience des préférences et des ambitions des Canadiens en matière de politique étrangère. À cette fin, le Réseau canadien sur la défense et la sécurité a convoqué certains des plus grands experts du Canada pour concevoir une enquête publique. Un groupe dirigé par l’Université de Calgary a travaillé avec Nanos Research pour déployer un sondage en août 2020, interrogeant 1504 Canadiens sur leurs attitudes à l’égard de la politique étrangère et de défense.
Cliquez ici pour consulter les résultats du sondage.
Nous avons d’abord demandé aux Canadiens quel devrait être, selon eux, notre rôle dans le monde. La réponse de loin la plus courante (31% des répondants) était que le Canada devrait être un gardien de la paix, un médiateur ou une voix de la raison dans les affaires internationales. D’autres réponses courantes relevaient que le Canada était un chef de file/décideur, un modèle et un défenseur des droits de la personne et aidant ceux qui en ont besoin.
Ces réponses montrent que les Canadiens croient généralement que notre contribution aux affaires mondiales devrait se concentrer sur la désescalade des tensions dans un environnement international tendu où le caractère raisonnable fait défaut. En d’autres mots, il s’agit d’un rôle ambitieux pour n’importe quel pays, sans parler d’une petite puissance comme le Canada qui n’a ni la puissance économique ni la puissance militaire pour diriger le cours des événements mondiaux. En outre, nos moyens d’influence traditionnels, comme tirer parti des organisations internationales, ont été limités par l’enchevêtrement croissant de la concurrence des grandes puissances. Ce que nous pouvons faire, cependant, c’est diriger notre énergie et notre détermination vers l’établissement de relations plus solides avec des pays partageant les mêmes idées – comme le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, le Japon, l’Australie et la Corée du Sud – et mobiliser ces réseaux pour créer des zones d’ordre dans un monde agité.
Deuxièmement, nous avons demandé dans quelle mesure, le cas échéant, les répondants pensent que le Canada fait face à des menaces internationales. 41% des personnes interrogées ont répondu que ces menaces étaient importantes, tandis que 36% étaient neutres et 20% dans une faible mesure. Cela montre que les Canadiens sont conscients de la détérioration de l’environnement sécuritaire dans le monde. Toutefois, comme la figure 1 ci-dessous semble l’indiquer, il y une forte disparité suivant les régions et le sexe avec les Québécois et les femmes étant le plus circonspecte face à la présence d’une menace internationale. Les répondants des Prairies (Alberta, Saskatchewan et Manitoba) et les hommes, quant à eux, perçoivent cette menace plus réelle. Lorsque nous leur avons demandé ce qu’ils croyaient être la menace la plus et la deuxième menace la plus importante, la Chine (34%) a été identifiée comme la principale menace, suivie de très près par les États-Unis/Trump (31%), des cyber-attaques (16%), et du terrorisme (13%). La patience des Canadiens avec la Chine et les États-Unis s’érode et, par conséquent, cela augmente le coût intérieur des efforts du gouvernement pour promouvoir de meilleures relations avec ces pays.
Figure 1 : Perceptions de la menace chez les Canadiens (disparités entre région et sexe)
Troisièmement, nous avons examiné comment le Canada devrait promouvoir sa place dans l’environnement mondial. La figure 2 ci-dessous présente les résultats. Les réponses les plus courantes étaient la diplomatie (82%), le commerce international (80%) et la politique environnementale (79%). Comparativement, l’immigration (59%), l’aide étrangère (54%) et la défense nationale (54%) étaient considérées comme moins importantes en tant qu’instruments de politique étrangère. Cette focalisation sur la diplomatie, le commerce et la politique environnementale correspond à l’idée que notre valeur ajoutée dans les affaires mondiales est notre capacité à transcender les intérêts personnels et à travailler vers des objectifs plus larges à long terme. Ce qui est surprenant, cependant, c’est que nous n’avons pas vraiment investi dans ces outils. Il semble que les Canadiens sont en faveur d’une augmentation des ressources consacrées à la diplomatie canadienne.
Figure 2 : Importance des outils de politique étrangère pour promouvoir la place du Canada dans le monde
Quatrièmement, sur la question de l’équilibre entre la promotion de nos intérêts et de nos valeurs, 59% des Canadiens ont soutenu que nous devrions donner la priorité à la promotion de nos valeurs dans le monde, tandis que seulement 17% ont suggéré que nous devrions nous concentrer sur nos intérêts, avec quelques écarts importants constatés entre les régions et entre les genres. Un très grand nombre de Canadiens (36%) ont indiqué que le commerce et les échanges économiques étaient nos principaux intérêts nationaux, tandis que 16% ont répondu la responsabilité environnementale, 8% la sécurité et 6% le pétrole et le gaz/l’énergie.
Lorsque nous leur avons demandé précisément quelles valeurs devraient être promues, 25% ont répondu l’inclusion, l’équité et l’égalité, suivi de la paix (13%), des droits de l’homme (13%) et de la démocratie (11%). Cet accent sur l’inclusivité est très intéressant. En termes de politique étrangère, les Canadiens expriment le besoin d’être authentique – pour reprendre la notion de Charles Taylor – sur la scène mondiale. Cela pourrait être réalisé en ancrant notre politique dans notre sens commun en tant que société pluraliste, et en s’efforçant de développer un projet politique qui reconnaît la force de la diversité. L’accent mis par le gouvernement Trudeau sur une politique étrangère féministe est une bonne première étape, car cela reconnaît notre attachement à l’égalité des sexes. Néanmoins, il ne tire pas pleinement parti de l’étendue d’une société qui négocie, bien qu’imparfaitement, le bilinguisme, l’inclusion et la reconnaissance des Noirs, des Autochtones et des personnes de couleur, et un engagement à promouvoir les droits des LGBTQ +. De toute évidence, le gouvernement du Canada peut redéfinir ses priorités et être plus audacieux.
Cela n’est qu’un aperçu de ce que nous apprenons sur l’attitude des Canadiens à l’égard de la politique étrangère, mais deux grandes conclusions semblent découler de ces résultats. Premièrement, les Canadiens veulent s’impliquer dans les affaires mondiales, s’engager vigoureusement dans la diplomatie pour promouvoir nos valeurs – en particulier notre attachement à un projet politique centré sur la tolérance et la diversité – et nos intérêts économiques. Deuxièmement, les attitudes agressives de Pékin et de Washington D.C. sont perçues comme les principales menaces à la souveraineté canadienne et à la stabilité internationale. Les Canadiens ont pris note de la concurrence croissante entre ces deux puissances et se méfient de plus en plus d’elles. Cela justifie les efforts de la part du gouvernement canadien pour développer de meilleures relations avec d’autres États du monde et pour investir des ressources dans notre corps diplomatique afin de réduire notre dépendance à l’égard de la Chine et des États-Unis.
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