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Les armes hypersoniques peuvent renforcer les craintes d’attaques préemptives et modifier dangereusement les scénarios d’escalade des crises dans les années à venir. Cet argument populaire repose sur l’idée selon laquelle leur trajectoire de vol imprévisible crée une ambiguïté en ce qui concerne la cible des missiles. En outre, le fait que les radars ne s’adaptent pas très bien à leur altitude inhabituelle et à leur vitesse extrême réduit l’intervalle du temps durant lequel le pays attaqué peut réagir. Alors que les missiles balistiques existants franchissent le seuil hypersonique de Mach 5, les nouvelles armes hypersoniques – à la fois les planeurs hypersoniques et les missiles de croisière – sont destinées à voler à des vitesses hypersoniques soutenues dans l’atmosphère et ont suffisamment de manœuvrabilité pour changer leur trajectoire de vol. Cependant, l’utilité militaire des armes hypersoniques reste incertaine, en particulier dans le cas des systèmes à longue portée, et leur fiabilité ainsi que leur faisabilité nécessitent encore des tests rigoureux. Il est probable que les armes hypersoniques ne créent de nouveaux effets militaires qu’à des distances tactiques, principalement en raison de leur vitesse qui raccourcit l’intervalle de temps pour réagir.
- L’infrastructure actuelle du NORAD n’est pas suffisante pour faire face à l’élargissement du spectre des menaces liées aux missiles. La prétendue invincibilité des armes hypersoniques ne devrait pas empêcher le Canada d’affirmer ses choix stratégiques. Elle ne devrait pas non plus miner sa détermination à moderniser le NORAD. Le gouvernement du Canada devrait aborder la question des armes hypersoniques selon deux lignes politiques.
- Premièrement, en coordination avec les États-Unis, le Canada doit accroître la protection de l’espace aérien nord-américain. La défense de la zone continentale nord-américaine devra être, à l’avenir, multidimensionnelle et intégrée, associant des capteurs terrestres et spatiaux aux contre-mesures sol-air et air-air pour une détection rapide et un suivi constant, tout en permettant une interception efficace. Cela nécessite non seulement d’améliorer la portée de l’alerte précoce et de moderniser les systèmes de communication, de commandement et de contrôle, mais également d’introduire de nouveaux intercepteurs de missiles. L’investissement qui a été approuvé pour la modernisation du NORAD permet au Canada d’ajouter des capacités et d’élargir son mandat.
- Deuxièmement, pour contrer la politisation et la médiatisation des armes hypersoniques, le gouvernement du Canada devrait travailler avec ses alliés afin d’améliorer la compréhension des menaces hypersoniques. L’instrumentalisation de la technologie hypersonique dans la compétition des grandes puissances a créé des attentes exagérées concernant les effets militaires des armes hypersoniques. Alors que la course technologique entre les États-Unis, la Chine et la Russie s’intensifie, le Canada et ses alliés doivent accélérer leurs efforts pour mettre à jour les normes de contrôle des armements et d’exportation existantes afin de mieux réglementer le développement et l’utilisation de la technologie hypersonique à des fins militaires, ainsi que de contrôler sa prolifération.
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Introduction
La menace liée aux missiles russes a particulièrement augmenté en Europe avec la fin du traité FNI (traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire) en 2019 et le déploiement de missiles aérobalistiques Kinzhals à Kaliningrad, l’enclave russe à la frontière de la Pologne et de la Lituanie, tous les deux membres de l’OTAN. De plus, le planeur hypersonique Avangard développé par la Russie ces dernières années a une portée stratégique capable de frapper le continent nord-américain. De ce fait, Les systèmes d’armes hypersoniques en tant que nouveaux vecteurs d’ogives nucléaires et non nucléaires gagnent également en importance dans le contexte de la politique affirmée par la Chine visant à porter son arsenal nucléaire à 1 000 ogives avant la fin de la décennie.
Les attentes exagérées concernant la capacité hypersonique – et à leur tour les lignes budgétaires gonflées qui garantissent l’investissement dans de nouvelles armes – dégradent l’environnement de sécurité. La course technologique intense entre les États-Unis, la Russie et la Chine, et dans une moindre mesure en Australie, en Corée du Sud, en Inde, en France, en Royaume-Uni et au Japon, mais aussi en Corée du Nord et en Iran, a aggravé le dilemme de la sécurité. Étant donné que cette technologie émergente a acquis la réputation d’être une arme invincible et imparable, les pays tentent de construire leur arsenal à partir de la perception de leur propre vulnérabilité et les exhibent lors de défilés militaires, de conflits en cours ou lors d’essais d’armes.
Une fois que la nouvelle technologie hypersonique aura mûri, soit d’ici les années 2030, quelle sera l’efficacité des radars du Système d’alerte du Nord (SAN) contre des missiles qui atteignent des vitesses extrêmes et qui évoluent à des altitudes inhabituelles ? Le rôle défensif du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) actuellement appuyé par le Canada ne sera pas suffisant pour contrer les missiles de croisière à longue portée ou les planeurs hypersoniques avancés. Cependant, même si cela est peu connu, la gestion des systèmes d’arme hypersonique impose un arbitrage entre vitesse, maniabilité et altitude, et il est possible d’exploiter ces faiblesses afin de renforcer les défenses contre la menace hypersonique.
Cet article met en avant trois points principaux. Premièrement, les affirmations sur l’utilité militaire des armes hypersoniques sont prématurées, en particulier dans le cas des systèmes à longue portée. Deuxièmement, il est certain que le nombre de menaces liées aux missiles a augmenté avec le développement de systèmes d’armes extrêmement rapides et manœuvrables depuis le ciel. Enfin, troisièmement, cette concurrence technologique est devenue politisée, les armes hypersoniques servant d’outil politique pour démontrer les prouesses technologiques et le statut de grande puissance d’un pays, ce qui augmente les risques d’escalade lors des crises. Pour ces raisons, il est important d’avoir conscience des attentes exagérées concernant l’application militaire de la technologie hypersonique et de repenser la façon dont le Canada assure sa défense aérienne et antimissile.
Menace hypersonique en cours de fabrication
Les armes hypersoniques sont présentées comme une nouvelle classe de vecteurs qui peuvent voyager à des vitesses extrêmes (cinq fois la vitesse du son) dans l’atmosphère terrestre et ont une capacité de manœuvrabilité exceptionnelle. Elles sont de plus présentées comme des armes qui combinent l’avantage des missiles balistiques (vitesse) et de croisière (précision) existants.
Concrètement les développements et travaux portant sur les armes hypersoniques se déclinent en deux variantes principales, reposant soit sur la technologie de « superstatoréacteur » (scramjet), soit sur la technologie de « rebond atmosphérique » (boost-glide). Premièrement, les missiles de croisière hypersoniques (HCM, Hypersonic Cruise Missile) sont une version plus rapide des missiles de croisière existants, car ils sont propulsés par un statoréacteur à combustion supersonique, également appelé « superstatoréacteur ». Parce que les statoréacteurs obtiennent l’oxygène nécessaire directement de l’atmosphère, les missiles hypersoniques sont plus petits et plus maniables. Étant donné que les superstatoréacteurs sont utilisés dans des conditions extrêmes, il a fallu plusieurs décennies pour développer un moteur qui fonctionnerait à une vitesse hypersonique dans l’atmosphère. Toutefois en raison de défis techniques, il n’existe aujourd’hui aucun système d’armes d’ores et déjà déployé et en activité utilisant un superstatoréacteur.
Deuxièmement, les planeurs hypersoniques (HGV, Hypersonic Glide Vehicle) ne sont pas motorisés et dépendent d’une fusée pour être soulevés et libérés dans l’atmosphère à des altitudes comprises entre 40 et 100 kilomètres, après quoi ils volent sans moteur vers leur cible. Contrairement à la trajectoire facilement calculable des missiles balistiques, le concept de rebond atmosphérique rend les altitudes de rentrée des HGV imprévisibles et permet au planeur de manœuvrer le long de trajectoires alambiquées.
La plupart des HGV en développement utilisent des missiles balistiques pendant la phase de « boost ». En 2021, la Chine a installé un planeur hypersonique sur une fusée en orbite, inspirée du système soviétique de bombardement orbital fractionné ou FOBS (opérationnel de 1969 à 1983). La nouveauté de ce système ne réside pas dans la combinaison d’un orbiteur et d’un planeur hypersonique. En effet, ce type de système existe depuis des décennies sous le nom de navette spatiale, un système propulsé par une fusée qui passe ensuite en mode de vol orbital, avant de revenir en planant vers la Terre. Ainsi, la nouveauté réside plutôt dans l’utilisation par la Chine d’ogives nucléaires sur ces systèmes.
En un mot, les caractéristiques des nouvelles armes hypersoniques sont censées créer un moment de surprise, car elles raccourcissent l’intervalle de temps dans lequel le pays attaqué peut réagir. Comme elles peuvent changer de direction de vol à des altitudes inhabituelles, elles peuvent également échapper aux défenses antimissiles et déstabiliser le pays attaqué qui peut difficilement prédire leur cible. De plus, les capacités de destruction de ces armes ne reposent pas uniquement sur leur énergie cinétique : elles peuvent également transporter des ogives. La Russie et la Chine développent toutes deux des systèmes duaux, c’est-à-dire qu’ils ont la capacité de transporter des ogives conventionnelles comme des ogives nucléaires. Par exemple, le missile de croisière hypersonique russe 3M22 Tsirkon d’une portée de 1 000 km, le missile balistique chinois DF-17 (2 500 km), ainsi que le missile balistique intercontinental DF-41 associés à des planeurs hypersoniques sont à double usage. La capacité hypersonique offensive devrait donc ajouter une ambiguïté quant au type d’ogive utilisé et à l’identité de la cible.
Contourner les lois de la physique
Tout cela semble plutôt terrifiant, mais l’état de la recherche technologique et les lois de la physique recommandent un certain scepticisme. Du point de vue technique, la maîtrise de la capacité hypersonique, c’est-à-dire la capacité de voler à des vitesses hypersoniques dans l’atmosphère tout en conservant la navigabilité et la maniabilité, est une question relative à la science des fusées. La communauté scientifique estime que les HGV et les HCM ne seront pas opérationnels avant les années 2030 (pour les HGV) et 2040 (pour les HCM). En effet, les pays qui souhaitent déployer ces armes doivent encore résoudre quelques problèmes importants : il leur faudra notamment dépasser les difficultés rencontrées pour atteindre la vitesse hypersonique dans une atmosphère épaisse. En effet, la chaleur créée par la friction de l’air à des vitesses aussi élevées peut faire fondre le missile (ou le planeur), gâcher sa navigation ou le rendre visible aux capteurs infrarouges qui pourraient alors le suivre le missile, ruinant ainsi le précieux effet de surprise des systèmes hypersoniques. En même temps, ces véhicules sont sensibles à toute imperfection ; par exemple, une fissure dans le panneau de carbone a provoqué l’accident de la navette spatiale Columbia lors de son retour. Non moins important, le vol hypersonique motorisé est plus demandeur en carburant que le vol supersonique, car le véhicule doit traverser l’atmosphère. Cela augmente le coût opérationnel de ce système d’armes.
Le développement de ces systèmes d’armes hypersoniques est coûteux en temps et en ressources. Les nouvelles armes hypersoniques doivent faire l’objet de tests supplémentaires, mais leurs exigences techniques en font déjà une capacité de niche. Voler hypersonique dans l’atmosphère implique des compromis importants en termes de vitesse, d’altitude, de maniabilité et de précision. Fait important et plutôt surprenant, deux points sont généralement omis dans les débats publics sur les armes hypersoniques : leur utilité militaire discutable et la possibilité de contre-mesures.
Faisable et utilisable dans une certaine mesure
Premièrement, bien que les armes hypersoniques puissent être techniquement réalisables, leur utilité militaire, en particulier à des distances stratégiques, reste incertaine. Du point de vue militaire, la question de savoir quel problème les nouveaux systèmes d’armes hypersoniques tentent de résoudre reste sans réponse. Les missiles hypersoniques existent depuis plusieurs décennies, ils sont simplement mieux connus sous le nom de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM). Techniquement, tous les missiles balistiques d’une portée supérieure à quelques centaines de kilomètres sont hypersoniques puisqu’ils peuvent voler plus vite que Mach 5. Par exemple, le Minuteman III américain, opérationnel depuis 1970, peut parcourir plus de 9 600 kilomètres pour atteindre Mach 23. Des études basées sur la modélisation informatique ont montré que la vitesse et la portée des planeurs hypersoniques sont comparables, sinon inférieures, aux ICBM existants et aux missiles balistiques lancés par sous-marin.
L’avantage stratégique des armes hypersoniques risque donc d’être minime. Selon l’endroit où elles sont développées, les armes hypersoniques rétablissent ou éliminent la destruction mutuelle assurée. L’argument en faveur des armes hypersoniques stratégiques met en avant qu’elles renforcent la dissuasion en améliorant les capacités de frappe en second. En revanche, ces armes peuvent éroder la dissuasion en permettant au pays de surmonter les défenses antimissiles et d’abattre la capacité de frappe en second de l’adversaire.
En effet, pour la Russie, les planeurs hypersoniques à longue portée ont une nouvelle qualité qui leur permettrait de surmonter les défenses intérieures américaines. Même si l’avantage des armes hypersoniques est plus faible lorsqu’elles parcourent des distances intercontinentales, elles représentent, pour la Russie, une stratégie de couverture. En revanche, la Chine a développé des armes hypersoniques pour davantage projeter sa puissance en mer de Chine méridionale et au-dessus de Taïwan en contournant les défenses antimissiles américaines dans la région Asie-Pacifique. La crainte chinoise d’une frappe préventive américaine qui désactiverait la capacité nucléaire de la Chine et priverait la Chine de sa capacité de riposte semble être le motif qui justifie l’équipement de son DF-41 avec plusieurs planeurs.
Cependant, la Chine et la Russie ont déjà la capacité d’atteindre le sol américain avec leurs ICBM et leurs missiles balistiques lancés par des sous-marins nucléaires. En outre, les défenses antimissiles continentales contre les missiles balistiques à longue portée existants ne sont pas connues pour leurs performances éblouissantes. Pourtant, l’obsession de déjouer le réseau américain de défense aérienne et antimissile a conduit à une situation quelque peu extrême où la Chine a testé un planeur hypersonique à partir de l’espace. Inspirée par les FOBS, la Chine a démontré qu’elle pouvait échapper complètement aux défenses antimissiles américaines en survolant le pôle Sud. Cependant, le test d’un tel système de planeur à propulsion orbitale pourrait n’être qu’un signal de la Chine qui montre son accès à l’espace, et une distraction de l’utilisation potentiellement plus conséquente d’armes hypersoniques à des distances tactiques.
Les effets hypersoniques se feront en effet très probablement sentir au niveau sous-stratégique. Cela peut inclure la capacité de contrecarrer les défenses locales et de fournir des capacités de frappe rapide contre les forces armées déployées localement, en particulier dans la guerre navale, et contre des cibles de grande valeur, urgentes ou encore des cibles renforcées. La Russie et la Chine ont ainsi l’intention d’acquérir des missiles antinavires, tels que le Tsirkon russe 3M22 et le Starry Sky-2 (ou Xing Kong-2) de la Chine, qui sont capables de rendre même des porte-avions vulnérables. Ces systèmes hypersoniques peuvent avoir des implications stratégiques en raison de la capacité duale de leurs vecteurs. On passe à côté de l’essentiel lorsque l’on discute pour déterminer si un pays déploie des armes nucléaires à des vitesses supersoniques ou hypersoniques : le type d’ogive fait la différence, pas la vitesse.
L’interception des missiles hypersoniques
Deuxièmement, les missiles hypersoniques peuvent être arrêtés. Bien que la lutte contre les menaces hypersoniques soit difficile en raison de leurs vitesses élevées, de leur maniabilité et de leurs altitudes de vol, leur signature infrarouge et des vulnérabilités liées au vol hypersonique dans l’atmosphère rendent l’interception de la phase de vol plané réalisable. Cependant, il faudrait une amélioration majeure de l’architecture des capteurs spatiaux et de nouvelles capacités d’interception pour tenir compte des altitudes de fonctionnement (20-100 kilomètres), de la trajectoire imprévisible et de la vitesse des armes hypersoniques.
Les systèmes de défense améliorés devront articuler plusieurs strates de capteurs et permettre l’intégration de toutes les données, et ce, sur tout le continent. Ils devront aller au-delà des défenses antimissiles balistiques classiques. Les systèmes de défense aérienne et antimissile existants reposent principalement sur les radars terrestres et maritimes pour l’alerte précoce, et ces radars ne sont pas équipés pour suivre les armes hypersoniques de manière efficace. On s’attend à ce que les armes hypersoniques volent à des altitudes plus basses, c’est-à-dire inférieures à l’altitude des intercepteurs de missiles balistiques et suffisamment basses pour que la courbure de la Terre les rende indétectables par la détection radar au sol tout en étant au-dessus de l’altitude des défenses aériennes les plus basses. Des systèmes de défense aérienne et antimissile efficaces devraient connecter les parties thermiques des capteurs infrarouges avec les capacités d’interception de la couche supérieure à l’extérieur de l’atmosphère et les capacités d’interception de la couche inférieure dans l’atmosphère pour une capacité globale de détection et de suivi d’une menace hypersonique. En effet, l’Agence américaine de défense antimissile (MDA), en collaboration avec l’Agence de développement spatial, a développé une constellation de satellites de surveillance en orbite basse avec des capteurs pour indiquer et avertir d’un lancement. La MDA a également lancé des efforts pour réaliser un Glide Phase Interceptor, un nouveau prototype de missile qui sera associé au système de défense antimissile balistique Aegis.
Les signatures infrarouges et le plasma autour des véhicules hypersoniques pourraient déjà permettre aux systèmes de défense Patriot et THAAD (Terminal High Altitude Area Defense) de détecter les armes hypersoniques pendant la phase de vol plané lorsqu’elles opèrent à l’intérieur de l’atmosphère et à des vitesses plus faibles. En adaptant les logiciels et la propulsion, il sera possible d’intercepter les missiles lors de cette phase à une courte distance. En effet, si ces systèmes de défense peuvent être adaptés pour intercepter les armes hypersoniques, ils ne peuvent couvrir que de petites zones et il serait excessivement cher de les utiliser pour la défense continentale. Pourtant, toute défense efficace contre des missiles extrêmement rapides et manœuvrables devrait probablement s’organiser à l’échelle du continent. Cela nécessitera une coopération entre les alliés et, en fin de compte, une intégration par le biais de l’intelligence artificielle, car les nouveaux systèmes de défense nécessiteront de nouveaux outils logiciels pour traiter au plus vite des données de renseignement multiples, détecter les lancements d’armes et suivre les menaces imminentes.
L’étape cruciale consistera à articuler efficacement deux aspects de la défense :
- D’une part, les nouvelles strates/couches (en cours de développement) de capteurs spatiaux d’alerte précoce qui détecteront et suivront la signature thermique (cette signature étant plus forte au début des phases de vol)
- D’autre part, des effecteurs qui s’appuient soit sur les capacités d’interception de la couche supérieure, tel qu’elles sont fournies par les systèmes adaptés Aegis et THAAD, soit sur les capacités d’interception de la couche inférieure (dans l’atmosphère), tel qu’elles sont fournies par les systèmes Patriot et SAMP/T.
Étant donné que les armes hypersoniques opèrent dans un entre-deux, entre les domaines aérien et spatial, les armes hypersoniques peuvent avoir un impact significatif sur l’efficacité des systèmes de défense aérienne et antimissile.
La place de la technologie hypersonique dans la compétition géopolitique
Compte tenu des limitations technologiques persistantes, l’effet actuel des armes hypersoniques a été principalement psychologique du fait d’une signalisation stratégique, d’une projection de statut, d’une volonté d’intimidation des adversaires et d’une propagande. Par exemple, à la veille de la Journée de l’armée chinoise le 1er août, Pékin a présenté publiquement et pour la première fois une vidéo de lancement de son missile DF-17. Ce missile est connu pour sa capacité à transporter un planeur hypersonique depuis 2019. Bien que l’on sache peu de chose sur l’état opérationnel de cette arme, la vidéo de lancement intervient quelques jours avant la visite de Nancy Pelosi à Taïwan, et avant son test du système de missile DF-17 lors d’un exercice de tir réel dans le détroit de Taiwan.
Bien que (ou parce que) la Russie soit devenue une puissance militaire en déclin empêtrée dans une guerre, le président Poutine a annoncé que les forces navales russes allaient être équipées de missiles de croisière hypersoniques Tsirkon. L’utilisation très médiatisée du missile Kinzhal en Ukraine en mars 2022 (prétendument la première arme hypersonique utilisée en temps de guerre) traduit une tentative russe d’utiliser un soi-disant missile hypersonique afin d’afficher un prétendu sentiment de confiance. Kinzhal est cependant essentiellement une arme de propagande ou pour être plus exact un missile balistique air-sol présenté comme un système d’arme hypersonique sans qu’aucune capacité de manœuvre exceptionnelle n’ait été documentée. Plus précisément, il s’agit d’une version modifiée du missile balistique tactique Iskander-M sol-air, lancée à partir d’un avion intercepteur supersonique MiG-31, qui propulse le missile pour qu’il atteigne des vitesses plus élevées à une altitude inhabituelle pour un missile balistique et ainsi étende sa portée.
Les armes hypersoniques, et les technologies émergentes en général, sont devenues un outil politique des gouvernements qui les utilisent à des fins de propagande grâce à leur réputation d’arme invincible destinée à intimider et à contraindre l’adversaire. Le pouvoir politique peut ainsi alimenter les craintes existantes en déformant les faits quant à l’état opérationnel de leurs armements. Indépendamment du manque de données et d’informations vérifiées sur la fiabilité et les performances des systèmes d’armes hypersoniques, la Chine et la Russie ont affirmé à plusieurs reprises avoir déployé ces armes.
La Russie aurait déployé son premier planeur hypersonique Avangard en décembre 2019. En 2020, la Chine a déclaré que son planeur hypersonique DF-17 était opérationnel. Les États-Unis, de leur côté, ont affirmé qu’ils n’avaient, pour l’instant, testé que des prototypes d’armes et qu’ils mettraient en service leurs armes hypersoniques en 2023. Même si les États-Unis avaient déjà investi dans l’hypersonique dans le cadre du programme Prompt Global Strike (frappe planétaire rapide), l’augmentation du budget de la recherche hypersonique au cours des dernières années, (de quelques centaines de millions à quelques milliards de dollars) s’est effectuée en réaction aux progrès technologiques russes et chinois dans la mise en service de systèmes d’armes hypersoniques. Cela reflète une perception de manque de progrès des États-Unis dans le développement de nouvelles armes hypersoniques offensives, plutôt qu’une volonté de combler une lacune réelle dans leurs capacités militaires.
Actuellement, les menaces hypersoniques ne sont pas basées sur une capacité militaire réelle et ne confèrent aucun avantage significatif. Alors que les armes hypersoniques pourraient être techniquement possibles dans les deux prochaines décennies, la disponibilité technique et la faisabilité technologique ne produisent pas automatiquement des effets militaires réels si elle n’est pas accompagnée d’une doctrine solide.
Par conséquent, les remous médiatiques à propos des armes hypersoniques sont plus dangereux que la technologie elle-même, principalement pour deux raisons. Premièrement, perpétuer la croyance en des armes révolutionnaires invincibles alimente la rivalité entre grandes puissances. L’utilisation de la réputation des armes hypersoniques comme outil politique pour rappeler son statut de grande puissance, en particulier à une époque où les normes de contrôle des armements disparaissent, crée de l’instabilité. Deuxièmement, l’hypervitesse n’est qu’une des caractéristiques qui façonneront la guerre future dans les domaines aérien et spatial. L’attention médiatique met l’accent sur la vitesse, alors qu’elle devrait le mettre sur la manœuvrabilité. Cela masque donc le fait que le spectre des menaces liées aux missiles s’élargit et qu’il existe des missiles avec différents degrés de manœuvrabilité. Par exemple, au lieu de planeurs hypersoniques sensationnels, mais mal définis, il serait plus exact de parler d’une nouvelle génération de vecteurs de rentrée manœuvrable (MARV), ce qu’améliorent la manœuvrabilité et étendent la portée d’un missile tout en restant dans l’atmosphère pendant la majeure partie de leur vol.
Quelles implications de ces systèmes d’arme hypersonique pour la défense du Canada et de l’Amérique du Nord ?
Contrairement au déterminisme technologique, qui se manifeste dans l’attention médiatique qui clame la fausse promesse d’une arme hypersonique révolutionnaire, l’armée a besoin d’une doctrine raisonnable et d’un budget pour financer les programmes de développement hypersoniques, ainsi que d’une politique de technologie hypersonique saine. Il reste vital d’apprivoiser la course au prestige et à la suprématie technologique, ce que déforme les perceptions des menaces des pays et augmente le risque d’escalade de la crise. Ces trois puissances militaires prévoient d’acquérir des armes de combat hypersoniques, ce qui contraste avec leur principale mission de dissuasion. Une fois que la technologie hypersonique aura mûri, permettant aux systèmes d’armes de devenir opérationnels et de produire des effets militaires à valeur ajoutée, la capacité hypersonique représentera un facteur majeur dans la détection et l’interception des menaces de missiles.
Le gouvernement du Canada serait bien avisé d’aborder la question de la menace hypersonique dans le contexte de l’élargissement du spectre des menaces liées aux missiles selon deux orientations stratégiques.
1/ Mettre à jour les défenses antimissiles en coordination avec les États-Unis pour protéger l’espace aérien nord-américain.
Des pays comme les États-Unis et le Canada devraient concentrer leurs investissements sur la défense antimissile hypersonique à courte et moyenne portée, car la propagation des planeurs hypersoniques peut miner la défense continentale nord-américaine. Compte tenu des changements climatiques qui touchent l’Arctique, de la guerre en cours en Ukraine et de la propagation de technologies émergentes aux effets militaires peu connus, le Canada devrait affirmer ses choix stratégiques et sa détermination à moderniser le NORAD.
Les préoccupations récurrentes concernant la menace russe dans l’Arctique canadien, comme, par exemple, les bombardiers russes volant à proximité de la limite de l’espace aérien canadien, n’ont fait qu’augmenter depuis l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022. En outre, bien que la Chine se concentre sur sa suprématie régionale, ses planeurs hypersoniques ont également des portées intercontinentales. Même si les menaces de missiles russes et chinois contre le territoire canadien demeurent faibles, le gouvernement canadien devrait repenser le NORAD selon les lignes conceptuelles d’un système de défense aérienne et antimissile entièrement intégré.
Les futures défenses continentales devront mettre l’accent sur des systèmes de défense de zone qui soient multicouches et intégrés, composés de capteurs terrestres et spatiaux bien connectés avec des intercepteurs air-sol et air-air pour une détection rapide et un suivi constant. En effet, les nouveaux systèmes hypersoniques traverseront l’atmosphère et l’espace extra-atmosphérique en étant davantage manœuvrables et en atteignant des vitesses extrêmes et des altitudes inhabituelles. Fondamentalement, les gouvernements doivent également investir des ressources dans de nouveaux intercepteurs. En outre, les capacités d’interception hit-to-kill pourraient être complétées par des contre-mesures électromagnétiques (micro-ondes pour endommager l’électronique interne du missile) et cybernétiques (brouillage). Pourtant, en raison de la température de surface élevée des missiles hypersoniques, il est douteux que les lasers puissent représenter un moyen efficace d’arrêter la menace.
Le nouvel investissement du Canada à hauteur de 4,9 milliards de dollars canadiens dans la modernisation du NORAD, approuvé en juin 2022, pourrait concerner à la fois l’ajout de capacités et l’élargissement de son mandat. Cela signifierait aller au-delà de la mise à niveau du SAN – le système radar qui fournit une couverture d’alerte précoce et un suivi des menaces – et de la modernisation des systèmes de commandement, de contrôle et de communication, pour inclure également de nouveaux intercepteurs de missiles air-air, en plus des avions.
Il sera important de choisir avec soin le bon mécanisme d’interception. Alors que le ciblage des plateformes de lancement et le recours aux avions de chasse intercepteurs ont été les options les plus populaires, dans le cas des missiles hypersoniques à longue portée et des planeurs, les intercepteurs doivent cibler le véhicule lui-même avec des missiles. Par conséquent, investir dans la défense active, et pas seulement dans la dissuasion, et inclure la défense terrestre pour protéger les cibles de grande valeur devrait être inévitable.
Les radars terrestres actuels sont insuffisants à eux seuls puisque les missiles balistiques ne seront bientôt plus qu’une des menaces contre l’Amérique du Nord. Le Canada devra s’assurer que le NORAD est également en mesure de se protéger contre les attaques de missiles de croisière dont les capacités de portée et de vitesse ont évolué, et contre les planeurs volant à des altitudes inhabituelles, ce qui rend la construction de couches de capteurs spatiaux cruciale pour leur détection et leur suivi.
La Missile Defence Agency américaine prévoit de mettre en place une défense contre les planeurs hypersoniques avant la fin des années 2020 (au plus tôt). Il est vrai qu’Ottawa a refusé à deux reprises de participer à la défense antimissile terrestre à mi-parcours (Ground-Based Midcourse Defense) des États-Unis, en raison de préoccupations liées aux armes nucléaires – tout en soutenant la Défense aérienne et antimissile intégrée de l’OTAN (IAMD Integrated Air and Missile Defence) au-dessus de l’Europe et le rôle d’alerte tactique et d’évaluation des attaques du NORAD. Toutefois, la défense contre les planeurs hypersoniques pourrait être plus acceptable politiquement, non seulement parce que les planeurs hypersoniques passent peu de temps dans l’espace, mais aussi parce qu’une participation donnerait au Canada une influence sur la prise de décision en matière de défense de l’Amérique du Nord.
2/ Travailler à une meilleure compréhension de la capacité militaire hypersonique et contrôler sa propagation.
La politisation des armes hypersoniques dans la compétition des grandes puissances a créé une lacune dans la compréhension des menaces hypersoniques et de la capacité réelle des systèmes d’armes hypersoniques. Les grandes puissances ne se copient pas seulement les unes les autres, mais exagèrent délibérément les capacités des systèmes d’armes encore en développement, tout en exploitant ces perceptions déformées à des fins de propagande. La dangereuse course technologique s’intensifie alors que la Chine a testé une fusée orbitale avec un planeur, et que, peu de temps après, les États-Unis ont annoncé la construction de plusieurs couches de capteurs spatiaux pour détecter ce planeur. En réaction, la Russie a testé une arme antisatellite capable d’abattre des satellites américains.
Cependant, les pays en compétition pour un statut de grande puissance ont tendance à exagérer l’importance de l’introduction d’armes hypersoniques dans l’arsenal. L’utilité militaire reste inconnue en termes de défense et de portée stratégique, tandis que les armes hypersoniques semblent être principalement utiles aux « agressifs et aux défavorisés ». Le gouvernement canadien devrait s’efforcer d’accroître la sensibilisation et la compréhension de la capacité militaire hypersonique. Il devrait également promouvoir le contrôle de sa propagation par le biais de outils de maîtrise des armements et contribuer à l’objectif de l’OTAN d’établir des normes de gouvernance pour les technologies émergentes et de rupture (EDT). Ce faisant, le Canada pourrait éviter une plus grande déconnexion entre les experts techniques, d’une part, et les représentants politiques et militaires, d’autre part. Le Canada pourrait ainsi travailler avec ses alliés pour mieux réglementer le développement et l’utilisation de la technologie hypersonique à des fins militaires.
Le traité New START (Strategic Arms Reduction Treaty) couvre également les planeurs hypersoniques à portée stratégique. Leur prolifération n’est attendue que chez les pays qui possèdent déjà des missiles balistiques, nécessaires à leur phase de propulsion. En revanche, le développement des missiles de croisière hypersoniques est plus lent, car la propulsion hypersonique est coûteuse en carburant et en ressources.
Le Canada devrait revoir la technologie hypersonique et les exportations de missiles afin d’éviter la prolifération des systèmes d’armes offensifs. Le régime de contrôle de la technologie des missiles tend à être le forum central pour clarifier et mettre à jour la réglementation à mesure que la technologie des missiles évolue, ainsi que l’accord de Wassenaar sur les technologies à double usage et le code de conduite de La Haye contre la prolifération des missiles balistiques. Cependant, les débats sont toujours en cours sur la façon dont ces outils pourraient restreindre les planeurs hypersoniques, en s’appuyant sur une analogie avec les MARV.
Le Canada et d’autres pays désireux d’introduire des réformes dans la gouvernance mondiale des missiles devraient également tenir compte du caractère dual de la technologie hypersonique. En particulier, la propulsion hypersonique a un immense potentiel pour aider à construire une infrastructure plus durable pour l’exploration spatiale. Contrôler la militarisation de la technologie hypersonique ne devrait pas empêcher le développement de nouveaux véhicules spatiaux qui peuvent également évoluer à des vitesses hypersoniques (sans pour autant transporter d’ogives).
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