Introduction
Lors du 48e sommet du G7, les États membres se sont de nouveau engagés à élaborer des approches afin de contester la domination géopolitique croissante de la Chine et les menaces à la cybersécurité qu’elle représente. L’initiative, intitulée Partenariat mondial pour les infrastructures, recadre et réoriente l’initiative Build Back Better World (B3W) qui avait été initiée par les États-Unis en 2021. Celle-ci visait à financer des projets technologiques et d’infrastructure dans les pays en développement afin de proposer une alternative à l’initiative chinoise de la Nouvelle route de la soie (One Belt One Road Initiative, BRI). Annoncée sous la présidence Xi en 2013, cette Nouvelle route de la soie (BRI) cherche à créer une ceinture maritime et une route terrestre qui traverse l’Eurasie et rejoint la Chine, et ce dans le cadre d’un plan plus large qui vise à renforcer la position de la Chine en tant que grande puissance. Sur le plan stratégique, l’initiative s’est efforcée de transformer les entreprises d’État en sociétés multinationales compétitives qui offrent des prêts généreux aux pays en développement pour mettre en place des projets d’infrastructures critiques. La BRI vise donc à créer une région économique intégrée qui place la Chine en son centre. La Chine tire ainsi parti de son influence géopolitique, en ciblant des zones commerciales internationales compétitives, comme la mer de Chine méridionale, pour défier la puissance occidentale et la domination transatlantique.
Cette note politique examinera la BRI en mettant l’accent sur la façon dont la Route de la soie numérique (Digital Silk Road) chinoise représente une menace croissante pour la sécurité internationale, ce qui reste un sujet récurrent dans les discussions entre les pays du G7. La Route de la soie numérique (DSR ci-après) est le plus grand projet d’infrastructure au monde et cherche à aider les exportateurs chinois dans le secteur des technologies de l’information et des communications en investissant dans les réseaux technologiques des États bénéficiaires. Compte tenu des progrès sans précédent de la Chine en matière de technologie de surveillance et d’intelligence artificielle (IA ci-après), l’accent mis par la DSR sur les réseaux de télécommunications et sur les projets de villes intelligentes fait de la DSR un élément clé de la stratégie de la BRI qui vise à étendre l’influence de la Chine.
À une époque où l’activité économique mondiale se numérise de plus en plus et où les normes internationales libérales sont progressivement remises en question par les tactiques autoritaires de renseignement de la Chine, le Canada doit s’efforcer de maintenir une économie technologique concurrentielle tout en défendant ses intérêts en matière de sécurité. Cette note politique examinera les efforts que la Chine déploie pour accroître sa puissance géopolitique grâce aux progrès de la DSR. Cette note recommandera au Canada d’encourager l’investissement dans des projets multilatéraux (comme le Partenariat mondial pour l’infrastructure) qui remettent en question l’emprise de la Chine sur l’infrastructure numérique et sur l’établissement de normes internationales. Le Canada devrait présenter ces projets comme des occasions d’investissement pour convaincre les pays et les sociétés sceptiques en Occident des avantages de ces projets en matière d’investissement. De plus, cette note recommandera au Canada de tirer parti de l’augmentation de ses investissements dans le NORAD pour financer des technologies de surveillance, comme des sous-marins (capable de naviguer sous la banquise du pôle Nord), et coordonner les efforts de cybersécurité de l’OTAN pour lutter contre les menaces chinoises à la cybersécurité.
Contexte
Avec l’ouverture de son économie au commerce extérieur et la mise en place de politiques libérales à la fin des années 1970, la Chine a connu une croissance économique rapide. La Chine est aujourd’hui le plus grand investisseur mondial et la deuxième plus grande économie mondiale après les États-Unis – elle devrait prendre la tête de ce classement d’ici 2030. À la suite d’un coûteux processus de réduction des droits de douane pour adhérer à l’OMC en 2001, la politique économique de la Chine s’est concentrée sur l’attraction des investissements directs à l’étranger en signant des traités bilatéraux d’investissement avec plus de cent pays. Au cœur de ce plan politique se trouve la BRI, qui rassemble actuellement les économies de plus de soixante-et-onze pays d’Eurasie, ce qui représente deux tiers du PIB mondial.
La stratégie qui sous-tend la BRI chinoise est double : premièrement, elle cherche à étendre le contrôle économique de la Chine en créant de nouveaux marchés et en élargissant l’utilisation de la monnaie chinoise. Cette expansion aide la Chine à poursuivre sur sa lancée dans les domaines de création de zones de libre-échange et de coopération financière, tout en s’attaquant aux excédents de capitaux dans ses industries productives, comme l’acier et le ciment. Deuxièmement, la BRI s’efforce de remédier aux lacunes et aux vulnérabilités de la stratégie de politique étrangère de la Chine. En mettant en œuvre un réseau qui permet aux entreprises chinoises de contrôler la production et d’en maximiser l’efficacité, la Chine peut réinventer les voies d’approvisionnement énergétique de la région, améliorant ainsi l’accès aux régions clés en termes de ressources telles que l’Inde et l’Asie centrale. Par conséquent, la Chine peut utiliser son emprise sur les ressources pour mobiliser des soutiens dans les organes de gouvernance régionale et peut également utiliser les investissements économiques pour justifier une présence militaire accrue à l’étranger.
L’industrie technologique chinoise a connu un essor fulgurant à la suite de l’annonce de la BRI en 2013. Étant donné que la DSR offre une option peu coûteuse pour mettre en place la technologie blockchain, la Chine a saisi cette opportunité pour mettre à profit son avantage concurrentiel dans le secteur de la technologie et ainsi réduire sa dépendance vis-à-vis de l’industrie américaine. Par conséquent, la DSR est devenue une priorité absolue dans les stratégies de politique économique et étrangère de la Chine. Pour accroître l’adhésion, la Chine a promu avec succès l’initiative lors de forums internationaux : rien qu’en 2019, les gouvernements du Japon, de la Nouvelle-Zélande, d’Israël, de l’Autriche, du Chili, du Brésil, de l’Indonésie et du Kenya ont annoncé des accords de coopération avec la Chine pour des projets de science-technologie, de technologies de l’information et de communication et de câbles à fibre optique.
D’ici 2030, l’Asie aura besoin de 26 000 milliards de dollars US d’investissements dans les infrastructures pour que les pays en développement puissent participer avec succès à l’économie mondiale. L’ONU reconnaît que la BRI est nécessaire pour atteindre les objectifs environnementaux et de développement durable, car les prêts chinois sont l’une des seules options de financement qui soit suffisante pour permettre aux pays en développement d’améliorer leurs infrastructures technologiques. Néanmoins, Pékin profite de la décadence occidentale pour accroître sa puissance économique et militaire par le biais de la BRI, et les implications sécuritaires et idéologiques de cette tactique doivent être prises au sérieux.
BRI : exemple parfait du piège de diplomatie de la dette ?
La notion de diplomatie du piège de la dette est utilisée pour décrire des situations dans lesquelles des pays puissants cherchent à élargir et renforcer leur influence en proposant des prêts attrayants aux pays en développement les plus faibles, et ce même lorsqu’il est peu probable que ces pays soient en mesure de rembourser ces dettes. Des exemples comme le port de Hambantota au Sri Lanka sont souvent cités pour montrer que les motivations des entreprises chinoises ne sont pas altruistes. Les initiatives de la DSR, cependant, sont financées principalement par la Banque chinoise d’exportation et d’importation et la Banque chinoise de développement, qui, compte tenu de leur statut de banques politiques , n’accordent que peu d’importance à la génération de profits : dans plus de quatre-vingt-cinq cas, la Chine a restructuré ou annulé des dettes bancaires pour des projets de la BRI sans confisquer d’actifs. Ces exemples, combinés aux généreuses périodes de prêt offertes à de nombreux pays entreprenant des projets de la BRI, suggèrent que les accusations selon lesquelles la Chine commet une diplomatie du piège de la dette, au sens traditionnel du terme, peuvent être injustifiées. Cependant, même si la Chine ne crée pas explicitement de pièges de la dette par la saisie d’actifs, plus de 90% des contrats DSR analysés comprennent des clauses stipulant que la Chine peut, si elle le souhaite, « résilier le contrat […] si un changement « significatif » dans les lois ou les politiques de l’État bénéficiaire a lieu », ce qui laisserait les pays emprunteurs dans une situation financière précaire. Par conséquent, les pays de la DSR sont souvent poussés à participer à des négociations bilatérales qui servent in fine les intérêts politiques de la Chine. La Chine a utilisé son influence économique pour encourager les pays de la DSR à soutenir et à défendre sa position dans les organes de gouvernance internationale, en particulier à propos de questions controversées comme la persécution des musulmans ouïghours par la Chine ou la militarisation de la mer de Chine méridionale. Ainsi, même en l’absence de saisie d’actifs, les objectifs derrière la BRI chinoise s’alignent sur la logique de la diplomatie du piège de la dette : prêter à des pays moins puissants pour qu’ils construisent des infrastructures dans des secteurs dominés par la Chine, comme la technologie et l’IA, afin de promouvoir l’expansionnisme et la domination chinoise.
Des implications sécuritaires préoccupantes qui l’emportent sur le potentiel économique ?
La DSR et son expansion rapide posent plusieurs problèmes de sécurité que les États libéraux, comme le Canada, ne peuvent pas se permettre d’ignorer. Ces risques incluent notamment la prolifération de tactiques autoritaires d’espionnage et d’acquisition de données, et le fait que la Chine refuse ou manipule l’accès à des technologies critiques.
La DSR chinoise a été une solution attrayante pour les pays qui cherchent à accélérer le développement de leurs secteurs d’infrastructures technologiques tout en conservant leur autonomie. Compte tenu de la fragilité de la démocratie et de l’influence limitée de l’Occident dans la région cible de la DSR, l’expansion rapide de la DSR est susceptible de menacer la vision occidentale post-guerre froide d’une Eurasie ouverte et libérale. Premièrement, la diffusion de technologies de surveillance chinoises dans les pays de la BRI peut augmenter le nombre de répressions autoritaires et les renforcer. La Chine a déjà mis en œuvre, à l’intention des responsables et des entreprises technologiques des pays de la DSR, des programmes gouvernementaux de formation à la censure et à la surveillance de l’activité Internet en temps réel. Le lancement par la Chine de projets de villes intelligentes dans les pays de la DSR est encore plus troublant. Ces villes, sur la base du modèle chinois de surveillance d’État, utilisent des technologies invasives d’IA et de reconnaissance faciale pour surveiller et traiter les activités monétaires et de sécurité publiques. La construction de centrales qui produisent de l’énergie renouvelable est importante pour les efforts mondiaux qui visent à faire progresser les sources d’énergie durable ; cependant, le financement par la DSR des interconnexions de réseaux électriques permet à la Chine de contrôler une grande partie de l’allocation régionale d’électricité. Les interconnexions utilisées pour construire des réseaux électriques le long de la DSR dépendent de réseaux de communication exploités par des entreprises d’État, comme la State Grid Corporation of China, qui améliorent les capacités de renseignement et d’espionnage de l’État chinois. Ainsi, la Chine peut restreindre ou refuser l’accès à l’énergie aux pays de la DSR qui menacent ou s’opposent aux intérêts politiques ou économiques de la Chine.
En outre, l’acquisition chinoise de données dans les pays de la BRI pourrait accélérer le développement par la Chine de technologies d’IA conçues pour exploiter des matériaux sensibles. Les actions de sabotage sont plus difficiles à détecter avec les réseaux logiciels émergents, ce qui pose des risques lorsque la Chine finance la construction de ports à l’étranger. Les systèmes de câbles sous-marins construits à proximité des installations militaires occidentales permettent un meilleur accès aux détails confidentiels des renseignements étrangers avec un faible risque de détection. Si les entreprises d’État chinoises accèdent à des ports stratégiques, comme Nanisivik au Canada, les intérêts des forces navales en Amérique du Nord et en Occident plus généralement pourraient être menacés.
D’un point de vue économique, la construction de ports par la Chine, une construction qui repose sur des infrastructures de la BRI, pourrait également renforcer l’influence politique des sociétés de financement chinoises. La mise en œuvre de réseaux 5G permettant l’espionnage et les violations de données peut être utilisée par la Chine pour faire chanter les politiciens dans les pays de la DSR, ou pour contrôler les flux commerciaux et l’accès aux ports afin de punir les opposants politiques. Au Népal, par exemple, la Chine a bloqué le traitement des paiements des élites et des entreprises sur des plateformes comme Alipay et WeChat, utilisant sa domination dans le secteur de la blockchain pour interférer discrètement. En fin de compte, la DSR augmente la surveillance de l’État et la modération du contenu tout en laissant les pays de la DSR, tout comme ceux qui n’en font pas partie, soumis aux tactiques d’espionnage autocratiques de la Chine.
L’évolution des normes internationales
Les normes technologiques rassemblent l’ensemble des règlements et protocoles qui régissent une tâche technique reproductible. En règle générale, ces normes sont établies par des organismes mondiaux de normalisation tels que l’Organisation internationale de normalisation et sont approuvées par les pays membres des organisations. Cependant, les normes peuvent également être fixées en fonction du volume du marché : s’il domine le marché, un pays peut obtenir un soutien international implicite en faveur de ses normes nationales, y compris dans le cas d’un régime autoritaire répressif. Dans le cas de la Chine et de son utilisation des technologies d’IA et de 5G, cette voie alternative d’établissement de normes pourrait s’avérer efficace, en particulier compte tenu du manque actuel d’autres options disponibles et suffisantes de financement des infrastructures dans les pays de la DSR. L’imposition par la Chine de ses propres normes technologiques aux pays de la DSR contribue donc à la polarisation de l’ordre mondial : en confinant les pays de la DSR au sein de l’écosystème chinois et en les laissant soumis à la pression politique chinoise, la Chine rend la tâche de plus en plus difficile aux prêteurs traditionnels que sont le FMI et la Banque mondiale. Il est donc plus ardu de s’assurer que les projets technologiques respectent de meilleures pratiques dans des domaines tels que la protection de l’environnement et les droits de l’homme.
Les politiques de prêt et les programmes d’ajustement structurel de la Banque mondiale et du FMI ont historiquement reflété les intérêts occidentaux et ont contribué à d’innombrables revers économiques et au maintien de la pauvreté dans les économies émergentes. Compte tenu du scepticisme généralisé parmi les pays du Sud à l’égard des projets dirigés par l’Occident, comme le Build Back Better World, il n’est pas surprenant que de nombreux dirigeants aient opté pour un financement par la DSR. Cependant, à l’instar de nombreux projets de financement historiques du FMI et de la Banque mondiale, les investissements de la DSR engendrent des clauses et des résultats néfastes. Par exemple, les conditions des prêts accordés aux pays pour des projets de la DSR sont rarement rendues publiques. Étant donné que les créanciers n’adhèrent pas officiellement au Club de Paris, les banques chinoises peuvent échapper à la pression qui les forcerait à fonctionner de manière transparente, ce qui se traduit par une fourniture de prêts illimitée. En outre, la nature complexe des projets d’IA et de surveillance accroît la dépendance à l’égard des entreprises technologiques chinoises privées, ce qui est préoccupant car celles-ci se préoccupent principalement de promouvoir leurs propres intérêts commerciaux en réduisant les coûts de transaction. De nombreux projets de DSR commencent donc sans évaluations adéquates des conséquences financières, environnementales ou sociales. Par conséquent, les États qui sont confrontés à des crises politiques et des crises de la dette peuvent se tourner vers la Chine pour un renflouement afin d’éviter les conditions strictes de réforme économique et politique généralement imposées par les organismes financiers conventionnels comme le FMI. Cependant, cela signifie également que les dirigeants qui commettent des violations des droits de l’homme ou sapent les principes démocratiques peuvent compter sur la Chine pour obtenir un soutien économique, et ce alors que les conditions de la Banque mondiale ou du FMI auraient pu avoir un effet dissuasif efficace. Ce fut le cas en Malaisie, où les prêts chinois émis pour des projets d’infrastructure de la DSR ont permis aux élites politiques de s’engager dans des pratiques de corruption et de recherche de rentes. Au Kenya, la corruption politique encouragée par les investissements de la DSR a exacerbé les tensions ethniques. Si la Chine réussit à utiliser la DSR pour passer du statut d’État « soumis aux normes à celui qui fait les normes », les normes et pratiques existantes qui promeuvent un ordre mondial libéral sont, de fait, considérablement menacées.
Le Partenariat mondial pour l’infrastructure vise à attirer quarante milliards de dollars de financement du secteur privé d’ici 2035 pour investir dans des projets conformes à des normes environnementales et d’équité élevées. Pourtant, au cours de sa première année, l’initiative B3W n’a connu que des progrès marginaux pour attirer les investissements du secteur privé. Les responsables de la Maison Blanche affirment que les initiatives du G7 « ne visent pas à faire choisir entre [les États-Unis] et la Chine », mais il est évident que leur objectif reste néanmoins de fournir une alternative aux investissements de la BRI pour contester la domination croissante de la Chine. Malheureusement, compte tenu du scepticisme occidental et de l’avance significative de la Chine en matière d’investissements infrastructurels dans la région, les initiatives d’investissement menées par l’Occident pourraient avoir des difficultés à concurrencer la BRI.
Recommandations pour le Canada
En répondant à la DSR, le Canada doit tenir compte de l’importance de la continuité de l’engagement économique avec la Chine, et ce même dans un contexte géopolitique polarisé. À l’heure actuelle, la Chine est le deuxième partenaire commercial du Canada, chaque pays détenant un solide avantage comparatif en termes de matières premières échangées. Bien que le scandale Huawei de 2019 ait mis fin aux négociations sur les accords de libre-échange, le commerce entre les deux pays demeure productif et la dénonciation pure et simple de la DSR risquerait de compromettre l’objectif de long terme du Canada qui est de diversifier les accords de libre-échange avec la Chine et les pays de l’ANASE. Afin de demeurer concurrentiel sur le plan économique et remettre en question la domination de la Chine sur le marché, le Canada peut adopter une approche collaborative à l’égard de la BRI en s’efforçant d’établir des partenariats économiques multilatéraux avec les pays des BRICS. Toutefois, en tant que puissance moyenne, le Canada doit faire preuve de prudence dans sa coopération future avec la Chine et ne peut pas laisser les avantages économiques de relations commerciales amicales l’emporter sur la nécessité de s’attaquer aux menaces à la sécurité que pose l’initiative de la DSR. Le Canada devrait donc accroître ses investissements dans les technologies émergentes et accroître sa participation aux institutions multilatérales qui s’efforcent de contester la domination chinoise dans les secteurs technologiques et dans l’établissement des normes.
Premièrement, le Canada doit continuer de travailler aux côtés des États-Unis et d’autres pays du G7 pour défier l’emprise régionale de la Chine, en veillant à ce que le Partenariat mondial pour l’infrastructure soit stratégique et réaliste. L’initiative ne sera peut-être pas en mesure de concurrencer directement la BRI en termes de portée, mais elle peut intégrer d’une meilleure manière les entreprises nationales et les pays occidentaux sceptiques. En s’efforçant de convaincre les entreprises du secteur privé canadien de la possibilité d’obtenir des rendements sur investissement grâce à des projets à l’étranger, le Canada peut accroître le financement et l’aide en matière de cybersécurité aux pays qui s’engagent à poursuivre des projets dans le cadre du Partenariat. Cet arrangement pourrait également inclure la formation de diplomates cyber pour travailler avec des entreprises étrangères de technologies de l’information et des communications et des gouvernements afin de remédier aux vulnérabilités des réseaux. L’augmentation des investissements dans ces projets qui s’opposent à la domination technologique chinoise contribuera également à convaincre les pays en développement que le Partenariat mondial pour les infrastructures diffère des sources traditionnelles d’aide occidentale. En présentant les projets comme des occasions d’investissement (plutôt que comme des actions de bienfaisance) qui cherchent à « générer des rendements pour tous », le Canada peut aider à exposer les coûts et les risques du modèle chinois et démontrer qu’il existe une solution de rechange à la BRI qui soit plus saine et bien financée.
Afin de défier la puissance croissante de la Chine dans le secteur technologique et dans l’établissement de normes internationales, le Canada devrait accroître de manière proactive ses investissements dans les entreprises technologiques nationales tout en élargissant sa participation aux institutions multilatérales. La technologie 5G continuera d’être un aspect important du système mondial des technologies de l’information et des communications, et le Canada doit avoir une industrie forte et une main-d’œuvre instruite pour être en mesure de concurrencer la croissance des entreprises chinoises. Bien que ces infrastructures présentent des risques inévitables, de meilleurs investissements dans les entreprises technologiques et dans la recherche renforceront l’avantage et la crédibilité du Canada dans la contestation de l’utilisation antidémocratique de ces innovations par la Chine. De même, en se joignant à des organismes multilatéraux comme la BAII (Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures) qui s’associe déjà à la Banque mondiale et qui a l’habitude d’accueillir des expertises étrangères, le Canada peut mieux influencer les procédures d’établissement de normes pour le contrôle de la qualité et le financement dans les pays de la DSR. Le Canada devrait exiger que les projets chinois reflètent leur engagement proclamé envers une BRI verte et transparente en insistant sur les évaluations environnementales préalables aux projets et en énonçant des normes claires sur ce qu’un « projet vert de la BRI » doit impliquer.
Enfin, le Canada devrait utiliser son engagement à investir 4,9 milliards de dollars pour la modernisation du NORAD au cours des six prochaines années pour améliorer les renseignements sur les activités de la Chine près des passages stratégiques du Canada. Lors des prochaines réunions de l’OTAN, le Canada devrait capitaliser sur cet engagement, ainsi que sur la prise de conscience accrue dans les pays démocratiques que « les risques posés par Moscou et Pékin ne peuvent plus être compartimentés », afin d’encourager les stratégies de défense collective contre les cyberattaques. Pour affirmer sa souveraineté arctique et défendre sa position juridique dans les eaux arctiques, le Canada doit utiliser les investissements du NORAD pour soutenir financièrement et infrastructurellement son engagement à sécuriser et à militariser les routes maritimes du Nord.
Compte tenu de l’expansion rapide de la DSR et de son engagement stratégique en Eurasie, rien ne garantit que les pays cibles choisiront le Partenariat mondial pour l’infrastructure ou d’autres initiatives occidentales pour contrer l’influence chinoise. Néanmoins, en affrontant les risques posés par la DSR et en offrant des solutions alternatives aux investissements de la BRI, le Canada peut signaler à la Chine que, même si le multilatéralisme décline et que les idéaux libéraux se fragmentent, le Canada ne restera pas passif face à la coercition économique et numérique.
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