Un nouveau partenariat conjoint en matière de défense liera les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie dans ce qui est déjà appelé l’AUKUS (Australie-UK-US). L’objectif poursuivi par les trois alliés est de permettre le partage d’informations, de technologies et de savoir-faire dans des domaines comme l’intelligence artificielle, la cyber sécurité, les systèmes sous-marins et les capacités de frappes longue distance.
L’objet central du partenariat est cependant le domaine nucléaire, principalement le développement de sous-marins à propulsion nucléaire. Les États-Unis ont depuis longtemps fait le choix de posséder une flotte sous-marine non conventionnelle, qui jouit de plusieurs avantages sur les modèles conventionnels propulsés au diesel. Ils possèdent un plus grand rayon d’action, sont plus silencieux et peuvent transporter une charge utile plus importante. La Grande-Bretagne a aussi procédé à ce changement dans les années 1960. Elle prévoyait d’ailleurs récemment le renouvellement d’une partie de sa flotte. Jusqu’à maintenant, seule l’Australie n’opérait donc pas cette technologie. C’est un changement significatif de sa politique de défense et qui risque d’alimenter la course aux armements dans la région. Canberra justifie justement le passage à une flotte non conventionnelle par la détérioration de l’environnement stratégique, même si l’annonce tripartite ne mentionne pas explicitement la Chine. Nul doute que la perspective d’une plus grande interopérabilité avec ses alliés motive grandement ce choix.
Cette annonce signifie que Canberra annulera le projet d’acquisition de 12 sous-marins conventionnels qu’elle avait signé avec le Groupe Naval français. En planification depuis 2009, l’achat avait été vivement critiqué, entre autres pour ses dépassements de coûts, dans ce qui s’avérait comme le plus coûteux achat d’armement de l’histoire de l’Australie — 90 milliards de dollars. Des négociations avaient d’ailleurs eu lieu l’hiver dernier entre les gouvernements australien et français afin de sauver l’entente. La source du problème s’avérait être la volonté de voir les sous-marins être construits en Australie, elle qui avait mis sur pied des infrastructures dédiées afin de construire sa flotte précédente. Des spéculations avançaient que le choix du modèle français s’expliquait parce que celui-ci était la version conventionnelle du sous-marin nucléaire opéré par la marine française, laissant donc la possibilité à Canberra d’opter pour ce même modèle durant le projet.
L’Australie acquerra plutôt au moins huit sous-marins, dont le type n’a pas encore été divulgué. Il est probable qu’il s’agisse de sous-marins d’attaque polyvalents, mais l’importance accordée par l’Australie au développement de capacités de frappes longue distance pourrait signifier qu’elle cherchera aussi à se procurer des sous-marins lanceurs de missiles balistiques. Les alliés ont par ailleurs confirmé que la flotte sera construite dans le sud de l’Australie. Ce choix amène plusieurs questions. Par exemple, on ne connait toujours pas la chronologie du projet, alors que la flotte de sous-marins australiens actuellement en service doit être décommissionnée dans la décennie 2030. Afin d’éviter une perte de capacités de défense sous-marine, Canberra et Washington se seraient entendus pour stationner des sous-marins américains à la base navale de Perth. La manière dont les États-Unis et la Grande-Bretagne entendent partager la technologie nucléaire avec leur allié demeure également ouverte. Rien de précis n’a été dévoilé, mais cet aspect représente un défi de taille pour l’Australie. Bien qu’elle soit la troisième exportatrice mondiale d’uranium, le pays ne possède aucune centrale nucléaire et reste le seul État du G20 où cette énergie est bannie par une loi fédérale. Le développement des infrastructures nécessaires à une flotte nucléaire fera nécessairement augmenter le coût total du programme, sur lequel rien n’a été dit.
Bien que la Chine soit pour l’instant absente des annonces officielles, la nouvelle s’inscrit dans une stratégie de contrepoids face à cette dernière et se veut une réponse à sa récente diplomatie vindicative dans la région. La montée en puissance de la Chine motivait d’ailleurs autant la mise à jour de la stratégie de défense australienne que le basculement britannique vers la région Indopacifique. Cette annonce fait également suite à une montée des tensions entre Beijing et Washington, entre autres sur la question de l’indépendance de Taiwan, qui serait symptomatique d’une nouvelle guerre froide. Quoi qu’il en soit, ce partenariat annonce un changement important dans l’équilibre des forces en Indopacifique.
L’absence du Canada dans ce nouveau partenariat en a fait sourciller plusieurs, qui considèrent que le pays s’est fait mettre de côté. Effectivement, Ottawa coopère déjà étroitement avec Washington, Londres et Canberra à travers le Groupe des cinq. Par ailleurs, le Canada vient de lancer le programme de renouvellement de ses sous-marins, et aurait donc pu profiter de ce genre de collaboration. Comment alors expliquer la situation ? Du côté canadien déjà, le pays a historiquement évité de s’engager de cette manière dans la région Indopacifique. Si les gouvernements canadiens aiment rappeler le caractère « pacifique » du Canada, la présence et les investissements soutenus que demandera le nouveau partenariat dépassent sa position traditionnelle en matière de défense, qui se concentre premièrement sur la région euro-atlantique. La politique partisane est peut-être également en cause, puisque le gouvernement Trudeau a évité de prendre position dans les tensions croissantes entre Beijing et Washington. Adhérer à l’AUKUS aurait donc été à l’encontre de cette tendance. Par contre, il est à noter que les conservateurs ont été plutôt enclins à rejoindre ce genre d’initiative de l’anglosphère par le passé. Rappelons également les difficultés que le Canada a souvent eues dans ses projets d’acquisitions militaires, surtout ceux concernant les sous-marins.
Selon des sources au sein du renseignement et de la défense, l’absence canadienne pourrait surtout s’expliquer par une perte de confiance de ses proches alliés quant au sérieux des engagements d’Ottawa en matière de défense et de relations avec la Chine. Le Canada n’aurait ainsi été averti qu’au tout dernier moment de l’existence de la nouvelle entente. L’AUKUS signale donc qu’un cercle restreint se crée au sein du Groupe des cinq, cercle restreint duquel seraient exclus le Canada et la Nouvelle-Zélande. Reste donc à voir si ce nouveau partenariat s’inscrira effectivement dans la durée et débouchera sur le développement et la mise en service conjointe de nouvelles capacités au-delà des sous-marins. Dans ce cas, le Canada fera piètre figure vis-à-vis ses trois alliés qui auront alors drastiquement augmenté l’intégration et l’interopérabilité de leurs forces armées et de leurs industries de la défense. Dans l’état actuel des choses, force est de constater que la présente mouture du partenariat relève autant d’une faible perception de la fiabilité d’Ottawa que de la peur grandissante de la menace chinoise au sein de l’AUKUS.
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