Au cours des derniers jours, plusieurs témoignages faisaient état d’une ambiance très délétère en Iran et, en particulier, dans la capitale Téhéran. Les Iraniens habitant sur place rapportaient que les Gardiens de la révolution et la milice des Basidjs étaient particulièrement nerveux et plusieurs rumeurs circulaient sur la possibilité d’une « attaque extérieure » de la part des États-Unis et de leurs alliés israéliens.
À deux mois de la fin du mandat de Donald Trump, le New York Times révèle qu’une partie de ces rumeurs était fondée. Selon le quotidien, lors d’une réunion dans le Bureau ovale, le président américain sortant aurait demandé à plusieurs de ses proches collaborateurs, dont le vice-président Mike Pence, le secrétaire d’État Mike Pompeo et le chef d’état-major Mark Milley « s’il avait des options pour agir contre le site nucléaire de Natanz dans les prochaines semaines ». Ces hauts responsables « ont dissuadé le président d’aller de l’avant avec une frappe militaire », invoquant le risque que de telles frappes ne dégénèrent en un conflit plus vaste, dit le quotidien.
Plusieurs remarques s’imposent. D’abord, l’idée d’une frappe contre l’installation nucléaire de Natanz s’inscrit pleinement dans la continuité de la stratégie dite de « pression maximale » conduite par les États-Unis et leurs alliés israéliens et saoudiens depuis 2017. L’objectif de cette stratégie à 360 degrés a été d’empêcher l’Iran de développer sa capacité nucléaire et son programme de missiles balistiques tout en affaiblissant le régime sur la scène domestique, en réduisant son influence externe et en l’isolant sur la scène régionale. Cette stratégie multifacette s’est manifestée par la réimposition des sanctions économiques contre l’Iran, un soutien marqué aux mouvements populaires anti-régime au Liban, en Irak et, sur le plan symbolique, par l’élimination du général Qassem Soleimani (janvier 2020). Ce double effort d’étouffement diplomatique et de strangulation économique a été renforcé par une pression militaire israélienne (en Syrie), saoudienne (Yémen) et de l’OTAN (Irak).
Ensuite, il convient de noter que, si l’option d’une frappe contre Natanz s’inscrit dans la stratégie dite de « pression maximale », elle en est aussi, très probablement, le point culminant. L’une des caractéristiques fondamentales de cette stratégie multifacette a été de s’appuyer sur toutes les options disponibles… à l’exception notable de l’usage de la force. Qualifiée de stratégie conduite sous le seuil de la violence, elle consiste essentiellement à contenir et à étouffer le régime de manière systématique, mais en évitant à tout prix que cette pression ne dégénère en un conflit direct. C’est le point de vue adopté par les conseillers du président Trump qui ont fait valoir les risques d’un embrasement régional pour le dissuader de bombarder Natanz. À noter que, pressé de réagir à l’article du New York Times, le porte-parole du gouvernement iranien, Ali Rabii, a déclaré : « il pourrait y avoir des tentatives » d’attaquer l’Iran, « mais, personnellement, je ne prévois pas une telle chose ». Exprimant un point de vue partagé dans les hautes sphères du régime iranien, Raabi a ajouté : « Je ne crois pas possible que [les Américains] puissent vouloir augmenter l’insécurité dans le monde et dans la région ».
Le fait est que tous les protagonistes sont parfaitement conscients des dangers d’une spirale conflictuelle et des conséquences catastrophiques que pourrait avoir un affrontement sur le champ de bataille traditionnel. C’est pourquoi ils se sont jusqu’à maintenant gardés de s’affronter frontalement en privilégiant pour cela des approches indirectes et l’usage des proxies. Ni Israël, ni les pétromonarchies, ni l’Iran ne veulent déclencher un conflit qui s’envenimerait et les engouffrerait dans un chaos régional. Malgré la rhétorique belliciste de Trump, les États-Unis vont demeurer réticents à s’embarquer dans un conflit sachant qu’il pourrait déboucher sur la troisième guerre mondiale. Les observateurs notent d’ailleurs une certaine division à la Maison-Blanche entre les partisans de la manière forte et les réalistes. Tout, jusqu’à sa divulgation par le New York Times, suggère que cette nouvelle marque le chant du cygne de la stratégie de « pression maximale ». Même les Israéliens, piliers de cette approche tous azimuts, ont commencé à établir des liens avec l’équipe Biden.
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