Dans le contexte d’élections législatives en Géorgie, prévues pour le 31 octobre 2020, les pressions de la Russie sur ce petit État caucasien se poursuivent, tant par la saisie croissante de territoire que par des campagnes de propagande massives.
Au moment où les projecteurs se tournent vers le Nagorno-Karabakh, un territoire sécessionniste d’Azerbaïdjan dont le conflit en dormance s’est réveillé depuis le 27 septembre 2020, il existe d’autres territoires sécessionnistes tout près au Caucase, en Géorgie, qui mériteraient tout autant l’attention médiatique. Cela fait maintenant plus de douze ans que les forces russes ont envahi la Géorgie et occupé 20% de son territoire. La Russie continue de violer la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Géorgie avec sa politique agressive de « frontière mobile », une stratégie qui implique l’annexion progressive de petits segments du territoire géorgien par l’expansion de ses zones d’occupation déjà illégales. La timide réponse occidentale à cette violation flagrante du droit international peut avoir encouragé Moscou à annexer la Crimée lors d’un accaparement de terres similaire en 2014.
La mobilité des frontières dans un contexte de ce que plusieurs ont qualifié de conflit « gelé » montre d’une part que le conflit n’est précisément pas « gelé » et, d’autre part, qu’il continue d’entraîner des pertes humaines. En effet, la mort suspecte d’un Géorgien de 29 ans, M. Kvaratskhelia alors qu’il visitait Gali en mars 2019, en est un exemple. Bien que les autorités abkhazes aient allégué son suicide, les examens de la dépouille montrent clairement des indications de torture. Le 17 mars 2019, seulement quelques jours après le décès de M. Kvaratskhelia, un autre Géorgien, Givi Beruashvili, a été interpelé par les forces d’occupation à Ditsi, village limitrophe de la région de Tskhinvali, pour avoir rendu visite à ses grands-parents qui vivent à 500 mètres de la ligne de contact. L’absence de mandat de surveillance internationale rend invisibles ces abus, alors que les groupes sécessionnistes et leurs commanditaires russes continuent d’employer des méthodes extra-légales de coercition en toute impunité.
Depuis l’occupation de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud par la Russie et la reconnaissance subséquente de leur indépendance par cette dernière, une soi-disant frontière administrative sépare les territoires saisis du reste de la Géorgie. Derrière ces territoires sécessionnistes, à peine voilée, se cache la main de Moscou sans laquelle il leur serait impossible de maintenir leur indépendance factice. Parvenus au statut d’États de facto, i.e. sans reconnaissance de la part de la communauté internationale, mais forts du soutien de leur commanditaire russe, les deux territoires sécessionnistes maintiennent des revendications territoriales sur des parcelles de terre de leur territoire autonome, tel qu’il fut limité dans le régime soviétique disparu depuis trente ans, qui échappent toujours à leur contrôle. Le caractère mobile de cette « frontière » permet à la Russie de grappiller davantage de petits bouts de territoire à sa guise, élargissant ainsi sa zone d’occupation. Les revendications territoriales des autorités sécessionnistes font l’affaire de Moscou, qui augmente ainsi son contrôle territorial indirectement. Cette politique de mobilité des frontières se fonde sur une compréhension élastique du droit soviétique (et en particulier de la Constitution de 1977), qui permettrait à ces entités de recouvrer l’entièreté des territoires dont elles jouissaient du temps de leur autonomie soviétique.
Cette frontière mobile prend les allures d’un véritable front – i.e. une frontière administrative non définitive qui départage momentanément des entités territoriales telles des empires, concept qui est d’ailleurs à l’origine du mot frontière. Des Géorgiens sont expulsés des terres nouvellement occupées et risquent d’être kidnappés s’ils traversent la nouvelle frontière administrative qui s’est fait arbitrairement établir avec la bénédiction de Moscou. Cette frontière, dont le tracé est souvent modifié sans avertissement, augmente d’autant plus l’insécurité de la population géorgienne. Des histoires comme celle de Dato Vanishvili, dont le terrain a été incorporé au sein de l’Ossétie du Sud au cours d’une nuit en mai 2015, soit près de sept ans après la guerre de 2008, se multiplient. Entre 2008 et 2018, on estime que la Russie a ainsi unilatéralement modifié la frontière au détriment de la Géorgie 56 fois. D’autres chercheurs arrivent au décompte de 54 changements de frontières unilatéraux par la Russie entre 2011 et 2018.
Cette politique de la frontière mobile exploite l’inquiétude de Tbilissi face à la perte durable d’un important segment de son territoire, poussant le gouvernement géorgien à la table des négociations avec le Kremlin. En 2015, des bornes frontières ont été déplacées vers le village de Tsitelubani, qui héberge une petite section de 1605 mètres de l’oléoduc Baku-Supsa, long de 830 km, exploité par la compagnie pétrolière BP sur un territoire que la Russie occupe désormais partiellement. Malgré sa taille très limitée, ce petit segment de l’oléoduc suffit pour permettre à ceux qui contrôlent la zone de perturber le flot du pétrole au besoin. L’occupation de la zone agit ainsi comme une épée de Damoclès sur les gestionnaires de cette infrastructure stratégique. De façon similaire, l’avancée de la frontière mobile vers la seule autoroute qui relie l’ouest de la Géorgie au reste du pays permet à Moscou d’exercer une plus grande pression sur la Géorgie en menaçant de déconnecter Tbilissi d’une portion du territoire géorgien. La frontière ne se situe actuellement plus qu’à 400 mètres de cette autoroute.
Les arrestations illégales par les forces d’occupation sont devenues de plus en plus fréquentes ces dernières années. Entre 2017 et 2019, 327 Géorgiens se sont fait arrêter pour avoir « franchi illégalement la frontière ». De tels cas montrent non seulement une intention hostile continue de la Russie contre les Géorgiens, mais également la violation de l’accord de cessez-le‑feu de 2008 négocié par l’Union européenne (UE) et le maintien d’une présence illégale de troupes russes sur le sol géorgien, toutes des mesures qui empêchent la Géorgie de restaurer son intégrité territoriale.
La politique étrangère pro-occidentale de la Géorgie – notamment l’approfondissement de ses relations avec les États-Unis et le projet très populaire d’adhérer à l’OTAN et à l’UE – génère évidemment de la frustration à Moscou. Pourtant, les choix faits par une grande majorité de Géorgiens restent inébranlables. Des sondages récents compilés par le National Democratic Institute (NDI) des États-Unis montrent que 83% des répondants géorgiens sont favorables à l’adhésion de la Géorgie à l’UE et 78% soutiennent l’adhésion à l’OTAN. Ces deux organisations entretiennent d’ailleurs savamment l’espoir d’une éventuelle adhésion, sans toutefois chercher à indisposer la Russie de manière frontale. La tactique de Moscou de créer suffisamment de problèmes à la Géorgie pour que cette dernière mette en attente ses ambitions de politique étrangère semble donc fonctionner. Conçue pour saper ce désir d’intégration, cette stratégie vise également à montrer que la communauté euro-atlantique n’est pas très disposée à intégrer la Géorgie rapidement, ni à intervenir pour empêcher la Russie d’étendre sa zone d’occupation.
Simultanément, la Russie rend ainsi impossible pour la Géorgie de recouvrer son intégrité territoriale et de remplir les conditions essentielles à son adhésion tant à l’UE qu’à l’OTAN, c’est-à-dire l’établissement de relations harmonieuses avec ses minorités et la reconnaissance mutuelle des frontières avec ses voisins. La mise en attente indéfinie de l’adhésion tant convoitée de la Géorgie à ces organisations occidentales et la prédation territoriale qui se poursuit impunément illustrent que, par ces politiques de frontières mobiles, Moscou réussit, pour l’instant, à dissuader et l’UE et l’OTAN d’étendre leur influence dans la région.
Pourtant, cette stratégie de dissuasion de la Russie ne fonctionne pas parfaitement. Le partenariat stratégique entre la Géorgie et les États-Unis a atteint de nouveaux sommets lorsqu’en 2017, le département d’État américain a autorisé une vente militaire à la Géorgie portant sur des missiles antichars portables Javelinman et des unités de lancement de commandement Javelin (CLU), de l’équipement qui figurait sur la liste de souhaits de la Géorgie depuis de nombreuses années. De même, le projet de Washington de vendre à la Géorgie des FIM-92 Stingers, un système de défense aérienne portable, souligne l’engagement des États-Unis à poursuivre une coopération étroite dans le domaine de la défense et de la sécurité. De son côté, la Géorgie progresse dans sa coopération avec l’OTAN en ce qu’elle est actuellement le plus grand contributeur non membre de l’OTAN à la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) en Afghanistan et le troisième pays contributeur au total. L’exercice conjoint OTAN-Géorgie 2020 tenu le mois dernier en est un autre exemple. Ces relations intensifiées entre Tbilissi et Washington entretiennent les espoirs de la Géorgie d’adhérer un jour à l’Alliance transatlantique, ce qui peut être vu comme un certain échec des efforts de la Russie d’amener la population géorgienne à rejeter les valeurs occidentales en provoquant des perturbations sociales en Géorgie.
Opérations d’information
En dehors des menaces physiques et militaires, la Russie continue à faire appel à des méthodes plus subtiles pour exercer son influence sur la Géorgie et la population géorgienne. Ces dernières années, l’ingérence de la Russie dans les élections et les processus politiques d’autres pays est devenue un sujet majeur de préoccupation en Occident. Dans le voisinage immédiat de la Russie, cependant, ce phénomène n’est pas nouveau. Parallèlement à son action militaire directe, le Kremlin s’est engagé dans une campagne continue de guerre de l’information visant à saper la démocratie et à déstabiliser la situation politique dans ces pays. C’est donc sans surprise que la Géorgie compte parmi les pays faisant l’objet d’opérations d’influence russe visant à dérailler sa politique étrangère et accroître la polarisation politique au niveau national.
La Géorgie est en effet une cible de choix des attaques cybernétiques et de la propagande en provenance de la Russie. Depuis l’éclatement de l’URSS, de nombreuses phases de tensions entre les deux pays ont donné lieu à diverses campagnes d’information de Moscou sous une multitude de formes. La guerre russo-géorgienne d’août 2008 a certes été la forme la plus manifeste de ces attaques caractérisées par une coordination ingénieuse des opérations militaires traditionnelles sur le terrain physique avec des cyberattaques et des opérations d’information. Les campagnes de désinformation de Moscou à l’endroit de la Géorgie n’ont jamais vraiment cessé depuis. Il n’est pas rare que ces campagnes impliquent directement des hauts fonctionnaires des ministères russes des Affaires étrangères et de la Défense ainsi que le président Vladimir Poutine lui-même.
Plus récemment, Moscou a par exemple lancé une opération d’information contre le Centre Richard Lugar pour la recherche en santé publique, basé à Tbilissi et financé par les États-Unis, le 11 septembre 2018. Le Centre Lugar est un laboratoire qui fait partie du système public de soins de santé de Géorgie. Le commandant russe des troupes de défense radiologique, chimique et biologique, Igor Kirilov, a allégué que le Centre Lugar était un laboratoire où les États-Unis auraient mené des expériences illégales sur des humains, y tuant plus de 73 personnes. Moscou a également accusé Washington de développer des armes biologiques au Centre Lugar. Il est tout à fait plausible qu’une attaque aussi médiatisée que celle contre le laboratoire de Lugar constitue une mesure stratégique visant à susciter la méfiance du public géorgien et international envers les États-Unis dans le but de saper l’intégration de la Géorgie dans la communauté transatlantique.
À l’approche des élections législatives géorgiennes le 31 octobre 2020, il n’est pas étonnant que Tbilissi soit sur le qui-vive. Après tout, la Russie a une assez longue expérience d’interventions dans les campagnes électorales et référendaires de pays étrangers, dont l’élection présidentielle américaine en 2016, mais tout particulièrement dans les anciennes républiques soviétiques. Pour ce qui est des élections géorgiennes, les campagnes de désinformation en provenance de la Russie ont débuté dès 2019 par le soutien à des groupes pro-russes de Géorgie, tel que l’Alliance des Patriotes, et la diffusion d’idées à l’effet que l’Azerbaïdjan et la Turquie seraient des ennemis de la Géorgie, alors que la Russie serait un bon voisin sachant soutenir les pays amis.
Comme c’est le cas ailleurs, la campagne de propagande russe en Géorgie cherche à exploiter les vulnérabilités existantes dans la société. Les valeurs traditionnelles, la religion et les conflits territoriaux sont quelques-unes des questions qui fournissent un terrain fertile pour la manipulation des électeurs en Géorgie. Pour faire avancer ses intérêts, le gouvernement russe soutient divers acteurs pro-Kremlin, tels que les partis politiques, les médias, les ONG et les groupes extrémistes radicaux, qui agissent souvent comme des vecteurs de diffusion de récits anti-occidentaux. L’institution la plus influente du pays – l’Église orthodoxe géorgienne – est également soumise à une influence russe significative et le clergé orthodoxe sert souvent de sources ou d’amplificateurs de récits pro-russes et anti-occidentaux. Cependant, tous ces acteurs n’ont pas de liens directs et ouverts avec la Russie, et certains peuvent agir comme des amplificateurs naturels ou des « idiots utiles », contribuant au récit pro-Kremlin, véhiculé au moyen de soft power et de propagande, qui diffuse des théories du complot et des fausses nouvelles qui divisent.
Une étude de la Media Development Foundation (MDF) sur la propagande anti-occidentale a observé que les récits anti-occidentaux adoptent une approche à trois niveaux: semer la peur, instiller le désespoir et proposer des solutions alternatives. Selon le rapport de la MDF, la propagande anti-occidentale russe évoque le risque d’une guerre et de pertes de territoires, ainsi que la menace d’une érosion de l’identité nationale pour promouvoir les peurs dans la société géorgienne. Les principaux messages utilisés pour instiller le désespoir se concentrent sur le scepticisme quant à la volonté de l’UE et de l’OTAN de soutenir la Géorgie et le récit d’un « déclin libéral » en Occident. Dans ce contexte, le dialogue direct avec la Russie et la neutralité politique et militaire sont proposés comme solutions aux problèmes territoriaux et une orientation pro-russe est présentée comme un moyen de protéger l’identité géorgienne et d’assurer la stabilité économique.
L’écosystème de propagande de la Russie s’est fortement appuyé sur Facebook, le réseau social le plus populaire de Géorgie. Les acteurs pro-Kremlin ont extensivement exploité l’infrastructure des médias sociaux pour répandre la désinformation et les fausses nouvelles. Dans le cadre de sa surveillance des médias sociaux, la Société internationale pour des élections justes et la démocratie (SIEJD) – un chien de garde géorgien des élections et de la démocratie – déclare avoir découvert des réseaux organisés sur Facebook qui fonctionneraient de manière coordonnée pour amplifier et diffuser artificiellement le contenu pro-russe de News-Front et de Sputnik.
News-Front, un véhicule ouvert et agressif de désinformation russe, établi dans la Crimée occupée en 2014, a été lancé en géorgien en octobre 2019, s’engageant dans des opérations d’information sur Facebook peu de temps après. Plus précisément, selon les résultats de l’enquête de la SIEJD
News-Front a tenté de susciter l’antagonisme et l’agression parmi les utilisateurs géorgiens de Facebook, divisant la société, créant une polarisation politique […] et employant une gamme de tactiques pour diffuser des messages anti-occidentaux et pro-russes. Dans le cadre de son opération, News-Front a utilisé de faux comptes qui partageaient du contenu News-Front de manière secrète, organisée et ciblée avec au moins 31 groupes Facebook ouverts avec une audience combinée de plus d’un demi-million [d’utilisateurs]. Outre la promotion de contenus anti-occidentaux et pro-russes, ce réseau ciblait à la fois les groupes Facebook pro-gouvernementaux et pro-opposition « avec des messages provocateurs adaptés qui auraient pu servir à diviser la société en deux camps et à déclencher la confrontation ».
Ce n’est certainement pas un hasard si le service géorgien de News-Front a été lancé un an avant les élections législatives d’octobre 2020 en Géorgie. Il est fort probable qu’un réseau Facebook fabriqué ait été mis en place pour influencer le discours pré-électoral et alimenter davantage la polarisation en Géorgie, où le débat politique est déjà très chargé. Cependant, le début de la pandémie de la COVID-19 et la crise sanitaire mondiale qui a suivi ont fourni un moment opportun pour News-Front de lancer une nouvelle offensive d’information en Géorgie. News-Front et son réseau Facebook se sont rapidement mobilisés pour diffuser de la désinformation, des rumeurs à propos de complots et des messages anti-occidentaux en Géorgie. La désinformation russe liée à la COVID-19 en Géorgie a tenté de déformer la réalité et de promouvoir l’opinion selon laquelle la Géorgie devrait se distancier de l’Occident tout en attaquant implicitement les institutions étatiques et les mesures prises pour contenir le virus. Une fois de plus, la désinformation russe a tenté de discréditer le Richard Lugar Center for Public Health Research, l’accusant d’être impliqué dans la propagation du virus et sapant la confiance dans ses efforts pour lutter contre l’épidémie de coronavirus.
La SIEJD a également affirmé que, comme News-Front, un autre média russe, Spoutnik, utilisait également de faux comptes Facebook pour amplifier artificiellement le contenu de cette propagande en Géorgie.
Facebook a supprimé l’infrastructure mondiale de News-Front de sa plateforme en avril 2020, interdisant à l’organisation de se réinstaller sur le réseau. Les faux comptes associés à Sputnik trouvés par la SIEJD ont également été supprimés à peu près au même moment. Cela a peut-être limité certaines des capacités de l’infrastructure de désinformation russe sur Facebook avant les élections législatives en Géorgie, mais ces enquêtes démontrent que la Russie exploite et continuera d’exploiter les capacités des médias sociaux pour influencer le discours public et les élections en Géorgie.
La place de la Géorgie dans la stratégie de Poutine
L’utilisation par la Russie de la « tactique du salami » n’est pas nouvelle. Ces dernières années, cependant, Moscou a utilisé de manière plus proactive des moyens violents pour miner la souveraineté géorgienne. Le récent déclin de Poutine dans les sondages d’opinion à propos du taux de satisfaction des Russes à son endroit pourrait être l’un des facteurs expliquant l’augmentation de ces provocations. Selon une récente enquête menée par l’institut de sondage russe le Centre Levada, les taux d’approbation de Poutine sont tombés à leur plus bas niveau depuis 2006, avec seulement 33,4% des personnes interrogées en Russie déclarant avoir confiance en son régime. Des propositions impopulaires, comme l’augmentation de l’âge de la retraite et une croissance économique atone, frustrent le public. C’est précisément l’intervention militaire en Tchétchénie et le miracle économique du début des années 2000, qui avaient valu un large soutien populaire à Poutine et on ne peut exclure qu’il tente de réitérer cet exploit en misant sur le nationalisme russe et en adoptant un certain aventurisme en politique étrangère : l’occupation des territoires géorgiens et, plus important encore, l’annexion de la Crimée ont rehaussé ses cotes de popularité qui avaient déjà connu une certaine baisse. Évidemment qu’il s’agit là d’un pari dangereux de la part de Poutine, car ce faisant, il fait alourdir le régime de sanctions dirigées contre les oligarques russes, qui sont également parmi ses soutiens les plus importants. Cependant, bien qu’on puisse voir dans ces interventions une simple politique géopolitique qui a réussi, on ne peut évacuer du revers de la main cette préoccupation de Poutine par sa popularité en déclin. Bien qu’elle soit moins problématique sur le plan du droit international, car la Russie intervient à l’invitation du président syrien Bachir el Assad, l’intervention militaire en Syrie pourrait s’inscrire de cette même logique. Jusqu’à présent, les stratèges du Kremlin ont su habilement distraire le public en présentant les exploits de la force militaire russe à l’étranger.
Alors que les Russes ordinaires commencent à remettre en question les efforts de Poutine pour restaurer la « grandeur passée » de la Russie, la perte de confiance intérieure et l’isolement politique exaspèrent Poutine. La Géorgie semble être l’endroit de prédilection pour atteindre ses objectifs, étant le pays le plus ouvertement pro-occidental de la région, sans être pour autant protégée par le parapluie de l’OTAN. Aussi, il n’est pas besoin d’envahir de nouveau le pays pour avoir un effet, il suffit d’élargir les territoires qui sont déjà occupés, une mesure peu couteuse à laquelle la Géorgie n’a pas les moyens de s’opposer.
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