Sommaire
- Ce document explore la création d’une composante cybernétique interorganisationelle interarmées (Joint Interagency Cyber Component, JICC) au sein du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD), pour faire face aux cybermenaces qui pèsent sur le continent nord-américain.[i]
- Le JICC-NORAD pourrait soutenir la modernisation du NORAD et fournir un organe opérationnel doté de l’autorité et des moyens nécessaires pour faire face aux menaces modernes qui pèsent sur la défense continentale de l’Amérique du Nord.
- Les cybermenaces qui pèsent sur la défense continentale constituent un défi croissant auquel il faut répondre de manière proactive. Les cyberopérations offensives sont à la fois conventionnelles et asymétriques, et nécessitent donc des approches nouvelles pour faire face à un environnement de menace complexe.
- Les structures actuelles permettent de faire face aux cybermenaces, mais elles ne sont pas suffisamment intégrées pour que le Canada puisse garantir la représentation des intérêts nationaux dans la cyberdéfense continentale.
- La création du JICC-NORAD pourrait remédier aux lacunes de la défense continentale dans le domaine de la cyberdéfense en fournissant une alerte anticipée des cybermenaces contre l’Amérique du Nord, en menant des cyberopérations défensives (COD) en appui aux opérations du NORAD et en servant de plate-forme aux agences, aux ministères et au secteur privé pour coordonner la cyberdéfense continentale.
- Le JICC-NORAD pourrait être l’occasion pour le Canada de réaffirmer sa participation à la défense continentale nord-américaine, tout en maîtrisant les ressources et les risques politiques associés à une contribution militaire accrue.
Ce billet a été produit à l’origine pour le North American and Arctic Defence and Security Network (NAADSN) : consultez la version anglaise originale.
Introduction
Ce billet explore la création d’une composante cybernétique interorganisationelle interarmées (Joint Interagency Cyber Component) (JICC) au sein du NORAD en tant qu’option pour moderniser de manière proactive les approches de la défense continentale et ainsi faire face aux menaces émergentes dans le cadre de futurs conflits hybrides. L’importance de la défense continentale et de la modernisation du NORAD a été récemment soulignée par le président américain Joe Biden dans son premier appel officiel avec le premier ministre Justin Trudeau.
Actuellement, le NORAD ne s’occupe pas explicitement des cybermenaces et ne s’engage pas directement dans des cyberopérations. Nous considérons le JICC comme un moyen potentiel de répondre à ces menaces et comme une nouvelle avenue pour la contribution canadienne à NORAD. Le NORAD est une organisation binationale qui réunit le Canada et les États-Unis et qui se concentre sur la défense de l’Amérique du Nord par le biais d’un système d’alerte maritime et d’un système d’alerte et de contrôle aérospatial. Nous suggérons que la création d’une composante cybernétique intégrée au NORAD pourrait aider le Canada et les États-Unis à adopter une approche pan-domaine de la défense continentale.
Le concept du JICC-NORAD est important pour le Canada et la coopération canado-américaine en matière de défense par le biais du NORAD, car il pourrait :
- Aider au développement d’atouts pour accroître la cyber-résilience, les capacités et la connaissance de la situation;
- Contribuer à la modernisation du NORAD pour faire face aux menaces émergentes dans un environnement pan-domaine;
- Gérer efficacement les ressources et les risques politiques tout en apportant des contributions essentielles à la défense nord-américaine.
Le JICC-NORAD favorise une approche nouvelle pour faire face à un environnement de menace continental dynamique. Le JICC vise essentiellement à renforcer la collaboration au sein de NORAD. Le JICC-NORAD se concentre sur l’utilisation de l’expertise nationale, la promotion d’une approche binationale pour faire face de manière proactive aux cybermenaces, et la facilitation formelle de la coopération par le biais de ressources cybernétiques dédiées. Il sert au NORAD d’alerte anticipée pour identifier et résoudre les cybermenaces par l’intermédiaire de cyberopérations défensives.
Nous articulons ce concept en donnant d’abord un bref aperçu de la structure organisationnelle et du mandat actuel du NORAD. Cela comprend une description des contributions nationales du Canada et des États-Unis à la cyberdéfense et des approches privilégiées pour la défense continentale. Ensuite, nous décrivons l’environnement actuel de la menace au niveau de la défense continentale et montrons brièvement comment la modernisation du NORAD a tenté de combler les lacunes en matière de capacités. Nous présentons ensuite les détails et les justifications pour un JICC-NORAD. Nous concluons en réitérant l’importance de ce concept et en formulant des commentaires sur les prochaines étapes à suivre.
(Cyber) défense continentale
La coopération canado-américaine en matière de défense s’inscrit dans le Cadre de travail des trois commandements (Tri-Command Framework) entre le NORAD, le Commandement des opérations interarmées du Canada (COIC) et le Commandement du Nord des États-Unis (USNORTHCOM). Le NORAD s’occupe de la défense continentale, opère dans les domaines aérospatial et maritime, et a pour mandat de « décourager, détecter et contrer les menaces aériennes pour le Canada et les États-Unis » en coopération avec les États-Unis. Actuellement, le NORAD ne s’occupe pas explicitement des menaces liées au domaine cyber ; cependant, les opérations du domaine aérien comprennent « la coordination des opérations cybernétiques et des opérations d’information et l’élaboration de recommandations sur les besoins futurs ». La structure organisationnelle actuelle du NORAD place les menaces de défense continentale liées aux cyberattaques sous le mandat des deux commandements américains.
Le NORAD comprend trois régions : 1) la région de l’Alaska (ANR), 2) la région canadienne (CANR) et 3) la région continentale des États-Unis (CONR). La CANR se concentre sur la surveillance, l’identification, le contrôle et l’alerte des aéronefs pénétrant dans l’espace aérien canadien et dirige les forces de défense aérienne à l’intérieur du Canada. En outre, le Canada coopère avec les États-Unis par l’intermédiaire du NORAD dans le cadre d’opérations, de formations et d’exercices conjoints. Dans le contexte de la défense continentale au sein du NORAD, les menaces liées aux cyberattaques sont actuellement traitées par le Cyber Commandement américain (USCYBERCOM) et le Cyber Commandement de l’armée américaine (ARCYBER).
USCYBERCOM et le NORAD
L’ARCYBER est une équipe de mission de l’USCYBERCOM chargée de soutenir le corps combattant de l’USNORTHCOM (entre autres commandements de combat) en matière de cyberopérations défensives (COD) et de cyberopérations offensives. L’USNORTHCOM se concentre sur les efforts de défense nationale des États-Unis et sur l’Amérique du Nord continentale, y compris le Canada. L’élément primordial du soutien cybernétique passe par les équipes du Cyber Operations-Integrated Planning Elements. Ces cellules (ou détachements de l’USCYBERCOM) sont intégrées au sein de l’USNORTHCOM et fournissent des options cybernétiques au commandant, ainsi qu’un cyberespace non-conflictuel avec d’autres cyber-entités. Cependant, elles ne disposent pas de capacités endémiques cyber, car elles ont pour mission de retourner à leur unité d’origine.
Contributions canadiennes au NORAD et à la cyberdéfense
La contribution du Canada à la défense continentale prend la forme de ressources financières, de personnel et de matériel pour le NORAD. Grâce au NORAD, le Canada peut se concentrer sur la surveillance et le contrôle opérationnel de son espace aérien national afin de maintenir sa souveraineté. La nature binationale du commandement permet au Canada de répondre aux menaces d’une manière économiquement avantageuse, qui sert ses intérêts nationaux et favorise la coopération pour la défense collective de l’Amérique du Nord. Le personnel canadien participe, aux côtés de leurs homologues américains, aux activités liées au NORAD, principalement pour soutenir les opérations aérospatiales dans le Nord. Sur le plan interne, le Canada contribue au NORAD par l’intermédiaire du COIC, de l’État-major interarmées stratégique, du Vice-Chef d’état-major de la défense, et de l’Aviation royale canadienne.
Le Canada fait face aux cybermenaces par l’intermédiaire du Centre de la sécurité des télécommunications (CST), du Centre canadien pour la cybersécurité (CCC) et du ministère de la Défense nationale (MDN)/Forces armées canadiennes (FAC). Le CST est mandaté par la Loi sur le Centre de la sécurité des télécommunications pour protéger et défendre les systèmes cyber canadiens, acquérir des renseignements extérieurs, mener des opérations défensives et actives à l’étranger, ainsi que pour aider les organismes nationaux d’application de la loi, les agences de sécurité et le MDN/les FAC. Le CCC se concentre sur la défense des réseaux du gouvernement du Canada contre les menaces cybernétiques et sur le soutien à la protection des infrastructures essentielles (IC) et des Canadiens en ligne par le biais de conseils d’experts, de services et de rapports d’évaluation accessibles au public. La principale unité cybernétique des FAC est le Centre d’opérations des réseaux des Forces canadiennes, qui est « chargé de mener des opérations défensives dans le cyberespace du MDN et des FAC afin de détecter, de vaincre et/ou d’atténuer les actions offensives et exploitantes pour maintenir la liberté d’action ». Cette unité collabore étroitement avec le CCC pour permettre la COD. En 2018, les FAC ont créé le métier de cyberopérateur, en consacrant des membres cyber formés à travailler en collaboration avec les ministères et organismes nationaux et les alliés internationaux pour détecter les cybermenaces et y répondre, en appui avec les impératifs opérationnels de la Marine, de l’Armée de terre et de l’Armée de l’air. Cette capacité naissante n’est toutefois pas encore pleinement opérationnelle. Le développement actuel des cyber capacités est géré par le directeur général du développement des forces des capacités d’information, le BGén Patrice Sabourin.
Coopération cybernétique entre le Canada et les États-Unis
Le Canada et les États-Unis coopèrent sur les questions de cyberdéfense, mais cette coopération ne relève pas explicitement de la défense continentale et ne se fait pas par l’intermédiaire du NORAD. Il existe plusieurs voies informelles et formelles pour la coopération actuelle entre les États-Unis et le Canada en matière de cyberdéfense : tout d’abord, la coopération par le Groupe des cinq (Five Eyes) (Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, États-Unis et Royaume-Uni) ; ensuite, par le Canada et les États-Unis bilatéralement sur la protection des infrastructures critiques et le partage des informations et des ressources. C’est ce que montre par exemple le Plan d’action sur la cybersécurité entre Sécurité publique Canada et le Département américain de la sécurité intérieure. Ces voies de coopération cybernétique s’accompagnent à la fois d’opportunités et de défis pour le Canada. Le JICC-NORAD pourrait apporter une contribution plus formelle et plus structurée à la coopération canado-américaine en matière de cyberdéfense continentale et aider le Canada à atteindre ses objectifs en matière de cyberdéfense.
Les objectifs du Canada dans le domaine cyber
Selon « Protection, Sécurité, Engagement » (PSE), la vision du MDN et des FAC pour leur rôle dans le domaine cybernétique est d’adopter « une posture plus délibérée dans le cyberdomaine en renforçant nos défenses et en menant des cyberopérations actives contre d’éventuels adversaires dans le contexte de missions militaires autorisées par le gouvernement ». Le MDN/FC cherche également à investir dans des capacités conjointes qui comprennent « capacités cryptographiques, les capacités des opérations d’information et les cybercapacités, ce qui inclura des projets de cybersécurité et de connaissance de la situation, l’identification des cybermenaces et la réponse à celles-ci, ainsi que le développement de capacités pour mener des opérations d’information et des cyberopérations offensives militaires dans le but de cibler, d’exploiter, d’influencer et d’attaquer à l’appui des opérations militaires ».
Le Canada vise à renforcer le cyberengagement dans la défense nationale et les activités de défense continentale. Le MDN et les FAC participent à la défense continentale par l’intermédiaire du NORAD, mais cette participation doit tenir compte de toute l’étendue du spectre des menaces, au-delà des menaces liées aux domaines aérospatial et maritime.
Environnement de cybermenaces
Les cybermenaces qui pèsent sur la défense continentale constituent un défi croissant qui doit être examiné dans la même mesure que les menaces aérospatiales et maritimes actuelles et émergentes. Les cybercapacités offensives sont mises en œuvre par des adversaires étatiques et non étatiques traditionnels, au moyen de vecteurs asymétriques conventionnels et persistants, et sont suffisamment souples pour toucher des cibles situées à l’intérieur et à l’extérieur du spectre conventionnel.
En raison de leur portée et de leur capacité à affecter de manière significative les infrastructures essentielles et les nœuds C4I (Commandement, Contrôle, Communications, Ordinateurs, Intelligence), nous estimons que les cybercapacités offensives ont le potentiel de devenir une menace stratégique pour la défense continentale de l’Amérique du Nord. Comparées aux armes balistiques ou hypersoniques, les cybercapacités offensives offrent des avantages clés qui augmentent leur probabilité d’être utilisées contre des cibles nord-américaines. Ces « cyberarmes » (et leurs infrastructures de soutien) ont des coûts d’ingénierie et de maintenance faibles par rapport aux armes stratégiques conventionnelles, tout en ayant une portée relativement illimitée et des capacités de perturbation à grande échelle. Les effets cybernétiques n’entraînent pas automatiquement des pertes de vies humaines ou des dommages physiques, peuvent éventuellement être inversés par leur auteur et sont parfois difficiles à attribuer. Ces caractéristiques font des capacités cybernétiques offensives un outil idéal pour les conflits en dessous du seuil de la guerre et constituent la tendance actuelle et prévisible en matière de conflits entre les principaux acteurs du cyber.
Les acteurs antagonistes ont les moyens, l’intention et la possibilité de menacer l’Amérique du Nord. Certains ont intégré les cyber-options dans leur doctrine militaire conventionnelle et leurs capacités offensives. La Chine, par exemple, « considère les cybercapacités comme un élément essentiel de sa posture globale de dissuasion stratégique intégrée, au même titre que la dissuasion spatiale et nucléaire », et cherche à utiliser les cybercapacités pour cibler les nœuds de commandement et de contrôle (C2), les réseaux logistiques et les infrastructures essentielles, afin de contraindre un adversaire. De même, la Russie a intégré des cybercapacités dans son concept de « guerre hybride » et en a fait l’utilisation lors des conflits en Géorgie et en Ukraine.
Les menaces asymétriques persistantes véhiculées par des moyens informatiques constituent un autre défi majeur pour la défense continentale de l’Amérique du Nord. Les acteurs étatiques hostiles utilisent les cybercapacités dans des opérations en dessous du seuil de la guerre : ces capacités ont été utilisées dans la sphère des opérations d’information, influençant les processus démocratiques et les décisions politiques et économiques. On observe la même chose avec le cyberespionnage, qui consiste à voler l’expertise technique, les données, la propriété intellectuelle et les technologies sensibles d’autres pays. En outre, l’Évaluation des cybermenaces nationales 2020 du CST indique que la convergence des technologies opérationnelles et des technologies de l’information expose les opérations d’information à un risque plus élevé de cyberperturbation par un tiers. La pandémie actuelle a exposé les vulnérabilités des infrastructures essentielles et de l’économie canadiennes à la cyberperturbation, aux rançons, à la cybercriminalité et au cyberespionnage. Les gouvernements canadien et américain ont tous deux intensifié leurs efforts pour contrer les cyberattaques des acteurs étatiques et non étatiques contre les réseaux de distribution et de logistique du vaccin contre la COVID-19.
Cette évolution du paysage des menaces conventionnelles et asymétriques fait écho aux préoccupations du Général (retraité) Terrence O’Shaughnessy et du BGén Peter Fesler (l’actuel directeur adjoint des opérations du NORAD) concernant le renforcement du SHIELD. Autant les nouvelles capacités hypersoniques représentent une menace croissante, autant la montée en puissance des capacités cyber-offensives conventionnelles et asymétriques représente également un défi pour la défense continentale nord-américaine et exige que le NORAD soit modernisé afin de maintenir sa pertinence et ses capacités d’alerte rapide.
Différentes visions de la modernisation
La vision actuelle du Canada en matière de modernisation du NORAD est axée sur la lutte contre les menaces émergentes, avec un accent particulier sur le renouvellement du Système d’alerte nord (SAN). Conformément à PSE,
« dans le cadre de la modernisation du NORAD, nous avons l’intention, en collaboration avec les États-Unis, de jeter un regard d’ensemble sur les menaces et les dangers qui guettent l’Amérique du Nord dans tous les domaines. […] Le Canada collaborera avec les États-Unis pour moderniser le Commandement et surmonter ces défis ainsi que ceux concernant la défense continentale. […] Le Canada et les États-Unis examineront conjointement les options en vue de renouveler le Système d’alerte du Nord et de moderniser le NORAD, ce qui est essentiel à la réalisation du mandat d’alerte et de contrôle aérospatiaux et d’alerte maritime du NORAD. »
Dans ce contexte, l’objectif de la modernisation est conçu comme un moyen de faire face aux nouvelles menaces qui pèsent sur la défense continentale. Toutefois, les nouvelles technologies et l’évolution des priorités nationales en matière de défense auront une incidence sur ces priorités de modernisation à l’avenir, et la vision de la modernisation du NORAD reste donc contestée.
Comme il a été soutenu ailleurs, cette compréhension de la modernisation du NORAD pourrait être élargie pour inclure la composante cybernétique interorganisationelle et les opérations conjointes spécifiques au monde cybernétique, afin de refléter l’environnement dynamique, interconnecté et en constante évolution de la menace. Nous soutenons que le concept de modernisation du NORAD pourrait être élargi pour inclure des mises à jour organisationnelles et basées sur les connaissances. Bien que des initiatives telles que Pathfinder soient des étapes utiles dans la gestion des données des capteurs, la modernisation du NORAD devrait inclure l’augmentation des capacités de dissuasion, de détection et de neutralisation des menaces pour la défense continentale. Ces menaces comprennent les cyberopérations des principaux adversaires, et le NORAD ne traite pas directement les cybermenaces à l’heure actuelle.
Comme nous l’avons montré dans la section précédente, les cybermenaces sont présentes dans le contexte actuel. Afin de faire face à ces menaces, la modernisation pourrait prendre la forme d’une composante commune. Nous proposons que le NORAD envisage de faire appel au JICC pour faire face aux menaces dans les domaines qui ne relèvent pas de sa mission actuelle et ainsi de combiner les forces cyber défensives des deux pays.
Explorer l’idée d’une composante cybernétique interorganisationelle interarmées pour le NORAD
En termes simples, la défense continentale inclut la cyberdéfense, et la cyberdéfense continentale est une affaire commune. Le JICC-NORAD pourrait se concentrer sur la cyberdéfense par l’intermédiaire de cyberopérations défensives et du soutien aux autorités civiles, ainsi que par la contribution du personnel militaire canadien et américain.
Les principales fonctions du JICC-NORAD pourraient être les suivantes :
- Fournir une alerte anticipée des cybermenaces contre l’Amérique du Nord ;
- Mener des cyberopérations défensives en appui aux opérations du NORAD ;
- Servir de plaque tournante pour les agences, les ministères et le secteur privé afin de réduire les conflits et de coordonner la cyberdéfense continentale.
Pourquoi est-ce important ?
En tant qu’organisation binationale de cyberdéfense, le JICC-NORAD pourrait faire en sorte que le Canada ait son mot à dire dans la planification opérationnelle et la définition des priorités de la cyberdéfense continentale, en particulier lorsque les infrastructures critiques nord-américaines (télécommunications, réseaux logistiques, réseaux électriques) sont vulnérables aux perturbations informatiques, car elles sont de plus en plus intégrées. La contribution et le leadership du Canada en matière de cyberdéfense continentale pourraient démontrer notre fiabilité en tant que partenaire et notre prévoyance face aux menaces stratégiques, et aider le Canada à dépasser la stratégie de « défense contre l’aide ».
La centralisation des cyber-ressources et des acteurs au sein du JICC-NORAD pourrait apporter une contribution indispensable à la modernisation des capacités pan-domaines, ou JADC2 (Joint All-Domain Command and Control). Les données recueillies par des moyens informatiques pendant les opérations cyber-défensives et d’alerte rapide pourraient fournir des renseignements essentiels, en particulier lorsqu’elles sont mises en relation avec les données recueillies sur d’autres plateformes. Ce volume accru de données collectées pourrait également encourager le NORAD à accélérer l’adoption de systèmes de traitement utilisant l’informatique quantique et l’intelligence artificielle (IA). Comme l’ont indiqué Charron et Fergusson :
Plus les domaines surveillés par le commandant du NORAD sont nombreux, plus celui-ci dispose, en théorie, d’informations pour prendre des décisions vraisemblablement plus loin dans le temps et l’espace. En d’autres termes, un éventail élargi de missions permet au NORAD de voir plus loin et de réagir plus rapidement sur le continuum de la menace.
En gardant à l’esprit que les cybercapacités peuvent être utilisées seules ou en conjonction avec d’autres systèmes d’armes ou capacités de coercition, une composante portant une attention particulière au domaine cybernétique fournirait au commandant du NORAD une connaissance étendue de la situation. D’autres (voir Babb) ont défendu l’idée d’élargir les opportunités d’une cyber-collaboration accrue au sein du NORAD et d’un engagement étendu avec le secteur privé. Toutefois, l’intégration des moyens informatiques au sein de NORAD est actuellement limitée.
Plus généralement, le JICC-NORAD pourrait être l’occasion pour le Canada de réaffirmer sa participation à la défense continentale nord-américaine, tout en gérant les ressources et les risques politiques généralement associés à une contribution militaire accrue. L’investissement du Canada dans l’expertise et l’infrastructure de COD au profit de la défense nord-américaine représente une alternative pertinente et pratique aux autres systèmes d’armes de défense continentale, surtout lorsque le Canada « a traditionnellement évité la préemption principalement en raison de contraintes politiques et de ressources limitées, ainsi que de la taille et de la portée beaucoup plus réduites de son armée ».
En outre, un investissement canadien dans les capacités de cyberdéfense du NORAD est généralement une opportunité politiquement sans risque. Sur le plan intérieur, il pourrait probablement gérer les sensibilités politiques habituellement irritées par la participation éventuelle du Canada au programme américain de défense contre les missiles balistiques. Au niveau international, l’investissement dans la cyberdéfense plutôt que dans les armes balistiques pourrait avoir moins d’impact sur le plaidoyer du Canada en faveur du désarmement, notamment vis-à-vis de la Russie, de la Chine ou de l’Iran.
Comment cela pourrait fonctionner ?
En s’appuyant sur des moyens inter-agences, le JICC-NORAD pourrait viser à intégrer des organismes civils tels que la National Security Agency (NSA), la Cybersecurity and Infrastructure Security Agency (CISA), le CST et le Cyber Centre, en plus du MDN/FAC et du ministère américain de la défense (US DoD). Le concept JICC-NORAD est une composante (par opposition à un commandement), car il pourrait fonctionner comme une sous-unité sous l’égide du NORAD/USNORTHCOM, et pourrait être composé de membres de diverses cyber organisations canadiennes et américaines. En outre, cette organisation pourrait devenir un pont entre les intérêts privés et universitaires, en favorisant les relations nécessaires pour stimuler l’innovation et la cohésion des efforts.
Bien que le Canada et les États-Unis s’attaquent tous deux aux cybermenaces nationales, il est nécessaire de renforcer leur collaboration dans le cadre de la défense continentale. Les menaces pour la défense continentale sont un effort de collaboration et sont gérées par le NORAD. Ainsi, selon ce raisonnement, les cybermenaces pour la défense continentale devraient être traitées par une sous-composante du NORAD. Cette structure permettrait au Canada d’apporter son expertise, de briser les silos dans la planification de la défense et d’accroître la participation à la coopération en matière de défense.
L’investissement et le développement du domaine cyber sont des priorités et des exigences pour la défense nationale. L’exploitation des relations existantes avec un allié dont le Canada est déjà très dépendant permet de trouver une solution rentable pour développer davantage nos capacités de cyberdéfense. En raison de son lien essentiellement militaire, le JICC-NORAD pourrait ouvrir la voie à une évolution plus rapide des FAC dans le domaine des cyberopérations qui est principalement contrôlé, au Canada, par le CST.
Pourquoi la création du JICC-NORAD est importante, et les prochaines étapes
Les contributions actuelles du Canada au NORAD et sa vision de sa modernisation doivent être élargies pour répondre véritablement aux nouvelles menaces qui pèsent sur la défense continentale. Toutefois, cette révision ne doit pas être assortie d’un lourd tribut, de contraintes non nécessaires ou de redondance. Bien que les menaces soient présentes, l’expertise et la base de connaissances informatiques existent au sein des deux États pour relever ces défis.
Il est important que le Canada continue à s’engager avec les États-Unis sur les questions liées à la défense collective, et la collaboration par le biais du NORAD est un élément clé pour atteindre cet objectif. Bien que le Canada et les États-Unis coopèrent sur des questions de défense et de cyberdéfense ailleurs, le JICC-NORAD offre une nouvelle approche pour accroître la flexibilité et les capacités. Le JICC-NORAD vise à faire passer cette collaboration au niveau supérieur de la défense continentale. Elle peut également ouvrir de nouvelles possibilités de collaboration avec d’autres partenaires, y compris des acteurs du secteur privé et d’autres parties prenantes de confiance, ainsi que promouvoir davantage le partage d’informations et de meilleures pratiques entre les alliés. En outre, la structure du JICC-NORAD garantira que le Canada a la possibilité de faire valoir ses intérêts et de contribuer de manière égale par le biais du format des composantes. En effet, il ne s’agit pas d’une unité de rattachement ou guidée par les directives d’une chaîne de commandement étrangère.
Nous avons établi un plan d’action pour le concept du JICC-NORAD, y compris son importance et sa justification. L’élaboration d’une cyberstratégie de défense continentale est une étape supplémentaire dans le processus de révision du NORAD. Une autre étape importante est la révision de l’Accord du NORAD et l’introduction d’un mandat cyber au sein de celui-ci. Le JICC-NORAD est un objectif à long terme qui implique de multiples phases de planification. Le Canada pourrait montrer la voie dans le processus d’ouverture des domaines et d’intégration d’une perspective cybernétique dans la mission de NORAD visant à dissuader, détecter et vaincre les menaces à la défense continentale.
[i] L’autrice tient à remercier Ehren Edwards pour son dévouement à favoriser les liens entre l’expertise universitaire et le gouvernement. Les auteurs souhaitent remercier la Dr. Shannon Nash pour avoir donné l’opportunité d’écrire cet article et la Dr. Andrea Charron pour ses commentaires perspicaces sur les versions précédentes de cet article. Les opinions exprimées dans ce document n’engagent que les auteurs et ne représentent pas le ministère de la Défense nationale ou les Forces armées canadiennes.
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