Pendant l’automne 2023, les forces armées de l’Azerbaïdjan achèvent leur reconquête du territoire du Haut-Karabagh, jusque-là contrôlé par la république autoproclamée de l’Artsakh (nom arménien pour la République autoproclamée du Haut-Karabakh). Cette opération militaire solde a priori le conflit du Haut-Karabagh, qui avait commencé en 1988 alors même que l’Azerbaïdjan et l’Arménie n’étaient que des républiques socialistes soviétiques. Le casus belli était alors les tensions interethniques entre Arméniens et Azéris dans l’oblast autonome du Haut-Karabagh, et plus particulièrement la demande de transfert de l’oblast vers la RSS d’Arménie puis la suspension de cette dite autonomie par la RSS d’Azerbaïdjan. L’Arménie avait gagné la première guerre (1988-1994), en permettant aux Arméniens du Haut-Karabagh d’avoir le contrôle de ce territoire, ainsi qu’en occupant quelques territoires avoisinants, ce qui permettait la défense de cette république sécessionniste. En 1994, sous le patronage de la Fédération de Russie, seul un cessez-le-feu avait été trouvé. Ainsi, la présence de la république sécessionniste d’Artsakh n’a pas entraîné sa reconnaissance par d’autres Etats, même par l’Arménie.
En 2016, l’Azerbaïdjan, mené par le fils de l’ancien président Heydar Aliyev, Ilham, avait lancé une offensive pour récupérer des terres contrôlées par les Arméniens. Après d’autres offensives en 2020 et 2023, l’Azerbaïdjan réussit à reprendre le contrôle de tout le territoire. Ce qui pourrait être perçu comme un conflit entre deux Etats pour une petite province n’a en fait rien d’anodin. D’abord, ce conflit se distinguait par la fragilité de la paix durant le gel du conflit, à l’inverse d’autres conflits post-soviétiques. Ensuite, ce conflit était particulier parce qu’il sort du cadre des alliances traditionnelles : ici, l’Alliance atlantique n’est pas impliquée. Même si le conflit a opposé les Azéris, majoritairement musulmans chiites, aux Arméniens, majoritairement chrétiens, il s’agit d’un conflit plus empreint de nationalismes que du fait religieux. D’ailleurs, l’Arménie fut soutenue par l’Iran, pourtant musulman chiite comme l’Azerbaïdjan. Enfin, ce conflit et ses conséquences sont extrêmement importants dans les équilibres géopolitiques actuels. Dans cette note de synthèse, il conviendra de se pencher sur les changements géopolitiques en 2024 pour ces deux Etats : l’Arménie, qui opère un véritable virage à cent-quatre-vingts degrés diplomatique ; l’Azerbaïdjan, qui multiplie les partenariats et tente d’émerger comme nouvel acteur régional.
Tournant pro-occidental de l’Arménie
Les décisions de Pachinian
Nikol Pachinian (orthographié Pashinyan selon la translittération en anglais) est élu Premier ministre de la République d’Arménie en 2018, à la suite d’un mouvement appelé « révolution de velours », réunissant une partie de la société civile contre Serge Sarkissian, alors président de la République qui tente de s’accorder une prolongation de son mandat. Pachinian apparaît alors comme le candidat contre la corruption du gouvernement, qui est également très influencé par l’armée depuis les années 1990. Il met en œuvre une politique libérale, progressiste, en dehors des clivages traditionnels. Sur le plan géopolitique, il tente d’apaiser les tensions avec l’Azerbaïdjan, ce qui est un échec du point de vue des nationalistes arméniens : le Haut-Karabagh est à présent entièrement dominé par l’Azerbaïdjan, qui est plus puissant que jamais. Il a aussi cherché l’apaisement après la guerre, en cédant quelques terres à l’Azerbaïdjan. Pachinian a également tenté de se rapprocher de la Turquie, qui est l’autre puissance régionale dans le Caucase, ainsi que de la République islamique d’Iran.
Enfin, la politique étrangère de Nikol Pachinian est caractérisée par son divorce avec Moscou. Le gouvernement d’Erevan a annoncé d’abord la suspension de sa participation (le 23 février 2024), puis la sortie (le 12 juin) de l’Organisation du traité de sécurité collective (ou OTSC), alliance militaire dirigée par le Kremlin, qui réunit d’anciennes républiques soviétiques (Bélarus, Kazakhstan, Kirghizistan, Russie, Tadjikistan). L’OTSC est censée défendre les intérêts stratégiques de ses membres. Du point de vue d’Erevan, l’OTSC a donc failli à sa mission. Dans ce contexte, l’Arménie s’est rapprochée des pays occidentaux, notamment la France, la Grèce et Chypre, les États-Unis dans une moindre mesure, et a même évoqué une possible candidature pour l’intégration dans l’Union européenne.
La réaction russe
Pour les Russes, c’est à la politique de Nikol Pachinian qu’il faut imputer la défaite dans le Haut-Karabagh. Les alliances avec les Occidentaux seraient, selon l’ancien président de la Fédération Dmitri Medvedev, la raison de la détérioration des relations russo-arméniennes. Cette position est partagée par le gouvernement de Moscou, à travers la voix de sa porte-parole, Maria Zakharova, qui a jugé que l’Occident était derrière la décision de Pachinian de la suspension de sa participation aux réunions de l’OTSC. Le tournant pro-occidental de l’Arménie semble ne pas être digéré par les responsables russes. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la Russie craint une « ukrainisation » de l’Arménie, c’est-à-dire un éloignement entre une ex-RSS et la Russie. En effet, l’Ukraine, à travers sa coopération avec ses partenaires occidentaux, avait aussi pris ses distances avec la Russie au cours des trois dernières décennies. L’Arménie était jusqu’à présent un pilier du « proche étranger » de la Russie, constitué d’organisations internationales pilotées par le Kremlin. L’Arménie, en plus de l’OTSC qu’elle vient de quitter, est toujours membre de l’Union économique eurasiatique et de la Communauté des États indépendants. Quand on compare avec l’Azerbaïdjan ou la Géorgie, on remarque que l’Arménie a encore gardé de nombreux liens avec la Russie. Le pari de Pachinian de quitter le giron russe pour se rapprocher des Européens se justifie selon lui au vu de l’abandon des Russes dans le conflit au Haut-Karabagh, mais n’est pas partagé par tout le monde en Arménie.
La réaction de la population arménienne
En effet, deux visions s’affrontent au sein de la société arménienne sur les raisons de la perte du Haut-Karabagh. Pour Nikol Pachinian et ses partisans, c’est la Russie qui n’a pas joué son rôle de maintien de la paix dans la région. En effet, la Russie a par exemple délaissé le corridor de Latchine, qui faisait office de pont entre le territoire de la République d’Arménie et le Haut-Karabagh. Pour les opposants à Pachinian, le divorce entre l’Arménie et la Russie est antérieur à la dernière guerre du Haut-Karabagh. Certains vont même jusqu’à reprendre les éléments de langage de Moscou sur le rapprochement avec les Européens qui ne sont pas fiables dans la défense des Arméniens. Cette vision est défendue par l’opposition à Nikol Pachinian : d’abord, l’opposition partisane, menée par Gagik Tsarukyan, qui est aussi l’une des plus grandes fortunes du pays, et les anciens présidents Serge Sarkissian et Robert Kotcharian.
Aussi, les derniers mois ont été marqués par la montée du mouvement « Tavouch pour la patrie », qui organise des manifestations de milliers de personnes pour appeler à la démission du gouvernement dans le cadre de cette défaite. Ce mouvement reprend le nom de la région du Tavouch, au nord-est, proche des villages cédés à l’Azerbaïdjan l’année dernière, dans le cadre des efforts de normalisation. Ce mouvement est incarné par l’archevêque de Tavouch Bagrat Galstanyan et rassemble les foules contre Nikol Pachinian. Il y a peu, l’archevêque, qui détient aussi la nationalité canadienne et qui est soutenu par le clergé apostolique arménien, a même déclaré son intention de devenir Premier ministre et s’est mis en retrait de ses fonctions religieuses. L’homme d’Église est aussi suspecté par des députés de la majorité d’être un espion de la Russie. Aujourd’hui, sa popularité, son discours et son statut de clerc traduisent un danger pour le gouvernement de Pachinian.
Enfin, l’opposition est aussi symbolisée par des militants artsakhiotes. Samvel Chakhramanian, dernier président de la République d’Artsakh, qui se déclare aujourd’hui en exil en Arménie, avait décrété la dissolution de la république après la défaite en septembre 2023, mais avait ensuite déclaré cette dissolution « illégale », car contournant le parlement artsakhiote. Il est aujourd’hui l’une des figures de l’irrédentisme et s’oppose à la stratégie pacifiste de Pachinian.
Dans ce contexte politique très tendu, nul doute que les élections législatives de 2026 joueront un rôle majeur dans l’évolution de l’Arménie à moyen-terme.
Aliyev et Erdogan : jeux d’équilibristes
La stabilité de l’alliance Ankara-Bakou
Depuis l’indépendance de l’Azerbaïdjan en 1991, la Turquie est son plus grand allié, aussi bien en tant que partenaire commercial que soutien géopolitique. C’est la Turquie qui a permis à l’Azerbaïdjan de développer son économie pendant les trente dernières années, en accompagnant la construction de gazoducs, tels que la pipeline trans-anatolienne (TANAP), qui extrait du gaz dans la Mer caspienne et qui la distribue à la Turquie en passant par la Géorgie et en contournant l’Arménie. La Turquie a fourni de nombreuses armes à l’Azerbaïdjan dans le cadre de la guerre du Haut-Karabagh, comme les drones Bayraktar, qui ont été très utilisés. La Turquie a aussi été la première nation à soutenir l’Azerbaïdjan dans sa conquête des territoires alors sous contrôle arménien, comme lors de la déclaration de Choucha, signée par Recep Tayyip Erdogan et Ilham Aliyev dans une ville tout juste reprise par les forces armées azerbaïdjanaises. Cette déclaration confirme le soutien de la Turquie à l’Azerbaïdjan, qui se considèrent comme une seule nation, pour deux États. En effet, la Turquie et l’Azerbaïdjan sont très alignées en ce qui concerne les relations extérieures, en témoigne le rapprochement entre l’Azerbaïdjan et la République turque de Chypre du Nord. Cette alliance est aujourd’hui très consolidée et se justifie par deux facteurs principaux.
Le premier est la convergence des intérêts : la Turquie et l’Azerbaïdjan partagent les mêmes partenaires commerciaux (Union européenne, Géorgie, pays d’Asie centrale), les mêmes rivaux régionaux (Iran, Russie) et la même vision géopolitique, à savoir le non-alignement entre le camp russe et le camp occidental. À l’inverse de l’Arménie, l’Azerbaïdjan n’est pas incité à nouer des alliances ni avec l’OTAN, ni avec l’OTSC, et sait faire du commerce avec l’Union européenne ainsi qu’avec des membres de l’Union économique eurasiatique. La seconde raison est un davantage idéologique : les régimes d’Erdogan et d’Aliyev ont des liens évidents avec le panturquisme, à savoir le rapprochement des peuples turciques, d’Istanbul à Bichkek au Kirghizistan. Ainsi, depuis 2009, les deux pays sont membres de l’Organisation des États turciques, qui est une organisation régionale importante en Asie centrale et occidentale, et qui permet de nombreuses coopérations dans les domaines de l’éducation, de la culture, de l’énergie, de la lutte contre le fondamentalisme religieux etc.
La normalisation des relations avec l’Arménie ?
Le projet panturc est aussi symbolisé par le corridor de Zanguezour que veulent construire les deux dirigeants. Ce couloir passerait par la région du Syunik en Arménie, et couperait même la frontière entre l’Arménie et l’Iran, tout en permettant au territoire principal de l’Azerbaïdjan d’avoir un accès direct à la province autonome du Nakhitchevan, exclave de l’autre côté de l’Arménie, ainsi qu’à la frontière avec la Turquie. Pour les Arméniens, ce projet est une menace pour leur intégrité territoriale. L’Arménie est aujourd’hui au pied du mur, forcée de s’entendre avec ses deux voisins, qui sont aussi ses deux plus grands rivaux : la Turquie ne reconnaît pas le génocide des Arméniens, ce qui en fait un éternel caillou dans la chaussure pour la réconciliation entre les deux États ; l’Azerbaïdjan à cause de la guerre du Haut-Karabagh et de l’ultranationalisme du discours d’Ilham Aliyev.
En effet, lors des rencontres entre Nikol Pachinian et Ilham Aliyev, ce dernier a réclamé, dans la perspective de normalisation entre les deux pays, la cession des quelques territoires à la frontière dans la région du Tavouch, mais aussi de retirer du préambule de la Constitution de la République d’Arménie la référence à la Déclaration d’indépendance, qui évoque le génocide des Arméniens en « Arménie occidentale » (donc le territoire oriental de la Turquie actuelle) et l’Artsakh (donc le Haut-Karabagh, aujourd’hui intégré à l’Azerbaïdjan). Les références au mont Ararat dans les symboles nationaux de l’Arménie sont également négativement jugées par Ilham Aliyev. Enfin, ce dernier a parlé de l’Arménie comme de « l’Azerbaïdjan occidental », ce qui réveille le nationalisme arménien et plonge Erevan dans un dilemme : faut-il normaliser les relations avec Bakou pour enfin se rapprocher de l’Occident ou se préparer à une invasion de l’ensemble du territoire par l’armée azerbaïdjanaise ?
En outre, la Russie tente de réapparaître dans le jeu diplomatique entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. En effet, Vladimir Poutine a réalisé récemment une visite à Bakou, et essaie de réunir ses deux homologues autour d’un accord de paix durable, ce qui redonnerait à la Russie un rôle majeur dans la région.
Entre OTAN et Russie : un jeu compliqué depuis la guerre en Ukraine et à Gaza
L’invasion de l’Ukraine par l’armée russe en février 2022 a eu un effet indirect sur la situation dans le Haut-Karabagh, puisque que Moscou, qui était l’arbitre dans la région, a délaissé celle-ci et a ensuite pointé l’irresponsabilité du gouvernement d’Erevan. Aujourd’hui hors-jeu dans le conflit arméno-azerbaïdjanais, la Russie a laissé le leadership à d’autres puissances régionales, la Turquie en premier lieu. La Turquie est un membre de l’OTAN, mais ne partage pas toujours les positions des États occidentaux dans le conflit en Ukraine, et cherche à servir d’intermédiaire entre Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky, en vain. Le régime d’Ankara est régulièrement en froid avec ses partenaires européens. L’Azerbaïdjan a longtemps eu une relation privilégiée avec l’Ukraine, et est aussi membre de l’Organisation pour la démocratie et le développement, soit une organisation de coopération régionale pro-européenne dans l’espace post-soviétique qui est censée contrebalancer l’influence russe et qui est aussi appelée GUAM, pour reprendre les initiales de ses membres : Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan et Moldavie. L’Azerbaïdjan a aussi été l’un des partenaires privilégiés de l’Union européenne sur l’énergie depuis la fin des échanges avec la Russie. Un accord entre la Commission européenne et l’Azerbaïdjan sur le gaz avait été signé en 2022. Cependant, l’Azerbaïdjan entretient aussi des relations exécrables avec certains pays européens, comme la France, et est même soupçonnée d’ingérence dans des mouvements indépendantistes en Nouvelle-Calédonie, en Martinique, en Corse et en Polynésie. La Turquie comme l’Azerbaïdjan ont réussi à prendre des distances vis-à-vis de la Russie, et à faire du commerce avec les Européens, mais s’opposent à eux sur certains sujets. Cette indépendance, que l’on pourrait qualifier d’ambiguïté stratégique, n’est possible que parce que la Turquie a réussi à construire son propre espace de coopération régionale.
La guerre à Gaza a aussi révélé l’ambiguïté des régimes turc et azerbaïdjanais sur le sujet. La Turquie a régulièrement dénoncé l’offensive de Tsahal dans la bande de Gaza, autant dans ses relais médiatiques qu’aux Nations-Unies. Pourtant, la Turquie est l’un des principaux partenaires d’Israël. L’Azerbaïdjan est même davantage allié à Israël, considéré comme un véritable partenaire stratégique. Israël a vendu des systèmes de drones et de missiles à l’Azerbaïdjan qui ont été utilisés lors de sa guerre contre l’Arménie en 2020. L’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm évoque même le chiffre de 69% d’importations d’armes d’origine israélienne entre 2016 et 2020. La raison de ce rapprochement est certainement la présence de l’Iran, ennemi juré d’Israël et grand rival de l’Azerbaïdjan. A contrario, l’Arménie vient de reconnaître l’État de Palestine.
Conclusion : Risques sécuritaires dans la région, enjeux qui concernent d’autres puissances
Le Caucase du Sud est en pleine transformation d’un point de vue géopolitique. La fin de la guerre au Haut-Karabagh a certes achevé un conflit vieux de trente-cinq ans, mais les accords de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan suscitent trop de contestation pour considérer que la rivalité entre les deux pays est terminée. Des efforts sont faits au niveau diplomatique, mais des intérêts de politique intérieure alimentent la possibilité d’une non-résolution du conflit, voire d’une exacerbation des tensions. Il est donc important de considérer les différents ordres du jour des pays de la région.
- Pour le gouvernement de Nikol Pachinian, la priorité est au rétablissement des relations avec ses voisins azerbaïdjanais et turc, afin de garantir la souveraineté de la république d’Arménie sur son territoire. Dans un second temps, la poursuite du rapprochement avec l’Occident est également un objectif affiché par le Premier ministre. Pour ce dernier, la perte de l’Artsakh est certes une tragédie pour le peuple arménien, mais est également une opportunité pour ne plus dépendre des orientations politiques du Kremlin : sortie de l’OTSC, fin des missions russes autour du Haut-Karabagh, alliances conclues avec des pays européens, candidature à l’adhésion à l’Union européenne. Deux défis s’imposent à lui : une défiance vis-à-vis d’une partie de la population, de plus en plus nationaliste et susceptible de vouloir rétablir le parapluie sécuritaire russe ; les positions extrêmement dures du régime de Bakou, qui ne vont pas dans le sens d’un apaisement, et qui, dans le discours du moins, prennent en tenaille les ambitions pacifistes de Nikol Pachinian.
- Pour Ilham Aliyev, l’agenda est plus difficile à décrypter. La reconquête du Haut-Karabagh était un principe quasi-consubstantiel à la formation de la république d’Azerbaïdjan, et la fin de cette guerre constitue un nouveau chapitre pour lui. L’Azerbaïdjan veut se développer sur le modèle des monarchies du Golfe arabo-persique. En effet, son modèle économique repose sur les exportations d’énergie, en l’occurrence le gaz, géré par la compagnie nationale SOCAR. Soucieux de montrer une image moderne de son pays, Ilham Aliyev a obtenu l’organisation de la COP29. Son prochain grand objectif est la mise en œuvre du projet de corridor de Zanguezour. S’il peut compter sur une très bonne relation avec la Turquie, l’Azerbaïdjan a vu ses relations avec ses partenaires européens sérieusement détériorées lors des derniers mois. La guerre menée pour restaurer sa souveraineté sur le Haut-Karabagh, dont plusieurs ONG rapportent des violations des droits de la personne ainsi que des crimes de guerre, lui a valu des critiques de la part de la Commission européenne et du Conseil de l’Europe. La France et l’Azerbaïdjan partagent désormais des relations exécrables, sur fond de cyberguerre, d’ingérences dans les affaires intérieures et de propagande.
- La Turquie cherche quant à elle à approfondir l’intégration avec l’Azerbaïdjan et soutient le projet de corridor de Zanguezour. En même temps, un léger rapprochement avec le gouvernement d’Erevan a eu lieu. Le but de la Turquie est de s’imposer comme acteur régional et d’être un interlocuteur incontournable des grandes puissances. Cette stratégie est proche de celle menée au Moyen-Orient (Syrie), en Afrique (Libye, Somalie) ou dans les Balkans occidentaux (Bosnie-Herzégovine, Kosovo).
- La Russie est clairement perdante dans les évolutions géostratégiques des dernières années. Militairement, la Russie a disparu du Caucase du Sud, excepté dans les républiques sécessionnistes géorgiennes. Cependant, parallèlement à sa volonté d’épuiser la résistance ukrainienne et son soutien occidental, la Russie essaie de réavancer ses pions dans le Caucase du Sud : alors qu’elle cherche à reprendre la main en Géorgie, elle peut également pousser une partie de la population arménienne à sanctionner le gouvernement de Nikol Pachinian et installer un régime plus favorable à Erevan, en jouant sur les tensions ethniques et la soif de revanche chez les Artsakhiotes. En parallèle, Vladimir Poutine est à la recherche d’un accord de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. En bref, le Kremlin a intérêt à s’imposer dans le Caucase, au vu de la situation dramatique dans sa partie septentrionale, en particulier au Daghestan, qui voit les velléités islamistes et indépendantistes progresser à vitesse grand V.
- Pour la République islamique d’Iran, l’objectif est surtout l’échec du corridor de Zanguezour, car ce dernier le priverait d’une vraie frontière avec l’Arménie, partenaire économique dans le Caucase. Les relations avec l’Azerbaïdjan ont toujours été assez froides, et ce dès l’indépendance de ce dernier. Le président azerbaïdjanais Aboulfaz Eltchibey (1992-1993) avait plaidé pour l’unification de l’ensemble des Azéris, y compris ceux vivant en Iran, qui représentent l’une des minorités les plus importantes de ce pays. Ce mouvement irrédentiste a amené l’Iran à prendre fait et cause pour l’Arménie, selon le principe « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ». Le soutien permanent de Bakou à Israël renforce cette rivalité, et la mort dans un accident d’hélicoptère du président Ebrahim Raïssi de retour d’une visite en Azerbaïdjan n’ont pas arrangé les relations bilatérales.
- Enfin, la position des États occidentaux reste ambiguë. S’il y a évidemment des nuances dans les positions des différents États ou institutions, il existe une tendance lourde : les États-Unis, la France et l’Union européenne tentent de contrer l’influence des autres puissances régionales dans le Caucase. Mais la délicate question de leur position dans le conflit arméno-azerbaïdjanais s’est imposée : à plusieurs reprises, ces pays ont exprimé leur soutien aux Arméniens, tout en tentant de promouvoir des négociations entre Erevan et Bakou. D’une part comme de l’autre, la position occidentale a suscité des critiques : pour les Arméniens, cette position faisait fi du déséquilibre géopolitique et dans les violences ; pour l’Azerbaïdjan, la médiation était inaudible, au vu du soutien envers le Haut-Karabagh. Maintenant que la guerre est terminée, les Occidentaux peuvent retrouver un rôle de garant de sécurité régionale, surtout dans le but contrer les ambitions russes.
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