Dans sa stratégie indo-pacifique de novembre 2022, le Canada a identifié la montée de la violence au Myanmar à la suite du coup d’État militaire de 2021 comme l’une des menaces les plus importantes pour la paix et la prospérité de la région. Se positionnant comme un partenaire actif et engagé dans la région indo-pacifique, le Canada s’est engagé à promouvoir la paix, la résilience et la sécurité dans la région en tant qu’objectif stratégique. Le Canada a également promis d’accorder une attention particulière à son engagement avec les pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE). Enfin, la stratégie affirme que le Canada mettra en œuvre sa stratégie sur les Rohingyas, contribuant ainsi à atténuer la crise des réfugiés rohingyas.
Pourtant, à l’heure où nous écrivons ces lignes, le Canada n’a pas nommé d’envoyé spécial pour les crises des Rohingyas et du Myanmar, comme il l’avait promis. Bien qu’il ait reconnu que la crise du Myanmar constituait une grave menace pour la sécurité de la région indo-pacifique, le Canada n’a pas abordé cette crise en détail et n’a pas non plus proposé de réponse globale dans sa stratégie indo-pacifique. La réponse terne à la guerre au Myanmar sape l’engagement du Canada en faveur de la paix et de la sécurité dans la région indo-pacifique. Le Canada doit donc prendre des mesures concrètes pour résoudre la crise du Myanmar afin de s’affirmer comme un allié crédible dans la région.
Contexte
Le 1er février 2021, la junte militaire birmane a renversé le gouvernement civil démocratiquement élu du Myanmar et détenu le président Win Myint ainsi que la dirigeante de facto du pays et lauréate du prix Nobel, Aung San Suu Kyi. La junte, officiellement connue sous le nom de Conseil d’administration de l’État, est dirigée par le général Min Aung Hlaing, qui est recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour avoir perpétré le génocide des Rohingyas en 2017. L’armée birmane a lancé des attaques génocidaires contre la population rohingya, un groupe minoritaire musulman au Myanmar, notamment des massacres, des viols et des incendies criminels, forçant de nombreuses personnes à fuir leur domicile. Un grand nombre de personnes déplacées de force vivent aujourd’hui dans le plus grand camp de réfugiés du monde, dans le district de Cox’s Bazar, au Bangladesh voisin, un autre pays de la région indo-pacifique. Le coup d’État de 2021 a installé les auteurs de ces crimes contre l’humanité au pouvoir au Myanmar.
Le coup d’État a violemment transformé la démocratie naissante d’Asie du Sud-Est en une longue guerre civile. Immédiatement après le coup d’État, de nombreux citoyens ont exprimé leur désaccord avec le régime militaire par des manifestations pacifiques et ont demandé le soutien de la communauté internationale en utilisant le hashtag #WhatsHappeningInMyanmar sur les médias sociaux. Cependant, lorsque les manifestants pacifiques ont fait les frais d’une répression meurtrière, un gouvernement parallèle et intérimaire a été formé en avril 2021. Ce gouvernement, appelé gouvernement d’unité nationale (NUG) du Myanmar, est l’un des principaux acteurs de la lutte actuelle du Myanmar pour la démocratie.
Aujourd’hui, le NUG compte les Forces de défense du peuple (PDF) comme unités armées sous son commandement, qui participent à la résistance militante contre le SAC dans tout le pays. Parmi les autres acteurs importants de la lutte contre le régime militaire figurent les organisations révolutionnaires ethniques (ERO), le mouvement de désobéissance civile (CDM), qui a rassemblé des étudiants et des fonctionnaires en grève, ainsi que des militants pro-démocratie au Myanmar et dans la diaspora. L’objectif commun de ces différents acteurs au sein de ce vaste mouvement, également connu sous le nom de « révolution de printemps », est de renverser la junte et de reconstruire le Myanmar sous la forme d’une démocratie fédérale inclusive.
La guerre au Myanmar : Conséquences sécuritaires
Il n’y a pas de conflit sans répercussions, et la guerre au Myanmar ne fait pas exception. Quatre années de violence politique prolongée et de guerre civile ont entraîné une intensification de la crise de l’immigration qui met en péril la paix et la stabilité de la région indo-pacifique. Le nombre de réfugiés, de personnes déplacées à l’intérieur du pays et d’apatrides au Myanmar et en provenance de ce pays est passé de 2,6 millions en 2021 à 5,1 millions en 2024. Le Bangladesh, l’Inde et la Thaïlande supportent une grande partie du fardeau de cette crise de l’immigration. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), ce nombre devrait atteindre un total de 6,8 millions de personnes d’ici à la fin de 2025, soit une augmentation considérable de 1,7 million par rapport à 2024.
L’ampleur des violences que l’armée du Myanmar inflige à sa propre population civile contribue à cette tendance alarmante au déplacement et à l’augmentation de l’insécurité dans la région. Le Myanmar est classé au troisième rang mondial sur la liste de l’Armed Conflict Location & Event Data (ACLED) des pays qui compteront le plus grand nombre de décès dus à la violence politique en 2024, juste derrière l’Ukraine et la Palestine. C’est également le deuxième endroit le plus dangereux et le plus violent au monde, selon le Conflict Index 2024 de l’ACLED. Entre février 2021 et décembre 2024, 74 951 personnes sont mortes à cause de la guerre et de la violence politique au Myanmar. Au 19 mars 2025, des preuves documentaires indiquent que la junte a tué 1 474 femmes et 737 enfants et arrêté 5 971 femmes et 598 enfants. 170 peines de mort ont été prononcées à l’encontre de militants pro-démocratie et de leurs partisans civils. En outre, la junte a bombardé de manière inhumaine des écoles et des universités. Depuis le coup d’État militaire de 2021, plus de 170 établissements d’enseignement ont été pris pour cible, notamment lors de frappes aériennes, tuant intentionnellement de nombreux enfants et jeunes.
Politiques canadiennes passées et présentes sur le Myanmar
Les décideurs et les praticiens canadiens ont déjà examiné les conséquences de la violence politique au Myanmar et de la crise de l’immigration qui en découle dans le contexte de la politique étrangère canadienne. En 2017, l’ambassadeur Bob Rae a été nommé envoyé spécial au Myanmar, dirigeant les efforts diplomatiques canadiens pour aider à résoudre la crise des Rohingyas. La première phase de la stratégie du Canada pour répondre à la crise des Rohingyas au Myanmar et au Bangladesh a été lancée en 2018 sur la base des recommandations fournies par l’ambassadeur Rae dans son rapport de 2018. Dans la deuxième phase de la Stratégie du Canada pour répondre aux crises des Rohingyas et du Myanmar (2021-2024), le gouvernement du Canada a reconnu la nécessité d’un engagement soutenu et d’un soutien supplémentaire pour aider à relever les nouveaux défis qui sont apparus après le coup d’État de 2021.
La deuxième phase de la stratégie énumère quatre objectifs clés : (i) soutenir les populations à risque et touchées par la crise au Myanmar et au Bangladesh, en particulier les réfugiés rohingyas, les personnes déplacées à l’intérieur du pays et les communautés d’accueil touchées ; (ii) intensifier les efforts pour promouvoir une paix inclusive et durable au Myanmar ; (iii) cibler le soutien pour promouvoir le rétablissement d’un régime démocratique au Myanmar ; et (iv) accroître la pression sur les acteurs malveillants, y compris en continuant à demander des comptes pour les violations des droits de l’homme. Le Canada s’est également engagé à renforcer la coopération internationale, notamment par la nomination d’un envoyé spécial, afin d’atteindre ces objectifs.
Les lacunes dans la réponse politique du Canada
Bien que la guerre au Myanmar et ses conséquences soient perçues comme une menace réelle pour la sécurité de la région indo-pacifique, le Canada n’a toujours pas tenu ses promesses. Le fait que la stratégie indo-pacifique ne contienne pas d’actions spécifiques sur la manière dont le Canada s’attaquerait à la crise du Myanmar et à la crise de l’immigration qui en découle laisse penser que le Canada n’a peut-être fait qu’exprimer des vœux pieux à l’égard des communautés du Myanmar qu’il a l’intention d’aider. Le fait que la stratégie indo-pacifique mentionne que le Canada mettra pleinement en œuvre la deuxième phase de sa stratégie sur les Rohingyas, qui s’est achevée en décembre 2024, ne fait qu’ajouter du sel à la plaie. Toutefois, en mars 2025, aucun envoyé spécial n’avait encore été nommé pour les crises des Rohingyas et du Myanmar. Interrogé sur la nomination d’un envoyé spécial en novembre 2024, un représentant d’Affaires mondiales Canada a répondu que l’on ne s’attendait pas à ce qu’un envoyé spécial soit immédiatement nommé.
En ce qui concerne la coopération internationale pour faire face à la crise du Myanmar, le Canada a réitéré son soutien aux efforts de l’ANASE pour résoudre la situation humanitaire au Myanmar. Toutefois, il ne suffit pas d’emboîter le pas à l’ANASE et de soutenir ses efforts politiques inefficaces, car l’ANASE a non seulement poursuivi mais aussi renforcé son engagement auprès de la junte en dépit de ses crimes de guerre. La mise en œuvre du consensus en cinq points de l’ANASE, une feuille de route établie en avril 2021 pour la paix au Myanmar et soutenue par le Canada, a échoué face à l’intransigeance du régime. Le Canada doit donc explorer d’autres moyens d’aborder la crise du Myanmar par des voies diplomatiques au-delà des relations bilatérales entre le Canada et l’ANASE afin de soutenir la consolidation de la paix au Myanmar, un objectif énoncé dans la stratégie indo-pacifique.
Pourquoi le Canada devrait intensifier sa réponse au Myanmar
L’une des raisons possibles de l’absence de réponse politique du Canada au Myanmar est la petite taille de la diaspora du Myanmar au Canada. Après tout, il n’y a que 9 235 immigrants du Myanmar au Canada, selon le recensement de 2021. Pour faire écho à la Fondation Asie Pacifique (FAP), il semble y avoir une disparité dans la réinstallation au Canada de personnes fuyant des conflits violents dans le monde entier, puisque 298 128 ressortissants ukrainiens sont arrivés au Canada entre le 17 mars 2022 et le 1er avril 2024. En revanche, le nombre de réfugiés réinstallés au Canada en provenance de pays non occidentaux reste beaucoup plus faible, avec 44 620 réfugiés admis dans le cadre de l’initiative de réinstallation des réfugiés syriens, 55 195 ressortissants afghans arrivés au Canada après la prise de pouvoir des talibans en 2021, et un total de seulement 5 675 réfugiés du Myanmar résidant au Canada en 2021.
Ce qui est surprenant, c’est que seuls 1 000 réfugiés rohingyas ont été réinstallés au Canada depuis 2006, un chiffre très bas si l’on considère que les décideurs politiques canadiens ont tendance à souligner très souvent leur engagement à aider les réfugiés rohingyas. Avec les récentes réductions de financement de la part des États-Unis, les efforts d’aide humanitaire en faveur des réfugiés rohingyas sont menacés. La récente visite du secrétaire général des Nations unies, António Guterres, à Cox’s Bazar met en évidence la gravité de la crise de l’immigration, et le Canada doit tenir ses promesses de fournir un soutien supplémentaire aux réfugiés rohingyas en fonction des nouveaux défis à relever. Les défenseurs des Rohingyas restent frustrés car ils ne voient que peu d’impact des prétendus fonds canadiens alloués à l’aide au déplacement, sans compter qu’il n’y a pas d’envoyé spécial.
L’attention accrue du Canada à l’égard du Myanmar devient plus critique que jamais à la suite des récents changements politiques et stratégiques survenus aux États-Unis sous l’administration Trump. Le président Trump envisage une interdiction de visa similaire à celle mise en œuvre sous sa première présidence. Le Myanmar a été touché par sa première interdiction de visa et le sera probablement à nouveau si la seconde entre en vigueur. Le président Trump a également bloqué 45 millions de dollars qui financent le programme de bourses d’études pour le développement et l’inclusion, grâce auquel des étudiants marginalisés du Myanmar sont inscrits dans des universités à travers l’Asie. Ces changements dans la politique étrangère des États-Unis concernant le Myanmar signifient que le statut de protection temporaire (TPS) désigné aux ressortissants du Myanmar sous l’administration Biden a peu de chances d’être renouvelé après son expiration en novembre 2025. Ces changements offrent également au Canada une excellente occasion de combler le manque de leadership nord-américain dans la crise du Myanmar et de réaffirmer l’engagement du Canada en faveur des droits de l’homme, de la paix et de la prospérité au Myanmar et dans la région indo-pacifique.
Recommandations politiques
Nommer un envoyé spécial au Myanmar (comme promis)
Le Canada doit nommer dès que possible un envoyé spécial au Myanmar qui s’appuiera activement sur le travail et l’héritage de l’ambassadeur Bob Rae. La nomination d’un envoyé spécial chargé de la guerre au Myanmar et de la crise de l’immigration qui en découle renforcera le rôle du Canada en tant qu’allié attaché à l’amélioration des droits de l’homme et à la stabilité durable dans la région indo-pacifique. L’envoyé spécial peut également servir de pont entre les praticiens canadiens peu au fait de ce qui se passe en première ligne au Myanmar et les populations marginalisées que le Canada a promis d’aider.
Mettre en œuvre la localisation dans les pratiques d’aide humanitaire
Pour soutenir plus efficacement les communautés touchées par la guerre au Myanmar, le Canada doit prendre l’initiative de décider comment distribuer l’aide humanitaire. La priorité doit être donnée aux petites organisations locales qui travaillent directement avec les populations locales du Myanmar et des régions frontalières, plutôt qu’aux grandes organisations et agences internationales qui facturent des frais généraux exorbitants. Il est également nécessaire de faire preuve de transparence quant à la manière dont l’aide canadienne est distribuée afin d’instaurer un climat de confiance entre les décideurs politiques canadiens et les communautés qu’ils souhaitent soutenir.
Collaborer avec les dirigeants et la société civile des États membres de l’ANASE
Le Canada devrait travailler en étroite collaboration avec les dirigeants et la société civile des États membres de l’ANASE pour faire face à la guerre au Myanmar. Cette recommandation s’inscrit dans le cadre de la stratégie indo-pacifique du Canada, car elle permettra d’accroître l’engagement entre le Canada et les différents pays de l’ANASE. Les pays de l’ANASE que le Canada devrait privilégier dans ses efforts diplomatiques pour atténuer la crise du Myanmar sont la Malaisie, la Thaïlande et l’Indonésie, car ils accueillent la plupart des réfugiés et des demandeurs d’asile en Asie du Sud-Est.
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