Policy Forum Politique est un nouveau format de publication qui vise à stimuler le débat en présentant un large éventail d’opinions d’experts sur un sujet important pour la sécurité nationale du Canada. Pour cette première édition, nous avons demandé à quatre experts leur point de vue sur la participation potentielle du Canada au Golden Dome, un important projet de défense antimissile à plusieurs niveaux proposé par l’administration Trump plus tôt cette année.
Jean-François Bélanger, Collège royal danois de défense
La décision du Canada de se joindre au projet Golden Dome devrait être conditionnelle à la capacité d’Ottawa d’obtenir des modalités de gouvernance binationale qui vont au-delà de la fourniture de données provenant de capteurs et de systèmes d’alerte. Si cet accord était conclu, il renforcerait probablement l’effet de « défense contre l’aide » du NORAD en consolidant l’engagement du Canada envers la défense continentale au nord du 49e parallèle, en particulier au-dessus de l’Arctique, et augmenterait le contrôle souverain sur les interceptions, des missiles balistiques aux missiles hypersoniques, au-dessus du territoire canadien. De plus, cela éviterait la « participation asymétrique » exigée par l’administration Bush lors des négociations sur la défense antimissile de 2005, qui avait découragé la participation du Canada.
Compte tenu de l’impopularité historique de la défense antimissile et des armes spatiales au Canada, il serait essentiel de négocier une clause de sortie au cas où les États-Unis développeraient à l’avenir une doctrine de missiles déployés dans l’espace qui irait à l’encontre des politiques canadiennes. La participation canadienne serait donc fondée sur une doctrine selon laquelle les interceptions ne proviennent pas de missiles situés dans l’espace, car ceux-ci pourraient techniquement être utilisés à des fins offensives.
L’un des points de négociation pourrait concerner le transfert de la responsabilité du commandement de la défense antimissile de l’USNORTHCOM au NORAD lui-même. De cette façon, les interceptions au-dessus du territoire canadien nécessiteraient une clé canadienne, à l’instar des accords à double clé utilisés par les alliés des États-Unis pour les armes nucléaires américaines déployées à l’avant pendant la guerre froide. Pour ce faire, les deux pays devraient définir le processus de commandement binational et s’entendre sur l’utilisation et l’interprétation des données fournies par les capteurs. Le Canada ne devrait pas être simplement consulté. Il jouerait un rôle à part entière dans le processus.
Sur le plan politique, le Canada devrait provisoirement se joindre aux phases initiales du projet Golden Dome, celles qui concernent les capteurs et les données, afin d’influencer l’architecture du projet. Il ne devrait s’engager à investir dans des intercepteurs de missiles, et à assumer la majeure partie du coût, qu’après avoir obtenu la garantie d’une infrastructure de commandement et de contrôle binationale sur le territoire canadien, l’accès à l’algorithme qui alimentera le backend du système et un droit de regard sur le contrôle des coûts à l’avenir.
Jean-François Bélanger est professeur adjoint en opérations militaires au Collège royal danois de défense et titulaire d’un doctorat de l’Université McGill. Ses recherches portent notamment sur les armes nucléaires, la dissuasion et la prise de décision.
Andrea Charron, Université du Manitoba
En raison de sa participation au NORAD, le Canada participe déjà à la détection des menaces aériennes et balistiques qui pèsent sur l’Amérique du Nord, et sa mission de contrôle fournit des moyens pour contrer les attaques menées par des avions à voilure fixe et des missiles de croisière. Par conséquent, compte tenu du statu quo, le Canada ferait partie du Golden Dome, qu’il y soit officiellement inclus ou non. Compte tenu des menaces que représentent les missiles, le Canada a besoin de sa propre architecture intégrée de défense aérienne et antimissile (IAMD), coordonnée avec les systèmes américains et futurs systèmes de l’OTAN.
Les raisons sont doubles. Premièrement, en raison de la géographie du Canada et du fait que la voie d’approche la plus rapide pour atteindre des cibles situées aux États-Unis passe par l’Arctique canadien, le Système d’alerte du Nord (une série de systèmes radar à courte et longue portée) et les futurs systèmes radar transhorizon (c’est-à-dire les variantes arctiques et polaires) fourniront des données essentielles sur la connaissance du domaine.
Deuxièmement, en raison des trois missions du NORAD – alerte et contrôle aérospatial et alerte maritime – le NORAD est chargé de détecter et de neutraliser les menaces aériennes qui pèsent sur l’Amérique du Nord, notamment les chasseurs, les bombardiers, les missiles de croisière (lancés depuis les airs ou la mer) et les missiles de croisière intercontinentaux. Le NORAD n’a pas pour mission de neutraliser les missiles balistiques entrants. Il a du mal à faire face à certains types de systèmes aériens avancés sans pilote avec les capteurs dont il dispose actuellement. Le refus du Canada en 2005 de participer au système américain de défense antimissile balistique à mi-course basé au sol signifie que le NORAD avertit de l’arrivée de missiles balistiques, mais n’a pas son mot à dire ni aucun rôle à jouer dans leur neutralisation. Ce pouvoir décisionnel appartient au Commandement nord-américain (USNORTHCOM).
L’environnement menaçant a contraint le Canada à repenser ses besoins futurs en matière de défense. Le Canada doit défendre ses infrastructures civiles et militaires essentielles, ce qui nécessite un système IAMD. Les intercepteurs spatiaux sont un pont trop loin, mais il existe de nombreux éléments du Golden Dome et des futurs systèmes de l’OTAN auxquels le Canada participera et devrait participer. L’avantage des alliés est que les capteurs et les systèmes qu’ils hébergent loin du Canada peuvent aider le Canada et vice versa. Si les systèmes américains et européens ne se concentreront pas spécifiquement sur le Canada sans sa participation, le Canada aura besoin à la fois de capacités nationales et de l’aide de ses alliés.
Andrea Charron est professeure et directrice du Centre d’études sur la défense et la sécurité à l’Université du Manitoba. Elle est titulaire d’un doctorat du Collège militaire royal du Canada. Ses recherches portent notamment sur le NORAD, l’OTAN, le Conseil de l’Arctique et la politique étrangère et de défense du Canada.
Paul Meyer, Université Simon Fraser
Il existe certaines mauvaises idées qui, malgré toute logique, refont surface périodiquement. L’une d’entre elles est le rêve américain de construire un bouclier impénétrable capable de protéger le pays contre toute forme d’attaque missile.
Le président Ronald Reagan a adopté le concept de bouclier avec son Initiative de défense stratégique. Cependant, celle-ci n’a pas réussi à mettre en place un système terrestre viable, sans parler d’une constellation d’intercepteurs dans l’espace. Néanmoins, l’industrie de la défense était tout à fait disposée à dépenser des milliards pour poursuivre ce mirage et les politiciens se sont rendus complices en exemptant le programme des réglementations habituelles régissant les achats militaires. À l’heure actuelle, la version du président Donald Trump de l’illusion du bouclier national est le « Golden Dome ». Il affirme qu’il peut être créé en trois ans pour seulement 175 milliards de dollars, un rêve chimérique scandaleux qui recevra l’indulgence des principaux entrepreneurs américains du secteur de la défense.
Le Canada devrait éviter ce gâchis pour trois raisons. La première est son inefficacité : les performances médiocres du système terrestre existant n’inspirent pas confiance, tandis que le système spatial fantaisiste nécessiterait, selon certaines estimations, une constellation de 40 000 intercepteurs. Une autre raison est qu’il serait déstabilisateur, car les adversaires des États-Unis ne permettront pas que leurs forces de représailles soient neutralisées par un futur système qui pourrait générer un avantage technologique et qui pourrait les inciter à augmenter leurs arsenaux de missiles offensifs à titre de protection. Le Golden Dome pourrait entraver les efforts futurs de négociation de réductions. La mise en place d’intercepteurs dans l’espace détruirait également l’espoir de préserver celui-ci comme un environnement non militarisé, ce que le Canada défend depuis des décennies.
Enfin, il y a les coûts. Selon le Congressional Budget Office, les seuls aspects spatiaux de la défense contre quelques missiles balistiques intercontinentaux coûteraient plus de 500 milliards de dollars. Trump a déclaré au Canada que la participation au projet Golden Dome coûterait environ 100 milliards de dollars.
Le Canada devrait donc éviter le « trou noir » que représente Golden Dome et s’en tenir à ses plans actuels de contribution à la modernisation du NORAD.
Paul Meyer est chercheur en sécurité internationale et professeur adjoint à l’Université Simon Fraser, directeur du groupe canadien Pugwash et ancien diplomate de carrière canadien. Il a été ambassadeur auprès de la Conférence du désarmement à Genève de 2003 à 2007.
Gaëlle Rivard Piché, CDA Institute
Les discussions autour de la participation potentielle du Canada au Golden Dome occultent souvent la réalité la plus urgente : le Canada est devenu de plus en plus vulnérable face à ses adversaires. Les bombardiers russes qui contournent l’espace aérien nord-américain ne sont plus la seule préoccupation. Les drones, les missiles de croisière avancés et les armes hypersoniques menacent désormais les territoires canadiens et américains. Les défis dans les domaines maritime, spatial et cybernétique ne font que compliquer davantage la situation.
Pour déterminer si le Canada devrait se joindre au Golden Dome, il faut faire la distinction entre la connotation politique du projet et les impératifs opérationnels qui ont initialement poussé les États-Unis à mettre au point un système de défense à plusieurs niveaux. Les commandants successifs du NORAD et de l’USNORTHCOM ont maintes fois mis en garde contre l’évolution rapide de ces menaces, non seulement pour les États-Unis, mais pour l’ensemble de l’Amérique du Nord. Le Canada a mis du temps à reconnaître que ces dangers nous touchent aussi directement.
La mission du NORAD se limite à l’alerte aérospatiale, au contrôle aérospatial et à l’alerte maritime. En cas d’attaque balistique, c’est l’USNORTHCOM, et non le NORAD, qui est seul responsable de l’interception d’un missile entrant. Le Canada ne dispose pas de capacités de défense aérienne et antimissile, ce qui le laisse à la merci de ses adversaires et de la bonne volonté des États-Unis. En cas d’attaque complexe et à plusieurs niveaux contre l’Amérique du Nord, on ne peut pas supposer que Washington allouerait ses ressources limitées en matière de défense antimissile pour protéger les cibles canadiennes.
Une défense aérienne et antimissile intégrée est désormais essentielle pour la défense du Canada et de l’Amérique du Nord. Le Golden Dome est une solution possible. La mise en place d’un système souverain de défense aérienne et antimissile canadien en est une autre. Ces deux options soulèvent des questions cruciales concernant la capacité, le coût, la technologie, le commandement et le contrôle, ainsi que les délais de livraison. Cependant, de par la nature même du NORAD, tout système souverain canadien serait inévitablement lié aux défenses américaines. En fin de compte, le Canada ne peut pas laisser la fierté nationale prendre le pas sur la sécurité et la défense nationales. Bien que la souveraineté en matière de défense ait une valeur importante, elle doit être mise en balance avec le besoin urgent de s’intégrer de manière transparente à notre plus proche allié militaire face à l’évolution rapide des menaces qui pèsent sur le continent.
Gaëlle Rivard Piché est directrice générale de la Conférence des associations de la défense et de l’Institut CDA. Elle est titulaire d’un doctorat en affaires internationales de l’Université Carleton et a travaillé comme analyste stratégique pour Recherche et développement pour la défense Canada.
Les commentaires sont fermés.