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Une guerre dans le détroit de Taïwan est-elle imminente ? Oui, éventuellement dans les cinq prochaines années. Les récentes déclarations du président américain Biden ont renforcé les garanties de sécurité implicites américaines en faveur de la démocratie autonome insulaire qu’est Taïwan, de sorte qu’il ne fait guère de doute que les États-Unis chercheront à défendre Taïwan contre une attaque chinoise. L’engagement américain est réel, mais les États-Unis ne peuvent pas défendre Taïwan seuls. Ils ont besoin de leurs alliés pour les aider à défendre Taïwan, et l’allié le plus important dans cette perspective est sans aucun doute le Japon. Cette note politique examine les relations entre le Japon et Taïwan. Elle soutient que le Japon s’oriente vers un engagement implicite qui consisterait à aider à la défense de Taïwan dans le cas d’une attaque chinoise, et ce malgré la présence de plusieurs facteurs qui pourraient remettre en question cette garantie. Cette note politique examine aussi la montée en puissance de la Chine et sa détermination à imposer l’unification à Taïwan, par la coercition ou par la force si nécessaire. Ensuite, cette note retrace l’évolution de la politique diplomatique et de défense japonaise à l’égard de Taïwan ces dernières années. Toutefois, des précautions s’imposent : plusieurs facteurs pourraient faire vaciller le Japon sur la question de cet engagement implicite ou le rendre moins efficace qu’il ne pourrait l’être.
Les ambitions chinoises
Taïwan reste la pièce manquante insaisissable de la politique de réunification chinoise. La stratégie visant à attirer Taïwan dans l’orbite de la Chine culminait dans les années 1990 lorsque la Chine cherchait à adopter une bonne conduite et à utiliser la politique « un pays, deux systèmes » pour intégrer Taïwan dans une sorte d’association informelle, mais légale. Après le 1er juillet 1997, Hong Kong devait être un test pour montrer qu’une telle association pouvait fonctionner. Vingt ans plus tard, la répression continentale des libertés individuelles et de la démocratie à Hong Kong montre clairement que la Chine est systématiquement incapable de tolérer le pluralisme politique et la démocratie. En 2021, les évaluations américaines des capacités militaires chinoises prévoyaient un horizon de six ans au cours duquel la Chine serait capable d’intervenir militairement. Xi Jinping, en particulier, a fait de la réunification son grand projet pour le troisième mandat, qu’il va probablement décrocher à la tête du Parti communiste. Xi a besoin d’un succès de taille pour justifier la continuation de son leadership, ne serait-ce que pour se positionner aux côtés de Mao Zedong dans l’histoire chinoise. Toutefois, le temps joue contre Xi à deux égards. Tout d’abord, la population taïwanaise se sent de moins en moins chinoise. Ensuite, le ralentissement de la croissance économique et démographique de la Chine, la politique insoutenable du « zéro Covid » ainsi que les problèmes de dette, de dégâts environnementaux et de corruption dans le cadre de la Nouvelle route de la soie (Belt and Road Initiative) ont également commencé à peser sur ces ambitions grandioses. Tout cela révèle une dure réalité de politique intérieure : Xi est à court de grandes choses à accomplir. Ainsi, Taïwan pourrait être cette réalisation, et même un succès dont Mao n’a pas pu se vanter. En supposant que le XXe Congrès national du Parti renomme Xi à sa tête à l’automne 2022, c’est un compte à rebours de cinq ans qui se déclenche pour Taïwan.
Les Forces japonaises d’autodéfense : L’armée qui n’est pas autorisée à agir
L’article 9 de la Constitution japonaise de 1947 – rédigée par les autorités d’occupation américaines – interdit explicitement au Japon d’avoir une armée. Les Américains ont regretté cette clause trois ans plus tard et ont créé la Réserve de police nationale et l’Agence nationale de sécurité (National Safety Agency), précurseurs des Forces japonaises d’autodéfense (FJA) et du ministère de la Défense. Pendant la guerre froide, la protection américaine a aidé le Japon, mais les États-Unis ont maintenu une pression constante pour que le Japon augmente sa contribution à la défense. Bien que l’opposition politique se soit fermement opposée à toute modification de l’article 9 ou à toute augmentation des capacités des FJA, le Parti libéral-démocrate (PLD) dominant a progressivement adopté des modifications. L’une des plus importantes a eu lieu en 2015 lorsque le Japon a élargi sa définition de la légitime défense pour inclure d’autres pays : « lorsque le Japon subit une attaque armée ou lorsqu’un pays étranger qui entretient une relation étroite avec le Japon subit une attaque armée qui menace par conséquent la survie du Japon et constitue un danger évident […] ».
Les FJA ont déjà été impliquées dans diverses activités à l’étranger sans toutefois combattre. Le Japon a contribué à un certain nombre d’opérations de maintien de la paix des Nations unies. À la suite des attaques du 11 septembre aux États-Unis, les unités maritimes des FJA se sont déployées dans l’océan Indien de 2001 à 2010, et des patrouilles de lutte contre la piraterie se poursuivent dans l’océan Indien. En 2004, le gouvernement Koizumi a envoyé en Irak, à la demande des États-Unis, le « Groupe japonais de reconstruction et de soutien à l’Irak », un bataillon de troupes non combattantes qui a opéré pendant cinq ans.
Si les dépenses de défense japonaises ont stagné lors de la période de la fin des années 1990 à 2013, le Japon les a, depuis, augmentées de plus de 18% en dollars constants et de plus de 24% en yens. Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), ces dépenses s’élèvent à 54,1 milliards de dollars par an, ce qui est comparable à l’Allemagne et à la France, et qui dépasse les dépenses de la Corée du Sud, de l’Australie et du Canada. Le Japon dispose d’une flotte moderne de sous-marins non nucléaires, de navires de guerre, d’excellentes capacités de lutte anti-sous-marine et d’une Force aérienne d’autodéfense moderne. Bien qu’il y ait plusieurs domaines dans lesquels les FJA doivent s’améliorer, ses moyens navals dans la région montrent que le Japon dispose de forces substantielles pour compléter les moyens américains.
Source : IISS The Military Balance 2022.
Il est peut-être plus important encore de souligner que le Japon est dans la position optimale pour coopérer avec les États-Unis à propos de Taïwan : il héberge les forces américaines à Okinawa, aux côtés des siennes, au sein de ports aériens et maritimes cruciaux qui sont proches de ce qui sera peut-être bientôt le théâtre d’affrontements.
Toutefois, les dépenses militaires de Taïwan et du Japon ne sont pas comparables à celles de la Chine.
Source : SIPRI, 2022.
L’évolution de la relation entre le Japon et un pays qui n’existe pas
Le Japon a rompu ses relations diplomatiques avec Taipei en septembre 1972, mais y a maintenu un bureau non officiel qui fonctionnait comme une ambassade sans en porter le nom. Les liens économiques et sociaux entre le Japon et Taïwan sont restés très bons. Les Taïwanais interrogés font état de bons sentiments envers le Japon, et l’héritage historique qui pèse sur les relations entre Japon et la Corée, la Chine ou les Philippines est beaucoup moins prononcé pour Taïwan. Lee Teng-hui, le premier président directement élu de Taïwan, et Tsai Ing-wen, sa présidente actuelle, ont parlé favorablement du Japon et continuent de le faire. Tsai a même un fil Twitter en japonais qui compte 1,4 million d’abonnés.
Les relations entre le Japon et la Chine ont longtemps déchiré le PLD au pouvoir, entre les « faucons » les plus belliqueux et les « colombes » conciliantes. Au sein de ce deuxième groupe se trouvait Fumio Kishida. Cependant, après son élection au poste de premier ministre en octobre 2021, la plupart des analystes estiment que Kishida s’est transformé en « faucon » et que les « colombes » sont en voie de disparition.
Le PLD a mis en place une « équipe de projet pour une politique taïwanaise » au début de l’année 2021 pour organiser des pourparlers entre des législateurs (et non des représentants du gouvernement) dans les domaines de politique étrangère et de défense. Il semble toutefois peu probable que les rumeurs à propos d’un « Japan Taiwan Relations Act » qui serait calquée sur la loi américaine de 1979 autorisant les ventes d’armes défensives à Taïwan soient avérées. En 2021, les préoccupations concernant la situation dans le détroit de Taïwan sont devenues beaucoup plus « courantes » dans la politique japonaise : « […] L’aggravation des frictions dans le détroit de Taïwan tout au long de 2021 a poussé les médias, les politiciens et les décideurs japonais à s’inquiéter des risques et de l’impact potentiel qu’un éventuel conflit aurait sur le Japon – et ce, à un degré peut-être sans précédent. »
L’évolution vers une vision plus avant-gardiste à propos de Taïwan est au moins en partie attribuée à la volonté accrue des États américains et européens de collaborer avec Taïwan. Le Japon reconnaît également les intérêts communs des deux pays : « À présent, le Japon cherche activement à promouvoir des liens de défense plus étroits avec les États libéraux et démocratiques d’Asie, un comportement qui est devenu partie intégrante de sa stratégie. Dans ce cadre, Taïwan est l’un des principaux candidats avec lequel le Japon pourrait développer des relations plus étroites, étant donné qu’il s’agit d’une démocratie insulaire proche des États-Unis et menacée par la Chine. »
La détermination croissante du Japon à l’égard de Taïwan a été renforcée par l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022. Le Japon a réagi rapidement et résolument contre la Fédération de Russie, imposant des sanctions dans la lignée des États-Unis et de l’Union européenne, gelant les avoirs russes détenus à Tokyo, coupant l’accès bancaire à SWIFT et gelant également les avoirs de responsables russes. Comme l’a déclaré le ministre de la Défense, Nobuo Kishi , « si la communauté internationale autorise ou tolère d’une manière ou d’une autre l’agression de la Russie contre l’Ukraine, cela pourrait envoyer un message erroné selon lequel de telles actions pourraient être tolérées dans d’autres parties du monde, y compris dans l’Indopacifique. […] L’Asie de l’Est pourrait être l’Ukraine de demain. »
Recommandations politiques
- Il est crucial de maintenir et d’accroître les visites et les exercices de l’OTAN dans l’Indopacifique, ainsi que d’en approfondir l’institutionnalisation. Il est fondamental que l’OTAN constitue, face à la Chine, une alliance occidentale capable de surveiller simultanément le théâtre européen et celui de l’Indopacifique. Le Canada, en tant que membre de l’OTAN et puissance du Pacifique, a une responsabilité particulière à cet égard. Le récent harcèlement des avions de l’Aviation royale canadienne par la Chine visait à intimider le Canada.
- Les alliés des États-Unis doivent envisager de façon réaliste ce délai maximum de cinq ans et prendre des mesures en conséquence. Heureusement, l’Ukraine a créé les conditions d’un changement de politique sérieux au Japon.
- Les alliés occidentaux doivent élaborer des réponses conjointes dans le cadre de scénarios « à la limite de la guerre », par exemple un blocus naval chinois de Taïwan déguisé en « quarantaine ».
- Explorer les stratégies et la coordination des achats d’armes avec Taïwan et le Japon. Les dirigeants américains commencent à réfléchir sérieusement à la possibilité d’une guerre dans le détroit de Taïwan, et il serait crucial d’avoir une idée de la stratégie du gouvernement taïwanais et d’inclure le Japon et d’autres alliés dans ce processus.
- Conserver les politiques du « pays qui n’existe pas » et de la « force militaire interdite ». Pousser le Japon à créer son propre Taiwan Relations Act ou abolir l’article 9 de la constitution comporte des coûts politiques et des risques diplomatiques qui n’entraîneraient que peu de changements dans la réalité.
Steven F. Jackson est professeur de science politique à la Indiana University of Pennsylvania. Après avoir obtenu sa licence en relations internationales à l’Université de Stanford en 1981, il a enseigné l’anglais à Xi’an en Chine de 1981 à 1983. Il a obtenu son doctorat à l’Université du Michigan et a rejoint le corps enseignant de l’Université de Pennsylvanie en 1994. Il est l’auteur de China’s Regional Relations in Comparative Perspective (Routledge 2018), ainsi que de nombreux chapitres et articles sur les relations internationales de l’Asie de l’Est.
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