En 2001, la signature de l’accord de Bonn marque le début d’un investissement important de l’Occident dans la refonte culturelle, économique et politique de l’Afghanistan. Vingt ans plus tard, un gouvernement affaibli a été renversé par les talibans laissant la communauté internationale face à l’échec de son intervention et devant répondre à un dilemme : comment soutenir les populations locales qui sont depuis deux décennies dépendantes de l’aide internationale sans légitimer un gouvernement autoritaire qui, par ses actions, a démontré à maintes reprises qu’il n’avait aucunement l’intention de respecter les conditions imposées par la communauté internationale en vue de l’octroi de l’aide.
La réponse de la communauté internationale face à la reprise du pouvoir par les talibans a été unanime. D’un côté, elle a retiré sa participation financière active à toutes les structures existantes, plongeant plus du tiers de la population afghane dans l’insécurité alimentaire et financière. De l’autre côté, elle a conditionné l’aide humanitaire à la nécessité pour les talibans de respecter un ensemble de critères. Cependant, cette approche, bien que compréhensible considérant le climat d’incertitude dans lequel le pays se trouve, sous-entend une logique réactive et un manque de réflexion stratégique sur le type d’engagement nécessaire à la protection des populations locales et à la préservation des intérêts internationaux.
En ce qui a trait à l’assistance humanitaire, elle concerne essentiellement la réponse aux besoins immédiats et à court terme de la population à l’avènement d’une crise majeure. Les fonds qui y sont alloués visent essentiellement l’assouvissement des besoins primaires des populations et à construire une résilience au niveau communautaire. La neutralité sur laquelle elle est censée se baser permet au personnel travaillant sur place de minimiser les risques de représailles. Elle représente donc une partie infime de l’aide économique, mais dont l’objectif est autrement vital. Dans ce contexte, malgré les risques de taxation des ONGs par les talibans (ce qui sous-tendrait leur accès à une partie de l’aide humanitaire d’urgence), il reste important pour la communauté internationale d’adopter une approche basée sur la gestion de ce risque au lieu de miser sur la maximisation de son évitement.
Cependant, l’aide humanitaire d’urgence, bien que nécessaire considérant la crise actuelle, reste limitée dans les changements qu’elle peut induire. Aider la population à survivre aux prochains mois est certes essentiel, mais reste insuffisant pour sortir de la crise. Bien que l’octroi d’une aide économique accrue impliquerait la reconnaissance des talibans (ce qui est encore loin d’être le cas), la communauté internationale se devra d’élargir le débat au-delà des négociations relatives au droit d’accès aux populations locales. Dans ce contexte, afin que la communauté internationale puisse maximiser son impact sur les conditions de vie de la population et éviter le débordement du conflit, elle va devoir, dans l’articulation de l’octroi de l’aide, appréhender l’impact de trois dimensions sur son efficacité.
Premièrement, la communauté internationale doit inscrire son action sur le long terme. Dans ce contexte, il est donc primordial de tirer les leçons nécessaires des erreurs passées. Depuis les deux dernières décennies, la communauté internationale a fait du renforcement des capacités du gouvernement afghan une question de sécurité internationale liée directement à la lutte contre le terrorisme. Les coûts qui en ont découlé se chiffrent en centaines de milliards de dollars. Bien que cela ait permis l’amélioration des conditions socio-économiques de la population, notamment pour les femmes et les filles, plusieurs rapports, notamment ceux du SIGAR, ont souligné l’inefficacité de l’aide qui en a découlé.
L’une des raisons principales étant que l’engagement international s’est souvent fait sur une base favorisant des solutions à court terme, les programmes développés étant mal ciblés, les stratégies incohérentes et les attentes irréalistes. L’assistance requise afin de sortir le pays de la crise ne devrait donc plus se faire selon des logiques réactives dénuées de planification stratégique. Dans ce contexte, il sera question pour les grandes puissances d’élargir leur spectre de négociation notamment en ce qui concerne la sévérité des sanctions imposées. Pour le moment, seules certaines activités humanitaires ont été autorisées par l’octroi de licences d’exemptions par le Conseil du trésor américain. De plus, bien que plusieurs initiatives soient entreprises notamment par le PNUD afin de faire parvenir de la liquidité aux communautés et entreprises locales, l’efficacité même de certaines initiatives humanitaires reste basée sur la présence de services gouvernementaux et infrastructures de base. Ceci devra impliquer l’élaboration de programmes et politiques qui permettent un engagement à long terme avec un gouvernement taliban. C’est donc dans ce contexte qu’une collaboration multilatérale est de mise.
Deuxièmement, les puissances internationales, et essentiellement les pays ayant un historique d’intervention en Afghanistan, se doivent de trouver un front commun quant au contenu des conditions de l’aide. Cela semble loin d’être le cas actuellement. La tenue par la Russie d’une rencontre parallèle à celle du G7 incluant les talibans, les pays limitrophes à l’Afghanistan directement affectés par le conflit, mais pas les États-Unis, démontre la divergence d’intérêts et de perspectives d’approche entre les différents pays. Ceci mène à une fragmentation du discours et crée une opportunité d’instrumentalisation de l’aide allant à l’encontre des intérêts des populations locales. Considérant l’historique de l’implication des Nations unies et son expérience sur le terrain, que ce soit en termes de distribution de l’aide ou de négociation avec les talibans, la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (UNAMA) pourrait constituer une plateforme pour coopérer. La renégociation de son mandat dès le dépôt par le Secrétaire général de son rapport en janvier 2022 constituera un exercice de coopération multilatérale difficile au sein duquel il sera question de mettre en balance les intérêts divergents des différents acteurs. Ceci démontrera si la communauté internationale sera capable de trouver une stratégie concertée apte à répondre à la complexité des défis auxquels l’Afghanistan gouverné par les talibans fait face.
Troisièmement, la communauté internationale doit appréhender plus globalement les dynamiques existantes au sein du mouvement des talibans en ce qui concerne son processus de prise de décision. Les talibans forment un groupe disparate qui doit sa survie à l’instrumentalisation des faiblesses de l’intervention internationale et à la diversité de ses sources de revenus. Depuis leur retour au pouvoir, les priorités du groupe s’illustrent dans le maintien de leur cohésion interne et de leur autorité au niveau domestique. Dans ce contexte, conditionner l’aide a peu de chances d’induire un changement politique, d’autant plus que ceci impliquerait la nécessité de retirer cette dernière si les conditions d’octroi ne sont pas respectées. Historiquement, cela a rarement été le cas. En pratique, l’alignement des actions des talibans avec les exigences de la communauté internationale risque de se faire uniquement dans la mesure où ces dernières convergent avec les intérêts du groupe. La santé et l’assainissement restent des domaines dont le caractère non discriminatoire a permis leur maintien dans les zones de conflits; c’est donc des domaines que la communauté internationale pourrait envisager comme point de départ d’une négociation avec les talibans. Considérant l’échec des interventions militaires au courant des dernières décennies, la coercition risque d’avoir des effets pervers et ne pas induire les changements adéquats.
La communauté internationale devra trouver un moyen d’engager les talibans, et, au-delà d’une aide humanitaire d’urgence, devra trouver comment acheminer au moins partiellement une aide économique en vue de permettre la fourniture de services publics de base, sans pour autant reconnaitre ou légitimer le gouvernement. À cette fin, les conditions liées à l’octroi d’un support économique se doivent d’être réalistes et pragmatiques, permettant l’amélioration de l’accès à certains droits tout en n’étant pas en contradiction flagrante avec les intérêts intrinsèques des talibans.
La crise humanitaire actuelle par son ampleur et ses implications économiques et sécuritaires a placé la communauté internationale face à plusieurs défis. D’un côté, il reste nécessaire de faire face à la crise humanitaire, mais de l’autre côté il est impératif de ne pas soutenir économiquement un régime dont les valeurs sont en contradiction avec les droits de la personne. Dans ce contexte, l’aide humanitaire d’urgence et la neutralité qui la sous-tend restent nécessaires. Cependant, cette dernière est insuffisante afin de sortir le pays de la crise. Dans ce contexte, la communauté internationale devra élargir le débat quant aux modalités d’engagement futur avec les talibans. Si elle souhaite contrecarrer les manquements des deux dernières décennies, inscrire ses actions selon une perspective préventive et non réactive est de mise. Pour cela, la planification doit se faire sur le long terme, ce qui implique une action concertée entre les différentes parties prenantes et le développement d’une compréhension approfondie des cadres structurels des talibans.
Les commentaires sont fermés.