La technologie 5G et l’entreprise chinoise Huawei
La 5G est la cinquième génération de communications mobiles, qui fera suite à la 4G. La 5G apportera un nouvel écosystème qui permettra une interconnexion entre différents domaines, applications et clients. Cette technologie se basera sur un écosystème majoritairement virtuel, c’est-à-dire qu’il sera constitué davantage de logiciels que d’infrastructures matérielles. Cette évolution rendra possible la connexion sur une même infrastructure physique d’une multitude d’utilisateurs disposant chacun d’un réseau virtuel. Parmi les domaines où la technologie 5G est particulièrement attendue on retrouve : la santé (chirurgie à distance), l’industrie (contrôle et diagnostics à distance, objets connectés, automatisation des usines), l’énergie (compteurs intelligents, prévisions de consommations, énergies renouvelables), les municipalités (villes intelligentes), l’automobiles (autonomisation et automatisation des véhicules), ou encore la réalité virtuelle et la réalité augmentée. Néanmoins, il faut souligner que la 5G ne vient pas simplement avec de nouvelles avancées logicielles, mais également avec de nouvelles technologies matérielles, notamment pour les méthodes de transmission de données qui impliquent l’installation de nouvelles infrastructures matérielles.
Toutefois, cette nouvelle technologie vient avec son lot d’inquiétudes. Tout d’abord, selon Martijn Rasser la 5G brouille la distinction entre le cœur et la périphérie du réseau, ce qui rend plus complexe l’isolation de certains éléments du réseau, contrairement à la 4G actuelle. Ensuite, la composante logicielle du réseau entraine la multiplication des lignes de codes, ce qui est susceptible de rendre plus complexe la sécurisation du réseau et plus nombreuses les vulnérabilités selon Melissa Hathaway. En effet, en analysant l’écosystème 5G de l’entreprise chinoise Huawei, le Huawei Cyber Security Evaluation Centre (HCSEC) Oversight Board du Royaume-Uni y a découvert plusieurs centaines de vulnérabilités suffisamment importantes pour créer de sérieux dommages en cas d’exploitations malveillantes. Enfin, Huawei étant l’entreprise la plus avancée dans le domaine de la 5G, sa proximité présumée avec le gouvernement chinois amène plusieurs démocraties occidentales à questionner la place de Huawei dans leurs infrastructures nationales.
Effectivement, dans une ère de compétition entre les grandes puissances, l’ombre de l’État chinois derrière l’entreprise Huawei inquiète particulièrement les démocraties occidentales dans lesquelles l’entreprise est déjà bien implantée. C’est surtout la nouvelle Loi chinoise sur le renseignement national de 2017 qui pose problème. Dans celle-ci, il est clair que la sécurité nationale est l’affaire de tous dans le pays. L’article 14 permet à l’État de demander aux organes, aux organisations et aux citoyens compétents de leur fournir de l’aide, du soutien ou toute coopération nécessaire tandis que l’article 16 autorise les responsables du renseignement à entrer dans les endroits et les zones d’accès restreint présentant un intérêt, interroger les personnes, les organisations ou les institutions compétentes et de lire et recueillir les dossiers, documents ou articles pertinents. Dans ce contexte, la crainte est que l’État chinois demande à l’entreprise Huawei de coopérer avec les services de renseignement et obtienne l’accès aux réseaux ou des informations sur des pays rivaux, comme le Canada ou les États-Unis. C’est pour cela que les réseaux mobiles doivent être considérés comme des activités d’importance vitale, comme c’est le cas en France, désignant alors l’action régalienne de l’État comme source de protection.
Les partenaires des Five Eyes face à la 5G de Huawei
Les Five Eyes, partenariat en matière de renseignement réunissant les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle Zélande, est l’un des partenaires les plus importants du Canada pour la sécurité nationale. La question de la 5G de Huawei intéresse particulièrement les pays des Five Eyes, dans la mesure où ces derniers s’échangent un volume important de renseignement. Quelles est donc la position des alliés du Canada sur la 5G développée par l’entreprise chinoise ?
Les États-Unis ont déjà banni les équipements de Huawei dans de nombreux ministères et ont décidé de bannir la 5G fournie par l’entreprise chinoise. Les États-Unis avertissent également les alliés des Five Eyes que s’ils acceptaient la technologie 5G de Huawei, les échanges de renseignement en seraient compromis. Le Royaume-Uni, premièrement d’avis de simplement restreindre l’accès de Huawei à son infrastructure 5G, a récemment décidé de bannir complètement la 5G de l’entreprise chinoise et de bannir tous les équipements Huawei des réseaux d’ici 2027. La décision britannique aurait été prise pour ne pas nuire à ses relations avec les États-Unis, notamment dans une période de Brexit. L’Australie, bien plus encore que les États-Unis, est également hostile à la 5G de Huawei et ont décidé de la bannir. Cette décision a été prise sur la base de recherches poussées faites par l’Australian Security Intelligence Organisation (ASIO). Selon Patrick Walsh, professeur en renseignement et études de sécurité à l’université Charles Sturt, après avoir cherché à simplement restreindre et sécuriser son réseau de la technologie de Huawei, le service de renseignement a conclu que l’effacement des frontières entre cœur et périphérie et la grande virtualisation du réseau rendaient ce type de sécurisation très difficile. Enfin, la Nouvelle Zélande, tout comme le Canada, n’a pas encore pris de décision finale sur la 5G de Huawei. Le gouvernement néozélandais a affirmé que cette technologie posait certains problèmes sécuritaires. Cependant, la Nouvelle Zélande est dans une position particulière, entre les États-Unis et la Chine. Le pays dépend beaucoup de l’économie chinoise et essaie donc de ménager ses relations. De l’autre côté, la Nouvelle Zélande a peur d’un abandon de la part des États-Unis si elle ne suit pas les positions de Washington, selon Joe Burton de l’Université de Waikato. Toutefois, elle craint aussi d’être piégée par le choix des Five Eyes, et de ne pas avoir le choix que de suivre ses partenaires. Il est probable alors que la Nouvelle Zélande n’attende plus que la décision canadienne pour se positionner, à moins que le Canada n’attende lui-même la décision néozélandaise.
Au-delà des Five Eyes, les pays européens se penchent aussi sur l’épineuse question de la technologie 5G de Huawei. La France, sans bannir complètement les équipements Huawei, a décidé de fournir des autorisations limitées aux opérateurs utilisant la technologie Huawei et invite les opérateurs n’ayant pas encore choisi Huawei de ne pas le faire. Les Pays-Bas n’ont pas pris de décision gouvernementale sur un éventuel bannissant de l’entreprise chinoise, mais son plus important opérateur téléphonique a décidé de bannir de son cœur de réseau les équipements Huawei, tandis que la plus importante firme mobile du Danemark réserve ses contrats 5G à des fournisseurs européens. Quoi qu’il en soit, l’Union européenne a décidé de faire de la sécurisation de ses réseaux téléphonique et informatique une priorité et de traiter le problème de manière commune.
Quel choix pour le Canada ?
Le Canada, un des derniers Five Eyes à ne pas avoir pris de décision, va devoir se positionner rapidement après la décision du Royaume-Uni de bannir l’entreprise chinoise de son réseau 5G. C’est sans compter les pressions qu’exercent les États-Unis sur le Canada, les menaçant de réévaluer la coopération en échange de renseignements si le Canada autorisait Huawei dans son infrastructure 5G. De son côté, Justin Trudeau déclarait qu’il regardait attentivement ce que ses alliés décidaient pour être sûr que tout le monde faisait le nécessaire pour s’assurer des opportunités économiques tout en sécurisant les réseaux et les infrastructures. Le premier ministre est également attentif à ce que lui conseillent ses officiels de sécurité nationale. À ce sujet, Richard Fadden, ancien directeur du Service canadien de renseignement de sécurité et ancien conseiller à la sécurité nationale de Harper et Trudeau, affirme qu’il n’y a pas vraiment de consensus au sein de la communauté du renseignement canadienne sur le bannissement total de la 5G de Huawei. Certains seraient en faveur d’un tel bannissement tandis que d’autres pensent possible de simplement limiter les accès de Huawei en sécurisant les réseaux sensibles.
Quoi qu’il en soit, il semblerait difficile pour le Canada de prendre une décision qui irait à l’encontre des choix de ses partenaires des Five Eyes. En effet, une telle décision serait dommageable à ses relations avec les Five Eyes, et surtout avec son voisin américain. De plus, compte tenu de la très grande intégration des télécommunications et des réseaux entre les États-Unis et le Canada, une autorisation de la 5G de Huawei en sol canadien menacerait directement le voisin américain, ce que le Canada ne souhaite pas. Il est donc envisageable que ces éléments pèseront d’un poids non négligeable sur la future décision canadienne qui semble privilégier une approche commune au sein des Five Eyes.
Cependant, selon Melissa Hathaway, la course à la 5G est déjà perdue pour le Canada, et celui-ci devrait maintenant investir en recherche et développement dans les technologies d’avenir, pour sortir de la dépendance technologique envers la Chine. Au-delà de la simple 5G, c’est toute la vision canadienne de son approche avec la Chine quoi doit être repensée. Pour Fadden, le Canada, qui serait en train de prendre conscience que la Chine ne sera possiblement jamais un partenaire stratégique d’importance, compte tenu de son agressivité en matière de renseignement, devra se doter d’une vision stratégique globale sur la Chine. Stéphanie Carvin, professeure à la Norman Paterson School of International Affairs de l’Université Carlton, affirme pour sa part que le Canada doit repenser sa stratégie de cybersécurité et doit se doter d’une véritable doctrine en la matière.
Le dossier de la 5G dépasse donc largement la simple question du développement technologique. Il est symptomatique du positionnement géostratégique que le Canada entend adopter à l’ère d’une rivalité décomplexée entre la Chine et les États-Unis.
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