Lors de la campagne électorale de 2016, le candidat Trump s’était engagé à négocier « un accord totalement différent » avec l’Iran – comprendre un accord beaucoup plus englobant et dépassant la seule question nucléaire. Quatre ans plus tard, alors que les élections présidentielles se profilent à nouveau et que l’actuel locataire de la Maison-Blanche ambitionne un second mandat, les Iraniens n’ont toujours pas concédé de nouveau deal. Mais dans quelle mesure Donald Trump a-t-il brisé sa promesse de renégocier une entente et quelles sont les raisons profondes qui sous-tendent réellement son échec ?
Il n’y a certes pas eu de négociations ‘traditionnelles’ à proprement parler, c’est-à-dire de négociations diplomatiques adoptant les canaux des institutions multilatérales comparables au processus qui avait abouti au Plan d’action global commun (PAGC) signé entre l’Iran et le P5+1 en juillet 2015. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu tentative de négociation. Souvent décrite comme une technique de marchandage au bord du gouffre, la stratégie de « pression maximale » de Trump n’est pas fondamentalement différente de la politique de « fermeté-transaction » de ses prédécesseurs dans la mesure où elle vise également à ramener les Iraniens à la table des pourparlers. Adepte de ce qu’il appelle lui-même « the art of the deal », Trump ne fait que substituer une technique de vente agressive (hard selling) aux accommodements feutrés des présidents qui l’ont devancé et de l’administration Obama en particulier – mais le principe fondamental et les objectifs recherchés restent très comparables.
Ensuite, il convient de noter que l’échec de cette négociation tient moins au style agressif de l’actuel locataire de la Maison-Blanche qu’aux termes fixés par Washington et ses alliés occidentaux. Dès sa prise de fonction, le secrétaire d’État Mike Pompeo annonce que Washington reste disposé à rétablir les liens diplomatiques et économiques avec Téhéran en échange – et c’est là où le bât blesse – d’une dénucléarisation complète, de la cessation du programme iranien de missiles balistiques et de celle des activités d’influence jugée déstabilisatrices des Gardiens et de la Force Quds au Moyen-Orient – soit autant d’éléments réclamés non seulement par les autres administrations pré-Trump mais aussi par les alliés européens des États-Unis incluant la France de Macron, la Grande-Bretagne de Johnson ou l’Allemagne de Merkel.
Le fait est que l’exigence occidentale (mise sous tutelle des programmes nucléaires et balistiques ajoutée à la diminution significative des activités régionales de Téhéran) touche à deux impératifs non négociables de la politique de sécurité de la République islamique : 1) protection de la forteresse iranienne et préservation de la souveraineté nationale ; 2) promotion, autour de l’Iran, d’une sphère d’influence régionale servant de zone tampon stratégique permettant justement de renforcer la protection de la fameuse forteresse iranienne. Pour les Iraniens, il s’agit là de deux points sur lesquels ils ne peuvent céder simultanément (se priver de l’assurance-vie nucléaire et, en même temps, de la sphère d’influence protectrice) sans risquer d’affaiblir la souveraineté interne et externe du régime.
Ce n’est donc pas faute d’avoir continué à négocier (même si cela s’est fait de manière agressive), ni en raison d’une divergence fondamentale avec ses partenaires européens (qui, en somme, demandent essentiellement la même chose que Washington) que le Plan d’action global commun (PAGC) n’a pas été remplacé par un accord plus englobant, mais bien parce que ce qu’exigent les Occidentaux ne peut être satisfait par les Iraniens sans que, à leurs yeux, cela ne remette en cause leurs intérêts vitaux. Comme l’explique Richard Nephew, chercheur principal au Center on Global Energy Policy de l’Université Columbia et ancien fonctionnaire du département d’État, les demandes occidentales « are beyond Iran’s willingness to even discuss ». Le blocage vient donc des deux bords. Encore une fois, la figure très médiatique de Trump tend à focaliser l’attention générale et à fournir une explication universelle à toutes sortes de phénomènes, mais l’équation géopolitique est beaucoup plus large et surtout beaucoup plus complexe.
Au mois d’août 2020, déjà en pleine campagne électorale pour sa réélection, Donald Trump s’est à nouveau engagé à obtenir de l’Iran un nouvel accord si les urnes lui offraient un second mandat. Rien pour l’heure n’indique qu’il adopterait une nouvelle approche pour y parvenir. Professeur à l’université Georgetown, Matthew Kroenig n’en doute pas, la stratégie demeurerait la même : « exercer une « pression maximale » sur le régime iranien pour le forcer à s’asseoir à la table des négociations ». Mais que l’on ne s’y trompe pas : l’adoption d’un style diplomatique plus amical, bien que gage d’apaisement des tensions, ne produirait pas de résultats plus spectaculaires. Seul un arrangement global prenant en compte les impératifs stratégiques de l’Iran et ses intérêts vitaux – quelque chose qui n’a jamais réellement été tenté jusqu’ici – serait susceptible de faire bouger les lignes. À défaut, la République islamique risque fort, comme elle l’a déjà fait au cours des deux dernières années, de se rapprocher de ses partenaires eurasiatiques de l’Organisation de Coopération de Shanghai – au premier rang desquels : la Russie et la Chine.
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