La pandémie de la COVID-19 a des impacts géopolitiques considérables. Elle agit comme catalyseur sur trois problématiques saillantes : le renforcement de l’État et de ses vulnérabilités dans un contexte de démondialisation, l’accélération de la concurrence entre grandes puissances, ainsi que les opérations agressives de désinformation. Ceci pose plusieurs défis pour les démocraties occidentales, dont le Canada, qui doivent d’adapter rapidement.
Le renforcement de l’État et de ses vulnérabilités
La pandémie contribue à renforcer le rôle traditionnel de l’État comme protecteur de sa population contre les menaces externes, tout en exposant ses vulnérabilités internes. En considérant la COVID-19 comme une source d’insécurité et une menace mortelle pour ses citoyens, l’État a eu moins de difficulté à justifier et à imposer des mesures extraordinaires pour y faire face, qu’il soit démocratique ou non. Ses prérogatives régaliennes ont ainsi été renforcées.
Parallèlement, la pandémie a également mis en exergue les vulnérabilités de l’État. Les États fédéraux, par exemple, ont vu s’accroître les tensions entre leurs différents ordres de gouvernement. En Europe, il existe un risque d’effritement interne de l’Union européenne (UE) causé par une préférence envers les réponses nationales à une menace pourtant globale. D’un autre côté, l’UE pourrait tout aussi bien sortir renforcée après la pandémie si elle parvient à mettre sur pied une réponse commune et à s’imposer comme leader par son expertise de calibre mondial en matière de santé. Face au désengagement américain, l’UE aurait tout avantage à promouvoir les mécanismes multilatéraux pour faire face à la pandémie, profitant alors de l’opportunité offerte pour s’imposer dans une nouvelle ère de coopération internationale en prenant le leadership là où la gouvernance mondiale faiblit.
Plus globalement, la pandémie est venue remettre en question la mondialisation des dernières décennies, en réaffirmant la place de l’État comme garant de la sécurité de sa population et en favorisant des réponses nationales à une menace pourtant globale. La mondialisation, accélératrice de la propagation du virus, doit être repensée. Une relocalisation des secteurs stratégiques et une réduction de la dépendance aux puissances étrangères peu fiables sont nécessaires afin de prévenir et de préparer la population à des crises similaires à l’avenir. Ceci se fera particulièrement ressentir dans le domaine de la sécurité et de la défense. La sécurité sanitaire, voire alimentaire et industrielle, s’imposera comme secteur primordial de la sécurité nationale, alors que les besoins de sécurité intérieure gagneront en importance par rapport aux intérêts extérieurs.
L’accélération de la compétition entre grandes puissances
La pandémie de la COVID-19 a contribué à accélérer la concurrence stratégique entre les grandes puissances en exacerbant les tensions existantes et en introduisant de nouvelles formes de compétition. D’un côté, la gestion incohérente de la pandémie aux États-Unis et l’abdication de son rôle traditionnel de leader ont érodé la confiance internationale envers le pays. D’un autre côté, la Chine et la Russie se présentent comme ayant la situation sous contrôle et tentent de redorer leur leadership international tout en augmentant leurs activités de cyberespionnage et d’espionnage industriel.
Cependant, l’inhabileté de la Chine à gérer l’épidémie sur son territoire et l’agressivité de ses actions risquent de miner son soft power. De plus, l’accroissement de l’influence chinoise dans le Pacifique pourrait être compromis par des difficultés économiques de la Chine après la COVID-19, entrainant alors une baisse de l’aide et de la présence chinoise dans le Pacifique.
Avec le repli sur soi des États-Unis et l’augmentation des divergences transatlantiques, cette situation pose de sérieux défis pour les démocraties. Celles-ci doivent privilégier la souplesse afin de contrer les effets de l’unilatéralisme américain, traiter avec la puissance montante chinoise tout en freinant ses pratiques nuisibles, et contribuer à préserver la stabilité internationale malgré des pressions populistes en faveur d’un repli sur soi.
Les opérations agressives de désinformation
La pandémie a été l’occasion du recours à des opérations agressives de désinformation, que ce soit sur les moyens de se protéger, sur l’accès à certains médicaments, sur les causes de la pandémie, ou encore sur la compétence des autorités occidentales à gérer la crise. Ceci contribue à l’anxiété générale de la population, à l’érosion de la confiance à l’égard des institutions gouvernementales et des scientifiques, et à des tensions entre les démocraties afin d’affaiblir leur coopération. Une tendance récente à souligner est le renforcement des liens entre la Russie, la Chine et l’Iran dans ce type d’opérations de désinformation. Elles ont mené à l’émergence de nombreuses théories du complot sur les origines du virus, les contestations des mesures de confinement, la méfiance envers les démocraties occidentales, les futurs vaccins ou encore les processus de collecte de renseignements personnels et autre mesure de traçage des individus.
La pandémie représente possiblement un tournant majeur pour le renseignement. Même si le renseignement s’intéresse au risque sanitaire depuis de nombreuses années, il n’en fait pas pour autant sa priorité. Les services de renseignement sont donc relativement mal préparés pour prévenir et répondre à ces risques sanitaires. Ceci est amené à changer. Le renseignement a le potentiel de fournir une alerte précoce sur les risques sanitaires, permettant une prise de décision efficace et éclairée. En réorientant efficacement le renseignement opérationnel, il est possible d’accéder à des informations précieuses. Par exemple, le renseignement humain pourrait s’intéresser au recrutement de sources aux connaissances épidémiologiques et médicales à l’étranger.
Recommandations pour le Canada
La pandémie de la COVID-19 a intensifié le souverainisme américain. Conjuguée à l’intensification de la compétition sino-américaine, cette situation amène à repenser la posture du Canada dans un monde de plus en plus multipolaire. Le Canada se doit d’adopter une posture plus indépendante de celle des États-Unis, en cherchant à rallier la communauté internationale autour de positions communes et à défendre ses intérêts avec résolution. Ceci passe par l’exercice d’un leadership aux côtés des alliés démocratiques qui partagent les mêmes intérêts que le Canada afin de préserver l’ordre international libéral, de même que d’éviter d’être coincé entre Washington et Beijing. Plus spécifiquement, le Canada doit prioriser l’approfondissement de sa coopération de défense avec l’Australie, le Japon et la Corée du Sud.
Le Canada doit également réévaluer sa structure de force et ses priorités en matière de défense nationale. D’une part, la pandémie a entrainé une réduction des opérations extérieures des FAC, l’annulation de plusieurs exercices sur le territoire national et un redéploiement au Canada pour assister les autorités civiles. Or, un manque de ressources semble limiter la capacité des FAC à répondre à l’ensemble des besoins intérieurs, qu’ils soient liés à la COVID-19, aux inondations ou aux incendies de forêt. La nécessaire priorisation des besoins intérieurs amène à revoir l’allocation des ressources et des opérations des FAC. Ceci doit inclure la remise en question de certains présupposés qui ont guidé jusqu’alors la politique de défense canadienne, dont le maintien de forces multifonctionnelles. L’austérité budgétaire qui pourrait suivre la crise de la COVID-19 imposera des choix difficiles; ceux-ci doivent être stratégiques et réfléchis. Pour ce faire, une révision approfondie de la politique étrangère et de défense du Canada paraît nécessaire, idéalement par l’entremise d’un comité mixte (parlementaire et sénatorial) ouvert à la participation des experts et du grand public. Un nouvel énoncé de politique étrangère – et la révision de la politique de défense qui en découlera – doit tenter de rallier les Canadiens autour d’un nouveau consensus sur l’orientation stratégique du pays.
Le Canada n’est pas épargné des luttes d’information liées à la recherche de remèdes et de vaccins à la pandémie et aux efforts de désinformation des grandes puissances. Un effort supplémentaire doit être mis sur les capacités de collecte et d’analyse du renseignement sanitaire pour améliorer la prévention et fournir des informations pertinentes pour la prise de décisions. La désinformation a également impacté les FAC, suggérant un risque accru de propagation du virus parmi le personnel militaire. Le Canada doit ainsi repenser sa stratégie de défense pour y inclure les risques sanitaires et pandémiques et revoir son positionnement stratégique post-COVID-19.
La désinformation risque en outre d’augmenter la méfiance de la population canadienne envers les autorités politiques et scientifiques en provoquant des mouvements contre le confinement, la vaccination ou la médication en lien avec le coronavirus, par exemple. Pour limiter les effets de la désinformation, l’Équipe de la défense devrait continuer à utiliser les différentes plateformes de médias sociaux afin d’informer les Canadiens sur la pandémie ainsi qu’augmenter ses capacités de vérification de l’information ou financer une tierce partie pour le faire.
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