Bien que le 20e anniversaire des attentats terroristes du 11 septembre 2001 rappelle l’intervention américaine en Afghanistan et le début de la guerre contre le terrorisme, il marque également l’adoption d’une rhétorique de stigmatisation par l’État chinois à l’égard de sa minorité musulmane, les Ouïghours. L’approche du Parti communiste chinois (PCC), qui s’est révélée être exponentiellement oppressive et intrusive, a suscité son lot de préoccupations chez plusieurs membres de la communauté internationale. Ceci s’est d’ailleurs amplifié à la suite de la fuite des « China Cables ». Ces documents, qui proviennent directement du gouvernement chinois, ont permis de mettre en lumière l’imposante structure d’oppression mise en place par le PCC à l’égard des minorités ethniques vivant dans la région de l’Ouest. Bien que le PCC se détache toujours systématiquement des attaques à leur égard, l’évolution de la situation au Xinjiang et les multiples violations des droits de la personne sont aujourd’hui largement documentées.
La récente reprise du pouvoir par les talibans en Afghanistan ramène en avant-plan des inquiétudes de stabilité régionale et de sécurité, et ce, autant pour les États-Unis que pour les États limitrophes. Bien malgré elle, la Chine se voit elle aussi préoccupée par l’évolution de la situation en Afghanistan. Partageant une frontière avec l’Afghanistan, la province chinoise du Xinjiang correspond à une zone sensible pour le gouvernement chinois. Celle-ci offre des avantages économiques, politiques et stratégiques non négligeables au PCC, en plus de s’avérer incontournable dans la mise en œuvre du projet chinois des nouvelles routes de la Soie (Belt and Road Initiative). Devant l’importance que revêt la province pour la Chine, celle-ci s’avère particulièrement anxieuse à l’idée d’une réémergence de terrorisme transfrontalier en Afghanistan, ce type d’activités pouvant entraîner des répercussions significatives au Xinjiang. La relation entre les deux entités semble être conditionnée par deux facteurs. D’une part, la liaison économique et, d’autre part, l’abstention mutuelle à s’immiscer dans les affaires intérieures de l’autre.
Sans aucun doute, l’économie sera une préoccupation centrale pour le nouveau gouvernement afghan. Devant une inflation incessante, un seuil de pauvreté très élevé et l’interruption des flux financiers occidentaux, les manœuvres de soutien économique s’avèrent particulièrement restreintes. Face à un manque d’options et l’aide conditionnelle des membres du G7, la Chine s’est rapidement identifiée comme la meilleure avenue pour l’obtention d’une aide financière significative. En offrant une aide « implicitement » conditionnelle à l’adoption de politiques acerbes à l’égard des mouvements djihadistes antichinois, le PCC tente d’éviter tout éventuel débordement dans la province du Xinjiang. Cependant, pour la population ouïghoure qui réside en Afghanistan, le rapprochement entre les talibans et le gouvernement chinois soulève nombre de préoccupations, non sans fondement. La puissance du levier économique chinois au sein des pays arabes est si significative qu’elle y perpétue un silence presque total sur les politiques du PCC au Xinjiang, et ce, même chez les États ayant tendance à normalement défendre les droits des musulmans. Pire encore, certains États ont déjà eux-mêmes pris des mesures afin de permettre une extension de la politique chinoise, comme ce fut notamment le cas de l’Arabie Saoudite. Malheureusement, le facteur économique, s’il est isolé, semble être suffisant pour condamner tout espoir d’un changement de discours de la part des pays arabes sur la situation des Ouïghours.
Or, celui-ci ne peut être pleinement isolé. En cherchant à s’attirer des promesses du gouvernement taliban, la Chine cherche à sécuriser sa frontière avec l’Afghanistan pour éviter toutes répercussions sur ses activités au Xinjiang. Toutefois, pour assurer la tenue de ses promesses visant à éviter la réémergence d’actes terroristes internationaux, le gouvernement afghan doit avoir le « monopole de la violence », ce qui n’est actuellement pas le cas. En effet, l’existence d’électrons libres à divers endroits en Afghanistan complexifie la garantie visant à ce que l’intégrité du territoire chinois soit pleinement respectée. De surcroit, bien que la Chine le souhaite, une prise de position du régime taliban allant à l’encontre du Parti islamique du Turkestan pourrait considérablement heurter la légitimité du nouveau gouvernement. De plus, malgré la demande du président Xi Jinping appelant aux « partis concernés » de bien vouloir éradiquer la menace terroriste, l’équipe de l’ONU suivant l’évolution du régime taliban a statué que celui-ci entretient toujours de solides liens avec Al-Qaïda. D’autre part, la plupart des acteurs régionaux, tout comme l’occident en général, espèrent l’atteinte d’une stabilité en Afghanistan et soulignent également l’importance de cette lutte contre le terrorisme. Devant un message relativement homogène de la part de la communauté internationale, l’appel au contrôle de la radicalisation est unanime. Or, afin de concrétiser cette demande, les talibans devront s’assurer de contenir les groupes extrémistes comme ISIS-K; un de leurs principaux opposants. Bien que ceci fut possible avec la présence américaine, leur départ laisse planer une incertitude quant à la capacité des talibans de tenir en échec cette menace grandissante. Pour l’État islamique, les tergiversations talibanes sur la gestion du dossier ouïghour sont inacceptables; celles-ci ont même été utilisées comme motif pour l’attentat terroriste à Kunduz le 8 octobre 2021. Pour ces raisons, force est de constater que la valeur des promesses du nouveau gouvernement afghan peut être remise en question.
L’équilibre entre les acteurs reste fragile. Le nouveau gouvernement afghan, bien qu’il ait récemment pris action sur la frontière sino-afghane pour démontrer son intention de respecter son entente avec le PCC; reste pour sa part floue quant à son désir d’importer les pratiques chinoises à l’égard de la minorité ouïghoure. L’inquiétude de Beijing, qui provient en partie du fait que la montée du régime fondamentaliste taliban a déjà eu des échos au Xinjiang, semble revenir en avant-plan. Bien que l’extrapolation extrême de cette crainte ait amené Pékin à mettre en œuvre des politiques draconiennes dans la province du Xinjiang et qu’elle tente de mobiliser le gouvernement taliban à poursuivre dans ce même élan, le PCC pourrait se retrouver bientôt face à une impasse advenant l’incapacité ou le manque de volonté du gouvernement afghan de respecter ses promesses. Dans l’éventualité où ceci devait se réaliser, Pékin se retrouverait paralysé par son dévouement au principe de « non-interférence » dans les affaires intérieures d’un autre État. En ce sens, l’évolution de la situation en Afghanistan pourrait avoir un effet notable sur le comportement chinois dans la région, mais également sur l’ensemble de son positionnement stratégique.
De l’autre côté de l’Atlantique, le Canada poursuit toujours sa réflexion à savoir s’il reconnaîtra le nouveau gouvernement afghan. Le fait est que la décision canadienne risque fortement de s’inspirer de celle de ses alliés, comme l’Angleterre ou les États-Unis, soit l’octroi d’une reconnaissance conditionnelle à de multiples conditions, notamment celle renvoyant à ce que l’Afghanistan ne redevienne pas un havre pour le terrorisme international. Or, comme mentionné précédemment, devant une opposition aussi forte que celle de l’État islamique et un contrôle aussi peu effectif sur l’ensemble de son territoire, le régime taliban pourrait rapidement se retrouver acculé au pied du mur.
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