Ce billet de blogue est écrit dans le cadre du Cycle d’ateliers virtuels portant sur le renforcement des capacités à l’ère de la COVID-19. Le quatrième atelier portait sur l’OTAN et la défense, et a fait intervenir Carla Martinez Machain, professeure à la Kansas State University, Stéfanie von Hlatky, professeure à la Queen’s University et le Colonel Éric Laforest, commandant, de la Force opérationnelle en Lettonie. Les informations relatées dans le texte sont une synthèse générale des idées présentées par les conférenciers.[1]
Comment l’actuelle pandémie de COVID-19 a-t-elle influencé les activités concrètes de l’OTAN – ses déploiements, ses exercices pour développer ses propres capacités, ainsi que ses activités de renforcement des capacités au sein de ses partenaires étatiques (en Irak notamment) ? Pour répondre à cette question, deux niveaux d’analyses différents – et incidemment deux perspectives alternatives – peuvent être retenus : la question centrale de l’influence de la pandémie sur l’efficacité des activités de l’alliance d’un point de vue stratégique et opérationnel d’un côté, ou la question connexe de l’influence de la crise sanitaire sur la légitimité de ces opérations auprès des civils au sein des États receveurs de l’assistance sécuritaire d’un autre côté.
D’un point de vue opérationnel, les déploiements de l’OTAN sont conceptualisés comme des engagements de long terme. Dans certains cas comme en Irak et en Afghanistan, l’objectif est de former les troupes des pays hôtes. D’autres missions visent davantage à dissuader de potentielles menaces via le stationnement de forces armées à l’étranger : l’opération Enhanced Forward Presence dans les pays baltes notamment. Si, dans ce cadre d’engagements institutionnalisés et durables, la pandémie de la COVID-19 n’a pas directement entraîné de « vide de sécurité » dans les espaces d’intervention de l’alliance atlantique, la crise sanitaire a pris la forme d’une contrainte opérationnelle supplémentaire s’ajoutant aux différents défis auxquels sont déjà confrontées ces missions. Les opérations de l’OTAN font face à des contraintes différenciées dépendamment du contexte d’opération, et, dans le cadre d’une alliance multinationale, des capacités distinctes des forces armées nationales spécifiquement engagées au sein de chaque mission. Conséquemment, les effets contraignants de la COVID-19 ont pris des formes différentes selon les théâtres d’opérations; perturbations de la rotation des troupes, cessations temporaires de certains exercices et formations militaires, etc. Certains programmes essentiels de l’OTAN ont en particulier été réorientés, pour répondre aux exigences immédiates de sécurité sanitaire. Les formations menées par les gender advisors, dont le but est de renforcer la place des femmes au sein de l’alliance, de renforcer la compréhension de l’influence différenciée des conflits sur les personnes dépendamment de leur genre, ou encore de lutter contre les violences sexuelles dans le cadre des activités de l’alliance, ont par exemple été momentanément redirigées. Habituellement destinées tant aux membres à l’OTAN qu’au personnel des États hôtes, ces activités liées à la mise en place de la Résolution 1325 des Nations Unies ont en effet été recentrées, pour la plupart, sur les membres internes à l’alliance.
À côté de la dimension stratégique, l’un des niveaux d’analyse de plus en plus considérés dans l’étude des déploiements est celui du degré de légitimité politique qui en découle auprès des civils au sein des espaces d’intervention. En complément de leurs objectifs géostratégiques primordiaux, ces missions sont de fait souvent pensées comme des outils d’influence politique essentiels par les principaux bailleurs de fonds étatiques, leur permettant pragmatiquement de développer leurs soft power auprès des opinions publiques de leurs alliés et partenaires. Mobilisés dans le cadre de missions aux temps longs, allant de plusieurs mois à plusieurs années pour certains membres, les contingents étrangers interagissent quotidiennement avec les civils. Ayant d’importantes conséquences sociales et économiques sur les espaces géographiques concernés, ces rencontres « banales » affectent en retour la perception des habitants locaux concernant le bien-fondé de ces interventions et leur nécessité pour le développement de capacités de défense nationale crédibles. Construire des relations apaisées entre civils et militaires, notamment via la conduite d’actions transparentes, est dès lors essentiel du point de vue de l’OTAN. Face au coût politique subséquent, une contestation locale entraînerait une probable reconsidération de l’acceptation de la présence étrangère par les autorités locales et nuirait aux objectifs à moyen et long terme de l’alliance. Cette étude des contacts interpersonnels quotidiens est d’autant plus essentielle à analyser dans un contexte de compétition croissante entre plusieurs programmes de renforcement des capacités, qui tractent incidemment différents modèles politiques sous-jacents ; des modèles centrés autour d’une sécurité démocratique d’un côté, et des modèles plus hiérarchiques et autoritaires de l’autre.
C’est à ce niveau des contacts interpersonnels quotidiens que la COVID-19 a le potentiel d’affecter durablement les activités de l’OTAN. Alors que les risques pour la légitimité des soldats étrangers étaient importants, notamment en cas hypothétique de perception d’un risque sanitaire décuplé par la présence de contingents étrangers jugés peu ou pas assez soucieux des consignes sanitaires, les interactions quotidiennes entre forces exogènes et populations civiles ont été limitées au maximum. Le contingent canadien engagé en Lettonie a par exemple fortement réduit les rencontres de ses agents avec le reste de la population. Un équilibre nécessaire doit alors être trouvé entre isolements nécessaires, dans le but de prévenir les risques de propagation du virus, et isolations sociales absolues, qui risquent de nuire durablement à la perception qu’a la population locale des forces étrangères stationnées dans le cadre de l’OTAN. S’il est encore difficile d’évaluer à court terme l’influence de telles mesures nécessaires sur la légitimité des opérations de l’alliance, des études à moyen et long termes permettront de déterminer les retombées de ces « opportunités manquées » en termes d’interactions sociales.
L’alliance conservera sans doute ses déploiements avec l’objectif de la dissuasion. Ces activités demeurent centrales à l’alliance. Cependant, peu importe le niveau d’analyse retenu, la pandémie de la COVID-19 semble ultimement marquer un moment charnière pour l’OTAN et ses ambitions en termes du renforcement des capacités de ses partenaires stratégiques, à des pays tels que l’Irak ou l’Afghanistan. Amender certains programmes spécifiques ou redéfinir certaines priorités semble aujourd’hui tant possible que souhaitable, à un moment où l’alliance militaire est affectée par un désintérêt croissant de la part de certains de ses membres centraux ainsi que par des tensions géostratégiques de plus en plus sensibles entre certains de ses États membres. Quelques-unes des questions qui se posent sont alors les suivantes :
- Comment mieux articuler les besoins des principaux bailleurs de fonds et ceux des pays receveurs dans une relation de mutuels bénéfices ?
- Comment améliorer la perception locale d’opérations internationales dont les objectifs centraux et les activités quotidiennes sont souvent méconnus ?
- Comment repenser le rôle de ces opérations dans le cadre de crises sanitaires majeures ou pandémies mondiales ?
Définir un modèle plus résilient face à des crises par nature imprévisibles peut, dans le futur, permettre d’améliorer tant les capacités opérationnelles de l’alliance que l’acceptation de ses activités par les populations qu’elle ambitionne de protéger en premier lieu.
[1] Les idées présentées n’engagent cependant que son auteur.
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