Le 1er octobre 2020, la Belgique a repris sa participation à l’opération Inherent Resolve, la coalition internationale dirigée par les États-Unis contre l’État islamique (ÉI), avec quatre avions de chasse F-16 et du personnel de soutien militaire. Tout comme les contributions précédentes en 2014-2015 et 2016-2017, les F-16 belges seront basés en Jordanie et sont mandatés pour participer à tout le spectre des activités, y compris effectuer des vols de reconnaissance, fournir un soutien aérien aux troupes au sol et mener des frappes aériennes. Pourquoi un petit pays comme la Belgique décide-t-il une fois de plus d’entrer en guerre dans ce conflit apparemment sans fin ?
La question est particulièrement intéressante compte tenu du contexte national dans lequel ce déploiement a été décidé. Non seulement le virus de la COVID-19 fait toujours rage dans tout le pays, mais la décision a également été prise sans avoir un gouvernement de plein pouvoir et sans perspective claire d’en avoir un de sitôt. Cela explique pourquoi le déploiement a été soumis à l’approbation préalable du Parlement – accordée le 25 juin – ce qui, dans des circonstances normales, n’est pas une exigence constitutionnelle ni une pratique courante en Belgique. Ce n’est qu’au moment de la rédaction de ce blogue, trois mois plus tard, qu’une formation gouvernementale de 493 jours a été conclue.
Malgré un calendrier quelque peu singulier, cet engagement ne devrait pas être une surprise pour de multiples raisons. Il reste cependant à savoir pour combien de temps il bénéficiera d’un soutien national.
Plus qu’une question de sécurité (inter)nationale
Le déploiement de la Belgique est évidemment orienté vers l’ambition de la coalition de prévenir une résurgence de l’ÉI dans la région. Cette motivation a également dominé les débats parlementaires en juin dernier, avec l’accent répété sur la nécessité de « maintenir la pression ». L’ÉI a été présenté comme une menace pour la sécurité non seulement internationale, mais aussi nationale et ce n’est pas nouveau. Les déploiements antérieurs étaient également justifiés de cette manière. Alors que les menaces contre la population yézidi, la propagande de l’ÉI et le problème des combattants étrangers ont créé un sentiment d’urgence à l’international, la fusillade dans un musée juif à Bruxelles en mai 2014 et, plus important encore, les attentats à la bombe de mars 2016 à Bruxelles ont ajouté une dimension de sécurité nationale évidente.
Pourtant, il est difficile de croire que les considérations de sécurité ont été la seule motivation du gouvernement pour répondre positivement à la demande du Commandement central américain de redéployer ses avions de chasse.
De telles contributions vigoureuses semblent faire partie de l’ADN de la Belgique en tant que partenaire international. Les contributions antérieures à l’opération Inherent Resolve et les frappes aériennes lors de l’intervention en Libye en 2011 en témoignent. Cette participation active assure en outre un siège à la table du noyau des contributeurs militaires à Inherent Resolve et, de cette façon, une voix dans l’avenir de la région. Mais le plus important est que l’identité du pays est incontestablement liée aux principes du multilatéralisme, qui occupent une place de choix dans presque tous les accords gouvernementaux des dernières décennies. La Belgique n’accueille pas seulement le siège de l’OTAN et plusieurs des institutions de l’UE, elle est également l’un des membres non permanents les plus fréquemment élus du Conseil de sécurité de l’ONU – son sixième mandat est actuellement en cours. Le multilatéralisme donne tout simplement à la Belgique une voix plus forte sur la scène internationale.
Cependant, la promotion des principes du multilatéralisme ne va pas sans responsabilités ni attentes. La contribution active à Inherent Resolve doit également être considérée dans cette perspective. D’une part, elle s’inscrit dans la continuité des ambitions et de la politique fixées par le(s) gouvernement(s) précédent(s), visant à montrer l’engagement de la Belgique à contribuer activement au maintien de la paix et de la sécurité internationales. La rumeur selon laquelle cette contribution a déjà été convenue beaucoup plus tôt avec les principaux membres de la coalition dirigée par les États-Unis ajoute encore plus de poids à cet argument. D’autre part, il y a aussi l’éléphant transatlantique dans la pièce. Comment un pays peut-il accueillir de manière crédible le siège de l’OTAN et se présenter comme un allié loyal alors qu’il est encore loin d’atteindre l’ambition de consacrer 2% de son PIB à la défense ? Contribuer activement aux frappes aériennes de la coalition est une façon de répondre aux attentes, mais n’est évidemment pas sans risque. Pendant combien de temps cette approche peut-elle encore satisfaire les alliés de la Belgique? L’état-major de la Défense nationale demande depuis des années déjà d’augmenter de manière crédible le niveau d’ambition, également en termes de liquidités et de capacités.
Soutien domestique
La nouvelle mission doit durer jusqu’en octobre 2021. Cependant, plusieurs questions qui pèsent sur le nouveau gouvernement de centre gauche dirigé par le premier ministre Alexander De Croo font douter de la durabilité de cette contribution.
La première question clé est de savoir comment les partis de gauche au pouvoir vont gérer la mission. En juin, les partis vert et socialiste ont voté contre la résolution parlementaire qui légitimait la mission, exprimant leur inquiétude quant à l’absence de justification légale des activités militaires sur le territoire syrien. Le nouvel accord gouvernemental souligne la nécessité pour les missions militaires étrangères d’avoir un « mandat juridique international concluant ». Il n’est pas encore clair comment cette tension se manifestera à l’avenir, par exemple dans le contexte d’un débat autour d’une éventuelle extension de la mission.
La deuxième question est de savoir combien de temps les avions de chasse belges seront capables de répondre aux attentes dans le cadre d’une modernisation des systèmes d’armes du pays. Ce n’est qu’en octobre 2018 que le gouvernement a décidé d’acheter 34 avions de chasse F-35 et il faudra un certain temps avant qu’ils ne remplacent réellement la flotte vieillissante de F-16. En outre, les précédentes contributions à Inherent Resolve ont eu lieu dans le cadre d’un partenariat d’alternance avec les Pays-Bas. L’engagement néerlandais reste maintenant limité au déploiement d’une force de protection militaire de 35 membres. Sans perspective d’être remplacée par des F-16 néerlandais, il reste à voir combien de temps la Force aérienne belge pourra maintenir ses avions de chasse en l’air.
Enfin, il y a la question du soutien public domestique. Les protestations massives contre la guerre semblent être un lointain souvenir en Belgique. La crise de la COVID-19 occupera d’ailleurs la plupart des citoyens pendant encore quelques mois au moins. Mais plus cette contribution offensive durera, plus le risque de controverse sera élevé. Des nuages noirs se sont déjà amassés aux Pays-Bas, après que le gouvernement néerlandais ait dû admettre qu’un de ses avions de chasse avait tué jusqu’à 70 civils à Hawija en Irak, ce qui a conduit à une motion de censure contre le ministre de la Défense. Déjà en 2017, l’ONG internationale Airwars, qui surveille la campagne aérienne de la coalition, avait relié la Belgique à certains cas de victimes civiles. Bien que ces accusations aient été formellement démenties, des questions seront à nouveau soulevées. L’équipement des avions de chasse belges avec de nouvelles bombes de haute précision ne permettra pas d’éliminer complètement ce risque. Jusqu’à présent, la Belgique a été parmi les membres les moins transparents de la coalition. Comme le nouveau gouvernement s’est formellement engagé à accroître la transparence sur ses missions militaires, il sera intéressant de voir comment cela pourrait affecter le soutien domestique.
Pour l’instant, la courageuse petite Belgique est de retour en action, mais ce n’est pas sans réserve.
L’auteur est reconnaissant aux fonctionnaires de la Défense qui ont partagé leurs idées dans le cadre de la recherche pour ce billet.
Les commentaires sont fermés.