Ce texte est à l’origine un témoignage devant le Comité permanent de la Défense nationale le 26 février 2021, dans le cadre des allégations d’inconduites sexuelles auxquelles fait face l’ancien chef d’état-major de la défense Jonathan Vance.
Une grande organisation comme les Forces armées canadiennes (FAC) peut-elle transformer sa culture en cinq ans, guidée par un examen externe et animée par un ordre visant à éradiquer l’inconduite sexuelle dans ses rangs ? Cela peut sembler impossible, mais à bien des égards, l’armée, en tant qu’organisation globale, pourrait être mieux adaptée que la plupart des autres organisations lorsqu’il est question de s’adapter rapidement face à l’adversité. Le personnel des FAC est formé pour prendre et exécuter des décisions dans des environnements complexes, alors pourquoi cette réputation d’excellence opérationnelle ne se perpétue-t-elle pas sur le plan organisationnel ? C’est parce que la culture militaire peut avoir des conséquences involontaires, qu’elle peut aussi être exploitée par des prédateurs et qu’elle peut être idéalisée et rendue intouchable par des routines, des traditions et des structures de commandement rigidement hiérarchisées. À l’heure actuelle, les chefs militaires doivent reprendre contact avec le rapport de la responsable de l’examen externe (REE), également connu sous le nom de rapport Deschamps, et réfléchir avec plus d’audace à la mise en œuvre complète de ses recommandations. Cinq ans ne suffisent peut-être pas pour mettre en œuvre un changement culturel profond et transformateur, mais c’est certainement assez long pour révéler les lacunes de l’approche actuelle.
À cette fin, voici quatre enjeux spécifiques qui requièrent notre attention :
- Une plus grande attention portée aux abus de pouvoir. Je fais ici référence à une dynamique sociale qui est liée à l’inconduite sexuelle dans des relations professionnelles très asymétriques. Ce type de pression implicite ou explicite est beaucoup plus endémique et ancré dans la culture que ce qui est actuellement reconnu. Bien que le Sondage sur l’inconduite sexuelle dans les Forces armées canadiennes ait fourni des données utiles, il est nécessaire d’examiner plus en profondeur la manière dont l’inconduite sexuelle est en interaction avec le consentement dans les relations professionnelles asymétriques. Le fait qu’une femme, ou toute personne harcelée, ne s’exprime pas contre un comportement inapproprié ne signifie pas que ce comportement est le bienvenu ou qu’elle donne son consentement. Il existe de nombreuses raisons légitimes de se plier à ces interactions non souhaitées et de garder le silence, dont beaucoup sont exposées dans le rapport Deschamps. Les personnes qui sont plus jeunes ou dans des conditions d’emploi plus précaires craignent pour leur emploi, et elles peuvent craindre d’autres types de conséquences au travail, comme ne pas être crues par leurs pairs ou être socialement ostracisées pour s’être exprimées. Une autre raison de ne pas dénoncer est de ne pas faire confiance au processus de dénonciation ou de ne pas croire que vous obtiendrez un résultat équitable. L’étape suivante consiste à avoir ce discours plus nuancé sur le consentement et aussi sur le consentement lorsque des dynamiques de pouvoir sont en jeu. Certaines de ces dynamiques de pouvoir sont inhérentes à la culture militaire et d’autres concernent le grade et se traduisent par des abus de pouvoir. Ces deux types de dynamique de pouvoir ont un impact disproportionné sur les femmes.
- Formation. La formation de l’opération HONOUR devrait être améliorée afin d’utiliser les données des sondages de Statistique Canada pour adapter le contenu aux personnes qui suivent la formation. Les informations présentées dans la formation devraient être personnalisées, en indiquant clairement que l’inconduite sexuelle touche des amis et des collègues des forces armées. Les membres des forces armées devraient s’engager et s’entraîner à des scénarios difficiles, afin de savoir quand et comment intervenir. Le ressentiment des militaires (principalement des hommes), qui ont le sentiment d’être injustement visés par l’opération HONOUR, est fréquent et regrettable. En même temps, la formation est trop axée sur l’auteur des faits, alors qu’elle pourrait aborder la culture militaire, la masculinité militarisée, la sous-représentation des femmes, le consentement, les besoins des victimes/survivants, l’autonomisation des spectateurs dans le cadre de petites séances interactives dirigées par une personne qui peut parler de manière authentique du sujet. Des experts externes peuvent apporter leur aide à cet égard, ne serait-ce que pour assurer une procédure d’examen par les pairs des matériels de formation.
- Le Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle (CIIS). L’une des recommandations les plus discutées de la REE était la nécessité d’une ligne hiérarchique en dehors de la chaîne de commandement, ce qui a conduit à la création du Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle (CIIS) en tant qu’organe indépendant. Il existe une tension inhérente au travail du CIIS en raison de la nature de son mandat : d’une part, le CIIS doit tenir les FAC responsables, mais il doit également avoir de bonnes relations de travail avec les FAC, y compris avec la chaîne de commandement, ce qui pourrait nuire à la perception de l’indépendance du CIIS. Un examen et une surveillance constants du CIIS, à la fois par le biais d’auto-évaluations internes et d’audits externes, pourraient être nécessaires, car la préservation de l’indépendance du CIIS face à son mandat croissant est primordiale.
- La voie vers la dignité et le respect. Cette stratégie est une approche prometteuse, car elle met la culture et le climat au premier plan (faisant ainsi du changement culturel l’affaire de tous). Bien qu’il soit logique que ce document définisse la culture et le climat, ainsi qu’une série d’indicateurs, il devrait accorder plus d’attention à la description du problème en question : l’inconduite sexuelle et ses liens avec la culture et le climat. Essentiellement, l’ampleur du problème doit être clairement définie avant de se lancer dans les solutions. Un changement de culture doit se traduire par un partage des responsabilités en matière d’inconduite sexuelle. Le pourcentage de membres des FAC qui ont été témoins d’abus sexuels est assez effarant, mais combien de personnes interviennent, prennent la parole, font des rapports ? Si une personne ne commet pas d’inconduite sexuelle, cela ne signifie pas qu’elle accomplit son devoir avec honneur. Le standard de performance est bien plus élevé que cela si vous voulez atteindre la tolérance zéro. C’est la notion de responsabilité collective qui devrait être soulignée avec plus de force tout au long du document, car TOUT LE MONDE peut faire mieux sur ce plan. Il ne s’agit pas de l’obligation de rendre des comptes, mais d’une norme de conduite quotidienne. Le défi à relever ne consiste pas simplement à savoir comment éradiquer l’inconduite sexuelle au sein de l’armée, mais à identifier des mesures positives pour créer une culture d’égalité pour les femmes au sein des FAC, une culture centrée sur le respect de tous et toutes.
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