Le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis en janvier 2025 soulève d’importantes interrogations quant à l’orientation future de la politique étrangère étatsunienne et à ses effets sur l’ordre international établi après la Seconde Guerre mondiale. Cette réélection, sans précédent dans l’histoire politique contemporaine des États-Unis, dépasse le cadre d’une simple alternance démocratique. Elle remet en question la nature du « phénomène Trump », de moins en moins perçu comme une parenthèse conjoncturelle, et de plus en plus envisagé comme un tournant idéologique et institutionnel durable, susceptible de redéfinir en profondeur la posture internationale des États-Unis.
De surcroît, cette incertitude stratégique touche directement les alliés démocratiques traditionnels de Washington, les poussant à repenser en profondeur leurs orientations diplomatiques et sécuritaires. C’est dans ce contexte qu’une conférence, réunissant chercheurs et diplomates canadiens et européens, s’est tenue le 7 avril 2025 à l’Université du Québec à Montréal afin d’explorer les alternatives à une dépendance durable envers le leadership étatsunien. Le Plan A, celui d’un fort alignement sur les États-Unis, apparaît désormais caduc. Ce sont les fondements mêmes de la politique étrangère qui sont remis en question, obligeant à concevoir un véritable Plan B.
Deux dimensions structurent cette problématique. La première est temporelle : la seconde administration Trump traduit-elle une rupture durable ou un épisode transitoire ? La réponse à cette question conditionne les choix entre adaptations ponctuelles et redéfinition structurelle des alliances. La deuxième dimension est stratégique : comment les démocraties alliées peuvent-elles, à la fois, préserver un lien avec les États-Unis et développer une forme d’autonomie stratégique?
Cette note de synthèse, fondée sur les échanges de la conférence d’avril 2025, propose d’éclairer les pistes de recomposition de l’ordre international face aux incertitudes suscitées par la trajectoire actuelle de la politique étrangère étatsunienne. Les analyses convergent vers différents constats majeurs : la politique trumpienne constitue une rupture systémique avec l’ordre libéral d’après-guerre, contestant méthodiquement les valeurs démocratiques, les institutions multilatérales et les normes du droit international, plutôt qu’une simple parenthèse conjoncturelle ; les alliés traditionnels explorent désormais diverses stratégies d’adaptation, de l’équilibrage pour attractivité à l’autonomie stratégique européenne, en passant par la diversification des partenariats, révélant l’hétérogénéité des réponses face à un même défi ; l’Europe et le Canada sont contraints de redéfinir leurs fondements diplomatiques et sécuritaires, développant de nouveaux outils d’influence et renforçant leurs capacités autonomes pour préserver leurs intérêts dans un monde où le leadership étatsunien est devenu imprévisible, transactionnel et structuré autour de relations bilatérales asymétriques ; enfin, l’enjeu ukrainien cristallise ces tensions, testant la capacité des alliés à maintenir leur cohésion face aux repositionnements de Washington tout en assumant de nouvelles responsabilités continentales.
Que veut Trump ?
La seconde administration Trump se distingue par une rupture profonde avec les fondements de l’ordre international libéral institué après 1945. Comme l’ont souligné de nombreux analystes, cette orientation ne procède pas de simples ajustements tactiques ou conjoncturels, mais s’apparente à un rejet systémique des principes ayant structuré l’architecture internationale contemporaine. Elle traduit l’affirmation d’une vision alternative de l’ordre mondial, portée par le président Trump et soutenue par une base électorale consolidée. Selon Karine Prémont, ce socle idéologique est appelé à perdurer grâce à l’existence d’une « masse critique » d’électeurs, révélatrice d’un bris de confiance durable envers les normes et institutions du multilatéralisme libéral.
Julien Toureille identifie une contestation méthodique de l’ensemble des piliers de cet ordre. Celle-ci vise tant les valeurs démocratiques et l’État de droit, que les normes fondamentales du droit international, notamment l’interdiction du recours à la force et le respect de la souveraineté. Les grandes institutions multilatérales, telles que l’Organisation des Nations Unies ou l’OTAN, sont également remises en question, tout comme l’architecture économique issue de l’après-guerre. Cette remise en cause globale s’inscrit, selon Toureille, dans une réinterprétation révisionniste de la doctrine Monroe : loin de prôner un retrait isolationniste, cette doctrine rénovée vise à réaffirmer l’hégémonie étatsunienne sur l’hémisphère occidental, en rupture avec les principes de coopération internationale.
Cette inflexion idéologique s’accompagne d’une transformation des modes de gouvernement, marquée par une forte personnalisation de la prise de décision. Theodore McLauchlin décrit l’émergence d’un système informel, structuré autour d’un accès direct au président, où les dynamiques interpersonnelles prennent le pas sur les processus institutionnels formels. Cette configuration, proche d’une « cour de Versailles », repose sur la distribution de la « faveur » présidentielle — entendue comme l’octroi de ressources, de nominations ou de reconnaissance — devenue une ressource stratégique disputée par diverses factions internes. Pour Henri-Paul Normandin, cette personnalisation du pouvoir s’exprime aussi sur le plan symbolique : la politique étrangère devient un espace de mise en scène de l’autorité présidentielle, où la projection de puissance prime sur la délibération institutionnelle ou l’adhésion normative.
Trois axes structurent les finalités de cette politique étrangère. Le premier réside dans une reconfiguration des relations avec les alliés traditionnels, fondée sur la remise en cause des engagements historiques et sur une exigence de réciprocité accrue dans les partenariats sécuritaires. Le deuxième relève d’une logique néo-mercantiliste, centrée sur l’accès prioritaire aux ressources stratégiques et sur la défense des intérêts économiques étatsuniens dans une perspective de compétition bilatérale. Le troisième vise à restructurer le système international autour d’un concert de grandes puissances, marginalisant les mécanismes multilatéraux au profit de relations bilatérales asymétriques et hiérarchisées.
Enfin, cette réorientation stratégique participe à une reconfiguration idéologique du camp occidental. Comme le souligne Normandin, elle introduit une césure croissante au sein même des démocraties libérales, opposant un pôle fidèle aux principes du libéralisme politique — incarné notamment par le Canada et une partie de l’Europe — à un pôle illibéral, représenté par des États tels que la Hongrie, et désormais, dans une certaine mesure, les États-Unis. Cette fracture remet en cause la cohésion normative et stratégique du bloc démocratique tel qu’il s’était constitué depuis la fin de la Guerre froide.
Quelles options pour les alliés ?
Face à la redéfinition profonde de la posture internationale des États-Unis sous l’administration Trump, les alliés traditionnels se trouvent confrontés à la nécessité de repenser leurs stratégies nationales, mais aussi collectives. Dans ce contexte, Jonathan Paquin propose une typologie des réponses stratégiques articulée autour de deux axes : l’équilibrage interne et la gestion de l’ambiguïté stratégique. Cette grille d’analyse permet d’identifier plusieurs modèles de comportement.
Certains États choisissent l’équilibrage pour attractivité, comme le Japon ou la Pologne, qui visent à maintenir l’engagement étatsunien en valorisant leur propre rôle stratégique au sein de l’alliance. D’autres privilégient l’équilibrage pour autosuffisance, stratégie illustrée de façon marquée par la Turquie, mais également envisagée par le Canada, qui consiste à réduire la dépendance à Washington en renforçant ses capacités nationales. Une approche plus nuancée, l’équilibrage interne, consiste à diversifier ses partenariats tout en conservant l’alliance principale — une posture adoptée par le Japon et, dans une certaine mesure, par le Canada. Enfin, le « hard hedging », dont la Turquie constitue l’archétype, suppose une diversification assumée, y compris en direction de partenaires non occidentaux.
Cependant, cette typologie atteint ses limites face à des contextes géopolitiques plus contraints. Les petits États d’Europe centrale et orientale, comme le souligne Jean Combrois, illustrent cette difficulté. En raison de leur histoire récente, de leur proximité géographique avec la Russie et de leur dépendance sécuritaire à l’égard de l’OTAN, ces pays disposent de peu de marges de manœuvre. Ils restent structurellement dépendants des États-Unis, sans véritables alternatives stratégiques en cas de retrait étatsunien. À cette vulnérabilité s’ajoute une instabilité intérieure potentielle, alimentée par la montée des mouvements populistes, que la rhétorique trumpienne pourrait indirectement encourager, fragilisant ainsi leur ancrage euro-atlantique.
L’Europe occidentale, quant à elle, explore une autre voie : celle de l’autonomie stratégique. Comme l’analyse Chantal Lavallée, cette aspiration se manifeste par une série de réponses nationales, parmi lesquelles l’augmentation des budgets de défense, la relance d’ambitions stratégiques françaises et allemandes, ainsi qu’un débat renouvelé sur l’avenir de la dissuasion nucléaire en Europe. À l’échelle institutionnelle, plusieurs initiatives européennes voient le jour : l’élaboration d’un livre blanc sur la défense, le lancement de l’initiative ReArm Europe, et la tentative de structuration d’un pilier européen au sein de l’OTAN. Toutefois, ces dynamiques se heurtent à des difficultés persistantes d’articulation entre les priorités nationales, les ambitions européennes et les exigences de la solidarité transatlantique. L’autonomie stratégique reste donc un projet en construction, marqué par une tension entre volonté d’émancipation et nécessité de cohésion.
Dans ce paysage incertain, le cas ukrainien constitue un révélateur décisif. Comme le souligne Frédéric Labarre, l’Ukraine met à l’épreuve la capacité des alliés à réagir aux repositionnements de Washington. La perception d’une convergence entre Donald Trump et Vladimir Poutine alimente les craintes d’un désengagement étatsunien, plaçant les Européens devant la responsabilité de garantir, seuls si nécessaire, la continuité du soutien à Kiev. Les réponses françaises et britanniques illustrent une tentative de réaffirmation de leadership, à travers des promesses d’un engagement militaire et politique renforcé. Paradoxalement, cette situation a aussi permis de mettre en lumière l’extraordinaire résilience ukrainienne, notamment sur le plan industriel et technologique. Sous pression, l’Ukraine est parvenue à innover de manière significative dans le domaine de la défense, démontrant une capacité d’adaptation qui dépasse les attentes de ses partenaires.
L’adaptation européenne
Face aux reconfigurations profondes de la politique étrangère étatsunienne sous la seconde administration Trump, l’Europe est contrainte de redéfinir les fondements mêmes de son ancrage atlantique. Cette réévaluation découle d’une rupture manifeste avec le paradigme transatlantique classique, désormais fragilisé par un désengagement sélectif de Washington et par une indifférence stratégique croissante à l’égard des priorités européennes, comme le souligne Maude Quessard. Loin d’un leadership stable, les États-Unis incarnent, selon Laurent Borzillo, une hégémonie devenue instable et imprévisible, comparée à un « enfant roi prédateur », dont les décisions échappent aux cadres de coopération traditionnels.
Pourtant, cette instabilité ne se traduit pas uniquement par une perte : elle constitue aussi une opportunité stratégique, selon Nicolas-François Perron, en offrant — possiblement — à l’Europe une marge de manœuvre plus large qu’au moment de l’invasion russe de l’Ukraine en 2022. L’Europe est désormais contrainte de se positionner comme acteur stratégique autonome, en assumant pleinement ses responsabilités continentales.
Les réponses nationales à cette recomposition du lien transatlantique demeurent toutefois hétérogènes. La France, selon Borzillo, adopte une posture duale : elle s’engage dans un co-leadership discret avec le Royaume-Uni, tout en maintenant une ambiguïté stratégique calculée quant à une éventuelle extension de son parapluie nucléaire. Son soutien mesuré à l’Ukraine s’explique en partie par la volonté de préserver sa liberté d’action diplomatique sur d’autres fronts. L’Allemagne, de son côté, peine à traduire l’élan du Zeitenwende en transformations structurelles concrètes, en raison de contraintes institutionnelles et politiques persistantes. Néanmoins, l’arrivée de Friedrich Merz au pouvoir au début 2025 pourrait marquer un tournant potentiel dans la politique de sécurité allemande, notamment par une approche plus affirmée vis-à-vis des engagements internationaux.
Dans ce contexte, l’idée d’une autonomie stratégique européenne gagne en consistance, en s’articulant autour de trois piliers complémentaires, selon Quessard. Le pilier capacitaire vise à renforcer la souveraineté technologique et militaire de l’Europe, à travers le développement de la Base industrielle et technologique de défense (BITD), ainsi que l’investissement dans les drones, la cybersécurité et les systèmes satellitaires. Le pilier organisationnel repose sur des formats souples et réactifs, tels que le Triangle de Weimar (France, Pologne et Allemagne) ou la constitution de coalitions agiles, capables de déployer des capacités rapidement en dehors des cadres institutionnels rigides. Enfin, le pilier diplomatique est marqué par un « pragmatisme de principe », alliant défense des valeurs et adaptation aux réalités géopolitiques. Cette posture se manifeste par une gestion active des zones grises, une stratégie d’influence renforcée, et une capacité à naviguer entre impératifs moraux et contraintes structurelles.
L’ensemble de ces dynamiques illustre la tension croissante entre autonomie stratégique européenne et solidarité atlantique, et souligne la nécessité, pour les Européens, de construire une capacité d’action indépendante sans rompre pour autant les cadres de coopération existants. Cette redéfinition pourrait constituer, à terme, le socle d’un nouveau « contrat stratégique » intra-occidental, mieux adapté à un monde marqué par la multipolarité et l’imprévisibilité des alliances traditionnelles.
L’adaptation canadienne
Le retour de Donald Trump à la présidence oblige le Canada à reconnaître la nature structurelle et durable du changement à Washington. Comme l’ont souligné les différents chercheurs et diplomates, la politique étrangère étatsunienne actuelle ne reflète pas une simple parenthèse partisane, mais une redéfinition des priorités nationales, désormais centrées sur les intérêts économiques internes plutôt que sur les engagements stratégiques globaux. Cette transformation dépasse la seule personnalité de Trump : elle s’ancre dans une recomposition profonde des fondements de la politique étrangère étatsunienne. Selon David Morin et Justin Massie, le Canada ne peut plus présumer d’un alignement automatique avec Washington, même sous une future administration démocrate. Cette nouvelle donne impose une révision en profondeur des principes qui ont guidé la diplomatie canadienne depuis la Seconde Guerre mondiale.
Ce réalignement affecte particulièrement la position du Canada dans l’architecture de sécurité occidentale. Stéphane Roussel insiste sur le fait qu’Ottawa doit repenser ses leviers d’influence dans un environnement désormais structuré par une logique bilatérale et transactionnelle, plutôt que par le multilatéralisme et les institutions. Pour faire face à ce basculement, Massie appelle à une posture plus proactive : le Canada ne peut plus se contenter de suivre, il doit être force de proposition, porteur d’initiatives et d’idées. La question de la réciprocité en matière de sécurité devient ainsi centrale. Comme le formulent Massie et Yan Cimon, le Canada est prêt à « verser du sang » pour la sécurité collective en Europe, mais peut-il encore compter sur une réciprocité équivalente de la part des États-Unis ?
Dans ce contexte, le renforcement de la marge de manœuvre stratégique canadienne passe par plusieurs axes. D’abord, celui d’une capacité de réflexion autonome, en particulier dans le domaine de la politique industrielle et technologique. Ensuite, celui de la résilience économique et stratégique, qui appelle à repenser les chaînes d’approvisionnement et à diversifier les dépendances commerciales. Enfin, la diversification des alliances constitue un levier essentiel : Morin et Massie plaident en faveur d’une recherche active de coalitions alternatives, notamment avec l’Europe et l’Asie, afin de réduire la dépendance exclusive envers les États-Unis.
L’adaptation de la diplomatie canadienne à cette nouvelle configuration étatsunienne suppose aussi une évolution des outils et des méthodes d’influence. Roussel souligne l’importance de capter l’attention d’un président Trump dont les priorités, les sensibilités et le mode de fonctionnement rompent avec les normes présidentielles classiques. Cela implique de mobiliser le lien personnel entre dirigeants comme canal d’influence privilégié — une approche qui marque une rupture importante avec la tradition diplomatique canadienne, historiquement fondée sur les canaux institutionnels, les relations bureaucratiques et les normes de coopération multilatérale.
Repenser l’ordre démocratique au-delà de l’hégémonie étatsunienne
Les travaux de la conférence du 7 avril 2025 convergent vers un double diagnostic sans équivoque : la seconde administration Trump incarne une transformation structurelle et durable de la politique étrangère étatsunienne, marquant la fin de la présomption d’un leadership transatlantique stable et prévisible. Pour les démocraties alliées, cette évolution impose une redéfinition en profondeur des fondements de la coopération euro-atlantique.
Depuis lors, les réponses nationales à cette recomposition stratégique ont donné lieu à des trajectoires contrastées. Au Canada, le nouveau Premier ministre Mark Carney, a annoncé l’atteinte anticipée de l’objectif de 2 % du PIB consacré à la défense, ainsi qu’un renforcement des partenariats sécuritaires avec les alliés européens et l’Union européenne — marquant une tentative d’inflexion de la posture canadienne. Toutefois, plusieurs incertitudes subsistent quant à la mise en œuvre concrète de ces engagements, notamment en ce qui concerne la capacité du Canada à développer une autonomie stratégique réelle vis-à-vis des États-Unis.
En Allemagne, le Chancelier Friedrich Merz s’est engagé à faire de la Bundeswehr la force armée la plus puissante d’Europe, à travers un plan d’investissement massif à long terme. Cette ambition, bien qu’alignée avec la logique d’autonomie stratégique européenne, pourrait se heurter à des tensions internes croissantes : déjà fragilisé, Merz fait face à des critiques au sein de son partenaire de coalition, le SPD, dont plusieurs membres influents ont récemment publié une lettre ouverte dénonçant les risques d’une « course à l’armement » et appelant à une approche plus équilibrée.
En France, le Président Emmanuel Macron a infléchi sa position à l’égard de la précédente administration Trump, réaffirmant avec force l’importance de l’OTAN pour la sécurité européenne — en rupture avec son diagnostic de « mort cérébrale » formulé en 2019 — tout en demeurant contraint par des marges budgétaires limitées. À l’inverse, l’Espagne avait, dès avant le Sommet de l’OTAN de juin 2025, indiqué qu’elle ne suivrait pas la nouvelle cible de 5 % des dépenses de défense, peinant même à atteindre le seuil de 1,3 %. En Italie, la Présidente du Conseil Giorgia Meloni adopte une posture d’équilibre, se positionnant comme un pont entre l’Europe et les États-Unis — une modération qui reflète les tensions internes à sa coalition, dont une frange reste sceptique face aux ambitions militaires franco-allemandes et privilégie un alignement atlantiste classique.
L’analyse comparée des trajectoires nationales révèle ainsi une pluralité de réponses face au retour de Donald Trump et à la recomposition de l’ordre international. En Europe au Canada, les discours sur l’autonomie stratégique gagnent en visibilité, mais plusieurs pays restent contraints par des dépendances structurelles. Si hétérogènes soient-elles, ces dynamiques convergent vers un constat commun : le statu quo ante n’est plus tenable. Les mécanismes traditionnels de coordination, centrés sur la prééminence étatsunienne, ne suffisent plus à garantir la défense des intérêts des alliés dans la durée.
Ce climat d’adaptation prudente a trouvé une illustration éloquente lors du Sommet de l’OTAN tenu à La Haye en juin 2025. Ce sommet a cristallisé les tensions identifiées lors des panels de la conférence, en particulier quant à la gestion d’un partenaire devenu à la fois imprévisible et dominateur. Toute l’organisation de la rencontre a semblé guidée par une priorité implicite : préserver la cohésion apparente de l’Alliance et ménager la sensibilité du président Trump. Avant son arrivée, ce dernier a jeté le trouble sur la portée de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord, en suggérant qu’il existait plusieurs définitions possibles de cette garantie fondamentale. Cette déclaration, loin d’être anodine, a ravivé les doutes des États membres quant à la fiabilité de la dissuasion collective, déjà fragilisée par les positions antérieures du président. Le Secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, a adopté une posture de conciliation particulièrement marquée, allant jusqu’à affirmer que Trump « mérite tous les éloges » — une déclaration largement perçue comme une tentative diplomatique d’éviter la confrontation. Le communiqué final, particulièrement laconique sur le soutien à l’Ukraine, a révélé les lignes de fracture persistantes au sein de l’Alliance, tant sur la posture à adopter face à la Russie que sur l’avenir institutionnel de l’OTAN elle-même.
Dans ce contexte, l’objectif formel de porter les dépenses de défense à 5 % du PIB semble difficilement atteignable pour de nombreux États membres, alors même que la relation transatlantique reste largement structurée par une logique transactionnelle et fluctuante. L’épisode du Sommet renforce ainsi l’un des constats centraux de la conférence d’avril : la résilience à long terme de l’ordre démocratique international ne peut plus reposer sur un leadership étatsunien stable. Elle exige une transformation profonde des cadres de coopération existants, une redistribution des responsabilités entre alliés, et l’affirmation d’une autonomie stratégique crédible — seules conditions, désormais, d’une sécurité collective durable.
En définitive, la question n’est plus de savoir si une émancipation partielle vis-à-vis du leadership étatsunien est souhaitable, mais bien de déterminer comment la mettre en œuvre sans compromettre l’architecture démocratique et sécuritaire transnationale. C’est cette capacité à articuler autonomie stratégique, solidarité entre alliés et résilience institutionnelle qui déterminera si les démocraties occidentales peuvent continuer à jouer un rôle structurant dans un ordre international en recomposition.
Liste des participants :
Mot d’ouverture :
- Justin Massie, directeur du Département de science politique (UQAM), co-directeur, Réseau d’analyse stratégique (RAS), Le Rubicon
- François Audet, directeur de l’IEIM
Panel 1 : Que veut Trump?
- Karine Prémont (Université de Sherbrooke)
- Julien Toureille (Chaire Raoul-Dandurand)
- Theodore McLauchlin (Université de Montréal)
- Henri-Paul Normandin (IEIM)
Panel 2 : Quelles options pour les alliés?
- Jean Crombois (American University in Bulgaria)
- Jonathan Paquin (Université Laval)
- Chantal Lavallée (Collège militaire royal de Saint-Jean)
- Frédéric Labarre (Collège militaire royal du Canada)
Panel 3 : L’adaptation européenne
- Laurent Borzillo (ÉNAP)
- Maud Quessard (IRSEM)
- Nicolas-François Perron (UQAM)
Panel 4 : L’adaptation canadienne
- Stéphane Roussel (ÉNAP)
- Justin Massie (UQAM)
- David Morin (Université de Sherbrooke)
- Yan Cimon (Université Laval)
Mot de clôture :
- Daniel Jean (ancien conseiller du premier ministre en matière de sécurité nationale)
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