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Cette note stratégique revient sur les premières leçons pouvant être tirées de la guerre en Ukraine. Elle s’appuie principalement sur deux séminaires organisés par le RAS et ses partenaires en février et mars 2023 sur ce thème. À rebours de ce qu’annonçaient certains experts et bien qu’une partie de son territoire soit encore occupé, l’Ukraine a su résister et reconquérir plusieurs territoires – même si cela peut s’expliquer en partie à travers le soutien occidental et d’autres États comme le Japon – les derniers véritables gains territoriaux russes conséquents remontant à l’hiver 2022. Alors que ces mêmes experts insistaient sur l’asymétrie flagrante entre Kyiv et Moscou en termes économiques, démographiques ou encore de puissance militaire, asymétrie prédestinant l’Ukraine au statut de vaincu et la Russie à celui de vainqueur, les 16 derniers mois ont démontré le peu de pertinence de telles lectures superficielles. Pourtant les guerres du Vietnam et d’Afghanistan du siècle dernier, sans parler de celle d’Afghanistan du XXIe siècle, ont régulièrement démontré la vacuité de ce type d’analyse. Qui plus est, ceci est une leçon vieille de plusieurs siècles et que les guerres médiques du Ve° siècle avant notre ère avaient déjà démontré. Une écrasante supériorité numérique y compris entre un régime autoritaire et un régime démocratique – c’est-à-dire entre un système pouvant mobiliser aisément ses ressources du fait de la quasi-absence de contre-pouvoirs et de débats et un autre où ces deux éléments constituent son essence même – n’est en rien gage de victoire.
Faits saillants
- Les seize derniers mois ont révélé les nombreuses et importantes erreurs stratégiques et tactiques russes. Celles-ci résultent de la prégnance de son idéologie sur la planification de son effort de guerre.
- Parallèlement, l’Ukraine a su rapidement s’adapter à l’agression de son territoire en raison de son avantage moral, de la collaboration des civils avec son armée et de la force de son logiciel militaire[1].
- Bien que peu abordé depuis le début de l’invasion, il convient de ne pas mésestimer l’importance du domaine maritime. Les faiblesses structurelles de l’Ukraine dans ce domaine faisant suite entre autres à la guerre de 2014 ont grandement facilité la tâche à la Russie dans le cadre de ses préparatifs d’invasion et lui ont permis d’affaiblir Kyiv économiquement, l’Ukraine dépendant fortement du commerce maritime.
- L’enlisement actuel et la prolongation de la guerre sur le plan opérationnel s’expliquent essentiellement du fait de l’absence d’une supériorité aérienne établie par l’un des deux camps. Ceci démontre l’importance du domaine aérien et la nécessité pour les Alliés au sein de l’OTAN de réinvestir rapidement et intensivement dans leurs capacités aériennes, afin d’assurer une nette et dissuasive supériorité aérienne sur le flanc nord de l’Alliance. Ceci est nécessaire en matière de drones, mais aussi pour l’ensemble des systèmes d’armes et de détection indispensables aux stratégies de déni d’accès et d’interdiction de zone.
- Contrairement aux estimations de plusieurs experts, le domaine du cyber a été de moindre importance dans le conflit jusqu’ici et a plus agi en complément des moyens traditionnels dans le cadre des opérations menées, qu’elles soient offensives ou défensives.
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Introduction
Plus d’un an après que la Russie ait déclenché de manière injustifiée la seconde guerre russo-ukrainienne[2], et alors que l’on assiste depuis quelques semaines au début d’une nouvelle offensive ukrainienne, cette note met en lumière certains enseignements pouvant être tirés du conflit, en particulier sur le plan militaire. L’argumentaire qui y est développé s’appuie principalement sur deux séminaires organisés par le Réseau d’analyse stratégique et ses partenaires en février et mars 2023 abordant ces deux aspects du conflit.
Le premier séminaire se composait de deux tables-rondes et d’une conférence (avec Michael Kofman) portant sur les leçons stratégiques de l’efficacité militaire russe en Ukraine. La première table-ronde visait à tirer des leçons militaires de l’analyse des performances ukrainiennes, russes, mais aussi indirectement de l’OTAN dans divers domaines (avec comme intervenants, Eliza Gheorghe, Frans Osinga, Hanna Shelest et Alexander Lanoszka). La seconde table-ronde a permis de faire échanger plusieurs experts sur les perspectives d’après-guerre (celle-ci réunissant Jack Porter, Maria Popova, Oxana Shevel et Justin Massie). Le second séminaire, qui a eu lieu le 16 mars 2023 sous la forme d’une large discussion entre une dizaine[3] d’experts, s’est focalisé sur les scénarios de sorties de conflits pour l’année 2023, mais également sur les faiblesses et atouts stratégiques des deux belligérants.
Plus d’un après le début du conflit, plusieurs observations militaires et stratégiques peuvent être formulées. Celles-ci ne se limitent pas seulement au champ de bataille et à l’échelon tactique. Le rôle dominant ou au contraire limité, mais également parfois variable dans le temps de certains domaines militaires (maritime, aérien, cyber) révèle à quel point ce conflit recèle d’enseignements, en cas de future guerre de haute intensité. Cette guerre démontre en outre à quel point les logiciels militaires des deux belligérants, mais aussi la résilience de la société ukrainienne sont des variables déterminantes de l’évolution de celle-ci et qu’à bien des égards l’infériorité numérique et en termes de puissance de feu ne détermine pas nécessairement le résultat d’un conflit.
Les raisons de l’enlisement russe et la surprise ukrainienne
À la suite de la première conférence, il est ressorti que la stratégie russe a été influencée par une perception biaisée de l’Ukraine. Le statut de leader que s’attribue la Russie dans son environnement régional et celui de vassal qu’elle donne à l’Ukraine a influencé la planification de cette guerre et n’a pas permis au Kremlin d’évaluer correctement les capacités de résistance ukrainienne. En effet, s’il est difficile d’établir des conclusions sur l’enlisement russe sur le champ de bataille, il semblerait néanmoins que son idéologie ait pris le pas sur une planification efficace de son effort de guerre.
Pour les panélistes de la deuxième table-ronde du séminaire du 24 février, la préparation des forces ukrainiennes à une nouvelle invasion au cours des années 2014-2022 (soit suite à l’annexion de la Crimée et du Donbass) a été sous-estimée par les Russes. En effet, outre les ouvrages de défense militaires qu’elle avait construits, l’Ukraine avait adopté en 2021 le concept de résistance et de résilience nationale et avait déjà entamé un renforcement de sa sécurité informationnelle. Ces mesures ont permis de préparer la société à l’éventualité d’une attaque et in fine ont renforcé la résilience du système ukrainien et de sa société. En sous-estimant l’Ukraine et son peuple, Moscou a ainsi prétendu pouvoir conquérir Kyiv en deux semaines. Plus de quinze mois après l’invasion, il est plus qu’évident que la Russie a formulé des ambitions impérialistes supérieures à ses capacités militaires. Malgré l’ampleur de l’offensive et les réformes de l’armée russe datant d’avant le déclenchement de la guerre, Moscou n’a pas réussi à percer les lignes de front ukrainiennes. La planification stratégique ambiguë de son effort militaire et le manque de préparation de ses troupes ont rendu cette offensive laborieuse et peu concluante sur le terrain. Les déficits structurels causés par une réduction des groupes tactiques de ses forces armées et l’absence d’une supériorité aérienne[4] ont empêché de plus Moscou de détruire les centres de gravité stratégique de l’Ukraine.
Les experts de la conférence et de la première table-ronde du 24 février ont par ailleurs insisté sur la surprise qu’a constituée la résistance ukrainienne. Contrairement aux forces russes, l’armée ukrainienne a démontré une véritable coordination de ses forces, ainsi qu’une flexibilité qui lui a permis de rapidement s’adapter à l’agression russe. Deux raisons essentielles expliquent la résilience de la résistance ukrainienne. Si le peuple ukrainien ne s’attendait certainement pas à une offensive de cette envergure, il s’était progressivement adapté à un climat d’insécurité imposé d’une part par l’annexion de la Crimée et d’une partie du Donbass en 2014, et d’autre part compte tenu de la guerre de basse intensité et des opérations de déstabilisation russe ayant eu lieu entre 2014 et 2022. Cette acclimatation au risque s’est justement concrétisée par l’adoption en 2021 du concept de résistance et de résilience nationale précédemment mentionné.
Les Ukrainiens détenant clairement le statut d’agressé, certains experts expliquent que cette position leur permet de faire preuve d’une motivation et d’une résilience sans faille. Effectivement, la guerre déclenchée par les Russes n’a été provoquée d’aucune manière : en ce sens Kyiv détient un avantage moral sur Moscou. Celui-ci lui permet de mobiliser la majorité de sa population face à l’agression non provoquée subie, mais aussi d’obtenir un soutien sans équivoque de la majeure partie de ses alliés. À titre de comparaison, les narratifs relatifs à la guerre de Géorgie de 2008 ont souvent mis de l’avant la part de responsabilité du gouvernement géorgien dans le déclenchement du conflit, celui-ci étant à l’origine des opérations militaires en Ossétie du Sud (bien qu’il soit légitimement argué qu’il s’agissait là de son propre territoire et non d’une région russe).
Pour en revenir à la guerre russo-ukrainienne l’Ukraine, celle-ci s’avère existentielle pour la survie de l’Ukraine et de son peuple, et a donc de facto rendu son logiciel militaire plus robuste. Les autorités militaires et politiques ukrainiennes ont bénéficié de la contribution des civils à l’effort de guerre dès le déclenchement de la guerre. Michael Kofman a ainsi mis de l’avant le fait que les civils n’ont pas hésité à défendre leurs villes en attendant le déploiement organisé des troupes ukrainiennes au début de l’invasion. Ceci a permis au logiciel militaire ukrainien de se renforcer et de rapidement se développer. Celui-ci a continué à bénéficier de la contribution des civils – y compris et surtout dans le domaine du renseignement – ce qui témoigne d’une véritable coopération entre les forces armées et la population ukrainienne dans le cadre d’une guerre totale.
Pour certains experts, cette configuration a fait la différence face à des troupes russes désorganisées et moins motivées. De plus, des récits faits par les prisonniers de guerre russe, il semble que nombre de militaires russes ignoraient clairement leurs destinations/objectifs, y compris quelques jours, voire heures avant l’invasion ou a minima n’avaient en leur possession que des briefings erronés leur promettant un accueil en libérateurs de la part des Ukrainiens. Pour Alexander Lanoszka, ceci constitue une véritable une leçon stratégique à prendre en compte : selon lui cette guerre témoigne en effet de l’importance du logiciel militaire (software), tout aussi essentiel – si ce n’est plus – que les équipements militaires (hardware).
Toutefois, ainsi que l’ont démontré les intervenants de la dernière table-ronde du premier séminaire, les erreurs tactiques et stratégiques russes, mais aussi le manque de capacités et d’équipements du côté ukrainien ont fait basculer la guerre vers l’enlisement. La seconde phase des affrontements illustre cela, le Kremlin décidant de pallier son manque d’effectifs par des séries de bombardements à répétitions afin d’amenuiser la résistance ukrainienne en affaiblissant son arrière-front. Cette logique d’usure déjà observée en Syrie a pour conséquence un coût humain non négligeable pour les Ukrainiens, mais n’a pas pour autant permis aux Russes de faire des avancées territoriales significatives.
Selon Michael Kofman, les erreurs stratégiques et tactiques russes ont finalement eu pour conséquence une crise de confiance au sein de son armée. Bien que les informations soient difficiles d’accès, un mouvement de résistance et de désertion au sein même de l’appareil militaire russe est soupçonné. Le récent raid avorté du chef de Wagner sur Moscou prétextant pour justifier celle-ci des trahisons au sein de l’état-major militaire russe et exigeant les démissions du chef d’état-major général Valery Gerasimov et du ministre de la Défense Sergueï Choïgou a démontré publiquement le niveau de perte de confiance et de méfiance au sein même des forces russes (celles-ci comprenant l’armée régulière, mais aussi les armées privées telle celle d’Evgueni Prigojine ou encore de Ramzan Kadyrov). Ces dernières se révèlent démoralisées face à une société ukrainienne engagée, prête à se défendre face à l’agresseur pour survivre. Oxana Shevel rappelle qu’après un an d’affrontement, c’est près de 90% de la population ukrainienne qui déclarait vouloir continuer à se battre malgré les menaces de frappes nucléaires régulièrement formulées par Poutine. En date du 12 juin, ce chiffre demeure presque inchangé, s’élevant à 84%.
Certes la Russie détient un avantage démographique indéniable comme évoqué lors du deuxième séminaire. L’Ukraine a toutefois clairement et nettement l’avantage du moral. Ainsi que certains l’ont fait valoir lors de la table-ronde du 16 mars, l’une des forces de la Russie est en effet sa démographie, comparativement à l’Ukraine. Dans une logique d’usure, Moscou possède l’avantage, du fait de la quantité de troupes qu’il peut mobiliser. En revanche, l’écart de motivation entre les deux camps est flagrant. Pour diverses raisons, l’Ukraine – que cela soit ses élites ou sa population – démontre clairement sa volonté de continuer la lutte. Malgré cet avantage moral, il reste aujourd’hui difficile à déterminer si les motivations ukrainiennes reconnues par tous suffiront à repousser définitivement les forces armées russes étant donné l’avantage démographique de Moscou et son absence de considération pour ses propres pertes, comme le rappelle Ekaterina Piskunova.
La conduite de la guerre et l’importance respective de certains domaines militaires (maritime, aérien et cyber)
Ainsi que l’a rappelé Hanna Shelest, bien que la guerre russo-ukrainienne soit avant tout une guerre terrestre, le domaine maritime est loin d’avoir été un théâtre secondaire du conflit en termes stratégiques. L’importance du rôle maritime pour la préparation de l’offensive russe en février 2022 est en effet particulièrement notable. Compte tenu de ses importantes pertes en capacités militaires maritimes en 2014 suite à l’annexion de la Crimée, l’Ukraine n’a pu garantir une protection exhaustive et une évaluation efficace des menaces sur sa côte maritime. L’envoi d’équipements maritimes par les alliés de l’Ukraine qu’à partir de 2019 fut trop tardif et n’a pas permis à l’Ukraine de rattraper son déficit en matière de défense et de sécurité sur sa côte maritime. L’Ukraine étant économiquement très dépendante du commerce maritime (70% de ses exportations proviennent de la mer), ce déficit en capacité fut lourd de conséquences. Les Russes ont su en effet capitaliser sur cette faiblesse stratégique et cette dépendance économique : un mois avant l’offensive de février 2022, les ports ukrainiens furent d’ailleurs bloqués par les Russes. Ceci permet de souligner qu’il convient également de ne pas négliger l’étude de la phase de préparation ayant précédé l’invasion, celle-ci permettant de mettre ainsi en lumière des faiblesses du côté ukrainien. Pour Hanna Shelest, les carences de l’Ukraine dans le domaine maritime et l’approvisionnement tardif d’équipement militaire doivent par conséquent pousser la communauté d’experts à réfléchir au renforcement des capacités ukrainiennes dans ce domaine.
L’importance du domaine maritime dans la phase de préparation du conflit ne doit pas cependant occulter la prédominance du domaine aérien. Selon Frans Osinga, c’est ce dernier qui se révèle prédominant pour le rapport de force dans cette guerre et qui permet d’ailleurs d’expliquer l’enlisement en cours, celle-ci résultant de l’absence d’une supériorité aérienne établie par l’un des deux camps. Comme souligné par Michael Kofman, les raisons pour lesquelles Moscou a refusé de frapper au début de l’offensive les infrastructures ukrainiennes demeurent encore aujourd’hui assez floues. Il semblerait que la conviction d’une prise rapide de l’Ukraine et de sa capitale n’ait pas poussé l’état-major russe à réfléchir au moyen d’établir une domination aérienne qui aurait permis d’affaiblir les capacités défensives aériennes de l’Ukraine. De plus, le manque de capacités offensives dans le domaine aérien (Suppression of Enemy Air Defenses / Destruction of Enemy Air Defenses, SEAD/DEAD), mais aussi la carence en pilotes expérimentés expliqueraient l’absence de domination russe sur le domaine aérien et donc l’enlisement des deux belligérants sur le champ de bataille.
À cet égard, Frans Osinga tend à estimer qu’à de rares exceptions près l’impact du domaine aérien sur la situation stratégique en Ukraine n’a pas encore été assez étudié, alors que celui-ci est selon lui décisif pour la fin des affrontements et donc potentiellement pour une sortie de crise. Ce constat devrait faire office de leçon stratégique pour un des experts, notamment pour les alliés de l’OTAN qui soutiennent l’Ukraine. Selon Frans Osinga, l’importance stratégique de ce domaine démontre que la majorité des alliés doivent réinvestir rapidement et intensivement dans leurs capacités aériennes après avoir pendant des décennies désinvesti dans celles-ci. La supériorité aérienne de l’OTAN sur son flanc nord doit être rétablie au plus vite pour dissuader tout débordement des affrontements russo-ukrainien ou encore toute tentative russe de nouvelle déstabilisation.
Ceci suppose également pour les Alliés de développer de manière conséquente leurs capacités en matière de drones, et ce quelque soit leur taille ou fonction. La guerre a démontré en effet le rôle considérable – bien que non-décisif à lui seul – joué par ces derniers que cela soit pour des fonctions de renseignement, de transport, de combat, ou suicide. S’en prémunir est tout aussi nécessaire, la Russie y ayant désormais régulièrement recourt. Ceci rend d’autant plus indispensable le développement et la mise en œuvre de stratégie de déni d’accès et d’interdiction de zone, s’appuyant sur divers systèmes d’armes et de détection.
Concernant le cyber, ainsi que le rappelle Alexander Lanoszka, ce dernier a été de moindre importance dans le conflit. Ceci devrait amener à nuancer l’importance attribuée aux nouvelles technologies dans la conduite de la guerre moderne. En effet, malgré l’émergence de technologies disruptives et de leurs impacts sur la stabilité mondiale, leur rôle secondaire dans cette guerre permet de relativiser leurs importances stratégiques. Il y a certes des leçons à tirer de l’intégration de ces nouvelles technologies au système de communication et de contrôle ukrainien par exemple. Cependant, elles n’ont qu’un rôle palliatif aux domaines dits « classiques » de la stratégie militaire. Pour les experts de cette table-ronde, le domaine cyber ne peut les remplacer.
Toutefois, les outils cybertechnologiques permettent de développer les offensives et les défenses relatives à ces domaines classiques. La faible place du cyber tend in fine à confirmer le caractère traditionnel de cette guerre, à l’inverse de la guerre moderne qui mobilise des stratégies hybrides sur des fronts très localisés et délimités. Ainsi que certains experts l’ont mentionné, la guerre russo-ukrainienne se révèle une guerre d’usure à caractère total qui se repose sur la dissuasion nucléaire, l’artillerie lourde et l’idéologie, et d’une certaine manière elle fait écho dans ses modalités aux affrontements du XXème siècle.
Conclusion
Alors qu’il est malheureusement plus que probable que cette guerre se poursuive au-delà de l’année en cours, l’analyse de celle-ci permet d’identifier certaines leçons pouvant être utiles pour les Occidentaux et leurs alliés (y compris dans d’autres régions du monde, comme en mer de Chine). Il est évident à cet égard que l’idéologie impérialiste russe a poussé les élites et le pouvoir russes à formuler des ambitions politiques plus grandes que ses moyens militaires. Conséquence de cet aveuglement, le manque d’organisation et de planification de l’effort de guerre russe a rapidement fait glisser « l’opération spéciale » en guerre longue où enlisement et logique d’usure sont devenus des réalités. Parallèlement à l’influence néfaste de l’idéologie impérialiste russe, il est à noter la surprise qu’a constituée pour nombre d’experts la résistance nationale ukrainienne. Ceci met en lumière l’importance du logiciel militaire au sein d’une société et d’un État, ce dernier étant un facteur tout aussi déterminant que les systèmes d’armes à disposition.
D’un point de vue tactique, plusieurs enseignements peuvent également être tirés du conflit. Si le domaine maritime a été capital dans le cadre de la préparation et de la phase initiale de la guerre, cela a ensuite été le cas du domaine aérien compte tenu de l’évolution des affrontements. Bien que l’importance du maritime et de l’aérien sont à souligner, il convient également de noter le rôle plus limité du cyber, et ce à rebours des prévisions et réflexions sur les futurs conflits. Peut-on pour autant estimer que cela serait le cas des guerres à venir ? À titre d’exemple, la nouvelle loi de programmation militaire française montre qu’au sein des armées et des élites françaises, l’analyse tend plutôt à considérer le cyber comme un élément majeur des affrontements à venir, d’où l’accroissement des crédits dans ce domaine.
Ces premières leçons et constatations doivent cependant être considérées pour ce qu’elles sont, à savoir des analyses préliminaires. La guerre est en effet loin d’être terminée et ainsi que le mentionnaient les experts du second séminaire, du fait des motivations russes à l’origine de la guerre, les perspectives de paix sont plus que faibles pour les prochains mois. De plus, il est encore trop tôt pour espérer que les troubles intérieurs en Russie, dont la mutinerie de Wagner contre l’état-major militaire russe, aient un impact favorablement pour ce qui est d’une instauration d’une paix négative ou positive. Il est certain que les clivages au sein de l’appareil politico-militaire russe auront des effets sur le champ de bataille susceptibles de favoriser les Ukrainiens. Mais pour en revenir aux leçons pouvant être tirées de ce conflit, ainsi que l’illustre le domaine aérien, l’importance de certains secteurs peut varier au cours d’un conflit, tout comme la volonté de résistance et la mobilisation d’une société. Il convient donc de prendre en compte ces premières analyses/leçons, mais d’éviter de les considérer comme des leçons définitives de cette guerre.
[1] Traduction libre du terme military software se référant à tous les dispositifs et programmes mis en place pour planifier et lancer une offensive ou une défense face à un adversaire en temps de guerre.
[2] Le terme seconde guerre russo-ukrainienne est utilisé afin de mettre de l’avant la rupture engendrée par l’invasion illégale et non provoquée de l’Ukraine par la Russie en février 2022. En effet, si la guerre à l’est de l’Ukraine n’a pas réellement cessé depuis 2014 malgré les accords de Minsk de 2015, février 2022 marque un tournant dans la conflictualité russo-ukrainienne.
[3] Comprenant pour intervenants Dominique Arel, Laurent Borzillo, Yann Breault, Magdalena Dembinska, Delphine Deschaux-Dutard, Heidi Hardt, Justin Massie, Falk Ostermann, Ekaterina Piskunova et Olivier Schmitt.
[4] La supériorité aérienne est jugée par les stratèges militaires en Occident comme une condition sine qua non à toutes offensives extraterritoriales.
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