Le délaissement du leadership américain au sein de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) n’est pas apparu avec Donald Trump. Dès la fin de la Guerre froide, le poids des États-Unis au sein de l’alliance était remis en question par les alliés européens. Le refus d’une intervention de l’OTAN en Irak en 2003 par la France et l’Allemagne indiquait déjà à cette époque que le leadership américain n’était plus incontesté.
Plus récemment, l’administration Obama n’a pas non plus cherché à réaffirmer l’hégémonie américaine au sein de l’OTAN. Au contraire, le président Obama a plutôt mis de l’avant la stratégie du « Lead from behind », favorisant ainsi un réajustement dans le partage du fardeau au sein de l’alliance. Ce délaissement du leadership s’illustre notamment avec l’opération Unified Protector en Libye en 2011. Au cours de cette intervention, Washington n’a joué qu’un rôle de support, laissant la France et la Grande-Bretagne prendre les rênes des opérations.
Lors de son arrivée au pouvoir, le président Donald Trump a poursuivi sur cette même lancée. Avec son slogan « America First », Trump a fait comprendre à ses alliés que la priorité de Washington n’était plus les affaires internationales. Trump estimait que les interventions militaires américaines étaient longues et coûteuses et qu’il valait mieux que Washington se concentre sur les politiques domestiques. C’est pourquoi il n’a pas hésité à retirer ses troupes de la Syrie en octobre 2019 sans consulter ses alliés au préalable.
Le train du retrait progressif de Washington dans la gestion des affaires mondiales est donc en marche depuis longtemps. Les élections présidentielles américaines de 2020 risquent peu de changer cette tendance. Bien des actions devront être prises par la nouvelle administration Biden pour que les États-Unis retrouvent leur pleine influence au sein de l’alliance.
Les priorités de Joe Biden
Joe Biden l’a répété à de nombreuses reprises : sous sa présidence, les États-Unis afficheront un leadership plus affirmé sur la scène internationale et il y a fort à parier que l’OTAN sera au coeur de son dispositif stratégique. Selon lui, l’OTAN est « the most effective political-military alliance in modern history ».
Mais comment le nouveau président des États-Unis pourra-t-il recouvrer le leadership au sein de l’alliance?
La première chose à faire sera certainement de tenter de réparer les relations transatlantiques, lesquelles ont été mises à mal par le président Trump. Pour ce faire, Biden espère organiser un sommet de l’OTAN dans les premiers mois de son mandat. La diplomatie au sommet sera l’occasion idéale pour le président américain de montrer que les États-Unis sont de retour et qu’ils désirent resserrer les liens avec leurs alliés. Biden est clair à cet égard, ce sommet servira à marquer le retour des États-Unis au cœur du jeu international.
Biden souhaite par ailleurs réaffirmer le leadership américain en revoyant les concepts stratégiques de l’organisation. Le dernier concept stratégique de l’OTAN date de 2010 et ne reflète plus les réalités internationales. La rédaction d’un nouveau concept stratégique permettrait d’y inclure des éléments conventionnels, notamment l’émergence de la Chine et les menaces en eaux internationales, mais aussi des menaces non traditionnelles comme l’intelligence artificielle, la corruption militarisée et les défis liés à l’espace. La réécriture d’un nouveau concept permettrait aux États-Unis de mettre de l’avant leurs priorités en politique étrangère.
Ensuite, Biden désire que les membres réaffirment leur engagement démocratique envers l’organisation puisqu’il croit que le renforcement des institutions démocratiques des pays membres est une priorité pour que l’OTAN suive elle-même les valeurs qu’elle prêche. Cela pourrait impliquer par le fait même une attitude plus dure par rapport aux agissements de la Turquie en Mer Méditerranée et au Haut-Karabakh. Biden souligne l’importance des valeurs communes et de la confiance afin d’assurer une meilleure cohésion dans l’OTAN.
Finalement, la question du partage équitable du fardeau et de l’atteinte du 2% ne risque pas de disparaître, malgré l’élection de Joe Biden. Certes, si Donald Trump y a accordé une importance capitale, il n’était pas le premier président américain à insister pour que ses alliés paient leur part. Biden va poursuivre dans cette même lancée. La principale différence résidera dans l’approche. Le président Trump a mentionné à maintes reprises que les États-Unis n’assisteraient pas un allié dans le besoin si ce dernier n’a pas payé 2% de son PIB en défense, remettant en question du même coup la sacralité de l’article 5 du Traité de 1949 et appliquant une logique de transaction au principe de sécurité collective. Joe Biden ne risque pas de tomber dans de tels extrêmes. L’aide de Washington n’est pas conditionnelle au 2%, et comme il l’a mentionné dans un essai écrit en mars 2020 pour Foreign Affairs, « the alliance transcends dollars and cents; the United States’ commitment is sacred, not transactional ».
Recommandations pour le Canada
Le Canada ne pourra pas rester coi face à ces changements au sein de l’alliance transatlantique. Le gouvernement Trudeau devra certainement prendre des mesures qui lui permettront de garder son allié américain proche tout en restant fidèle à l’Organisation. Deux décisions devront être prises par Ottawa.
- Démontrer son engagement envers l’OTAN.
Le Canada doit continuer à être proactif et à s’impliquer dans les diverses interventions, formations et exercices de l’OTAN, notamment comme il le fait déjà en Lettonie. L’implication canadienne ne doit pas faiblir, car Biden estime grandement la place du Canada dans les opérations. Un engagement constant pourrait certainement permettre à Ottawa d’avoir plus de poids dans le Conseil de l’Atlantique nord. L’engagement envers l’OTAN passe aussi par l’augmentation des dépenses militaires. Le Canada est encore bien loin d’atteindre le 2% exigé et ne prévoit pas non plus l’atteindre d’ici 2024. Néanmoins, selon Stephen Saideman, l’OTAN sous la présidence Biden serait plus tournée vers les actions des alliés que vers les dépenses.
- Participer à la réforme de l’OTAN proposée par Biden.
La révision des concepts stratégiques sera l’occasion idéale pour Ottawa de mettre son grain de sel dans les futures orientations de l’alliance transatlantique. Heureusement pour Ottawa, Biden et Trudeau ont des opinions semblables sur l’OTAN, la Russie et la démocratie, ce qui risque de faciliter la mise en avant des intérêts nationaux canadiens. Quant aux réformes démocratiques, l’avantage pour Ottawa d’y participer est que les implications et les coûts pour les forces armées canadiennes y seront moindres étant donné que Biden vise l’emploi de la force en dernier recours.
Somme toute, même si Joe Biden a été élu 46e président des États-Unis dans une volonté de rupture avec les politiques internationales de Donald Trump, cela ne signifie pas que les problèmes subsistants au sein de l’OTAN seront réglés du jour au lendemain. Tous les États membres devront y mettre du sien, non seulement pour éliminer les tensions qui ne cessent d’augmenter à l’interne, mais également pour définir un leader clair qui remettra l’alliance sur le droit chemin.
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