Dans un contexte d’augmentation de la compétition entre les grandes puissances et d’un déclin relatif des États-Unis, ce billet a pour objectif d’informer sur la position italienne dans cette compétition. L’Italie alimente en effet une certaine forme d’ambiguïté quant à ses intentions en défendant en même temps un engagement euro-atlantique fort et un rapprochement avec la Russie et la Chine. Ce désalignement apparent de l’Italie d’avec ses principaux alliés occidentaux risque de fragiliser les relations transatlantiques, ce qui pourrait entraîner plusieurs conséquences pour le Canada et l’OTAN.
Un euro-atlantisme fort
L’engagement euro-atlantique de l’Italie n’a jamais faibli ni été remis en question. L’Italie demeure un pays profondément euro-atlantique, tant dans sa posture stratégique que dans son identité. Le Livre blanc de la défense italienne de 2015, la plus importante réflexion stratégique de l’Italie depuis plusieurs décennies, insiste sur les valeurs communes de la communauté euro-atlantique qui transcendent les frontières. Cette communauté s’est forgée dès la fin de la Seconde Guerre mondiale pour devenir l’un des piliers les plus solides de la stabilité internationale. À partir d’une alliance militaire, la communauté euro-atlantique a évolué vers une relation plus profonde et plus étendue. Dans ce contexte, l’Italie conçoit la sécurité internationale conjointement avec l’Union européenne (UE) et l’OTAN. Lors d’une allocution au Parlement en juillet 2018, le ministre italien de la Défense a placé la relation avec l’OTAN et l’UE comme l’une des premières priorités en matière de défense.
L’OTAN, plus que l’UE, représente l’alliance de référence de l’Italie pour garantir la sécurité de la région euro-atlantique et pour dissuader les potentielles menaces. À cet égard, le ministre de la Défense s’engage à promouvoir toutes les initiatives pour renforcer les engagements de l’OTAN, notamment en Méditerranée et au Moyen-Orient et de continuer à fournir une importante contribution aux missions de l’alliance. Il est toutefois important de souligner que les contributions italiennes aux missions de l’OTAN sont variables.
Cette identité atlantiste italienne explique pourquoi, traditionnellement, l’Italie a toujours aligné ses politiques de défense sur ses principaux alliés, les États-Unis en tête. Récemment, l’actuel ministre italien de la Défense Lorenzo Guerini a rappelé la relation privilégiée qu’entretient l’Italie avec les États-Unis et l’importance de s’appuyer sur l’OTAN pour faire face aux menaces émergentes. D’ailleurs, au niveau de la défense, l’Union européenne est conçue par l’Italie comme devant complémenter l’OTAN, en reprenant le postulat de la non-duplication et de la non-compétition entre une Europe de la défense et l’OTAN.
Cependant, cet activisme atlantiste commence à s’effriter depuis l’arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis. L’Italie fait en effet face à des États-Unis plus en retrait, sceptiques envers les arrangements institutionnels libéraux et remettant en question l’OTAN. Ces incertitudes quant à la position de son principal allié sont perçues par l’Italie comme un risque pour ses intérêts de politique étrangère et pour le cadre institutionnel global. Malgré cela, le ministre de la Défense italien Lorenzon Guérini a réaffirmé le 22 octobre 2020 lors d’une réunion des ministres de la Défense de l’OTAN l’engagement constant et concret de l’Italie au sein de l’alliance.
Une position pro-russe assumée
De l’autre côté, depuis la Guerre froide, l’Italie s’est toujours perçue comme un médiateur entre l’OTAN et l’Union européenne à l’ouest et la Russie à l’est. L’Italie avait notamment proposé de servir d’intermédiaire entre l’OTAN et la Russie après l’invasion de la Géorgie en 2008 ou encore durant la crise syrienne récente. L’Italie s’est également souvent opposée à l’imposition de nouvelles sanctions contre la Russie. Ces positions amicales envers la Russie sont une constante de la politique étrangère italienne contemporaine, et semblent partagées par l’ensemble de la classe politique. Cependant, certains partis politiques actuellement au gouvernement ou ayant déjà été au gouvernement récemment semblent partager plus que des positions stratégiques amicales envers la Russie. C’est le cas notamment du Mouvement 5 Étoiles et de la Ligue du Nord, deux partis politiques de droite qui possèdent des assises solides dans l’électorat italien.
Matteo Salvini, actuel sénateur appartenant à la Ligue du Nord et ancien ministre de l’Intérieur, voue une véritable admiration pour la Russie de Poutine et parle de la Crimée comme d’un territoire russe libéré en attente de reconnaissance internationale. On peut également voir dans les positions pro-russes de ces deux partis les symptômes du scepticisme envers l’Union européenne. Ces partis politiques italiens vont jusqu’à appeler pour la formation d’une coopération intime en matière de renseignement entre les deux pays, mais aussi pour le soutien de la Russie dans la résolution des crises au Moyen-Orient. De son côté, la Russie reste prudente envers ces déclarations d’amour dans la mesure où ces deux partis politiques se rapprochent parfois de mouvements néo-nazis ou islamophobes. De plus, la Russie est consciente de l’aspect surtout rhétorique du discours populiste italien et que l’Italie dispose de peu d’influence dans la sphère euro-atlantique.
En réalité, le discours pro-russe des partis populistes italiens est d’abord dirigé vers les Italiens, qui semblent de plus en plus pro-russes et de moins en moins pro-américains et pro-européens. Dans un sondage réalisé en mai 2020, 32% des Italiens sondés considèrent la Russie comme un pays ami, pour seulement 17% pour les États-Unis. En avril 2020, la confiance envers l’Union européenne était seulement de 27%. Il y aurait alors une perception chez les Italiens que les relations avec la Russie seraient plus profitables pour l’Italie.
Toutefois, ces politiques étrangères amicales envers la Russie ne doivent pas surprendre. En effet, dès 2015, l’Italie affirme explicitement dans son Livre blanc de la Défense qu’elle allait développer de nouvelles relations avec les puissances émergentes, tout en renforçant ses relations avec ses alliés de l’OTAN et de l’UE. Sur le continent européen, cette position n’a pas changé lorsqu’en 2019, le ministre de la Défense italien affirme que l’objectif de l’Italie est de développer une « double voie », en réaffirmant son engagement envers l’OTAN et la dissuasion sur le front est, tout en ouvrant le dialogue avec la Russie pour amener des relations moins compétitives. Cette posture sera réaffirmée en février 2020 lorsque le ministre italien de la Défense stipule que la Russie est l’un des acteurs clés pour la sécurité coopérative et la protection des intérêts stratégiques de l’Italie. Le ministre en a profité pour rappeler son intention de développer la coopération entre les deux pays, notamment en Arctique et dans la lutte contre la piraterie maritime.
L’acceptation de l’influence chinoise
Le 30 octobre 2019, devant le Parlement italien, le ministre de la Défense affirmait que la croissance rapide de la Chine au niveau militaire représentait une menace pour la sécurité du pays. Pourtant, ce discours est contrasté par les rapports étroits qu’entretiennent l’Italie et la Chine depuis de nombreuses décennies. Si les relations sino-italiennes remontent à la Guerre froide, ce n’est vraiment qu’à partir de 2019 que la politique étrangère italienne s’est véritablement tournée vers l’est. L’Italie est ainsi le premier pays du G8 à appuyer et participer à la nouvelle route de la soie (Belt and Road Initiative) de la Chine, malgré les réticences des États-Unis. L’Italie est maintenant coincée entre Washington et Beijing, entre des garanties de sécurité et des opportunités économiques. En effet, maintenant que les États-Unis semblent exercer un certain retrait du système international et développent une position plus négative envers l’UE, la Chine revient au centre de la carte en Italie. En 2019, le premier ministre Giuseppe Conte affirmait que la Chine allait exercer une influence de plus en plus importante dans le monde, tant au niveau économique que politique.
C’est d’ailleurs ce que craignent les États-Unis. Mike Pompeo a récemment affirmé que l’augmentation des liens économiques et politiques sino-italiens servait la stratégie d’influence globale de la Chine et que celle-ci était en train de profiter de l’Italie. Le ministre des Affaires étrangères allemand a par ailleurs accusé l’Italie de choisir Beijing au détriment de ses alliés occidentaux.
Cependant, c’est sur un autre sujet que les rapprochements avec Beijing risquent de déstabiliser les relations transatlantiques. L’Italie n’a en effet pas banni officiellement l’entreprise Huawei de son réseau 5G. Tout d’abord, Huawei est déjà bien implantée en Italie dans le secteur de la 4G et impliquée dans plusieurs essais pour la 5G. Cependant, l’Italie n’est pas aveugle quant au risque que pose la technologie de l’entreprise chinoise. Le comité sur la sécurité et le renseignement du Parlement italien a d’ailleurs recommandé en décembre 2019 de sérieusement considérer un bannissement de Huawei de l’infrastructure 5G. Par contre, même si l’Italie dispose d’un cadre législatif lui permettant de protéger ses infrastructures essentielles, dont les télécommunications, son application à l’entreprise chinoise dépend largement des volontés politiques qui semblent absentes pour le moment.
Or, les principaux alliés de l’Italie, soit la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis ont fortement insisté sur l’importance de protéger les infrastructures de télécommunications de la 5G de Huawei pour des raisons de sécurité nationale.
Conclusion
Il est difficile de percevoir les intentions de l’Italie dans cette ère de compétition entre les grandes puissances. D’un côté, elle affiche un euro-atlantisme fort, mais de l’autre, elle souhaite des rapprochements avec la Russie et la Chine. Il semblerait que l’Italie alimente l’ambiguïté et cela se perçoit au sein de l’administration américaine. Un officiel américain a en effet affirmé qu’il était difficile de prévoir le comportement de l’Italie.
Or, le désalignement apparent de l’Italie pour se rapprocher de pays illibéraux de l’est risque d’avoir des conséquences importantes sur les relations transatlantiques et pour le Canada. L’Italie, tout comme le Canada, est un contributeur important au sein de l’OTAN, un défenseur de l’alliance et potentiellement un acteur engagé dans l’émergence d’une soi-disant alliance des démocraties sous le leadership des États-Unis de Biden. Un désalignement italien risquerait de fragiliser l’alliance qui est déjà mise à rude épreuve par un désengagement américain et par des frictions internes en Méditerranée. Même si l’arrivée de Biden à la présidence des États-Unis pourrait réconcilier l’Italie avec son activisme atlantiste, le rapprochement italien vers la Russie et la Chine va se poursuivre, confirmant son ambivalence entre l’ouest et l’est.
Plus important encore, l’implication de Huawei dans la 5G italienne risque de fragiliser la coopération en matière de renseignement ou la coopération militaire si le commandement militaire italien utilise la technologie Huawei.
Enfin, l’Italie peut devenir le centre de la propagande et de la désinformation chinoise ciblant l’Occident, notamment par la présence de l’influence chinoise sur le territoire italien, mais aussi par l’accointance de certains partis politiques influents avec les idées illibérales. L’Italie deviendrait alors le maillon faible des liens euro-atlantiques.
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