La communauté internationale n’a pas réussi jusqu’à présent à créer des règles consensuelles et juridiquement contraignantes sur l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique au-delà de celles spécifiées dans le traité de l’espace de 1967. De telles règles réduiraient l’ambiguïté et contribueraient à s’assurer que l’avenir de l’espace soit sûr, pacifique et utilisé au profit de tous. L’ambiguïté est de savoir qui utilise l’espace et à quelles fins, mais englobe aussi la nature des objets présents dans l’espace. Cela est dû en partie aux limites technologiques actuelles, mais aussi au manque volontaire de transparence de la part des acteurs de l’espace eux-mêmes. Il en résulte une incertitude qui suscite l’anxiété, crée des tensions et alimente l’insécurité. Une telle ambiguïté, en l’absence de règles et de normes, a mené des acteurs puissants et des nations spatiales à déclarer que l’espace est « un nouveau domaine opérationnel ». La situation actuelle, si elle n’est pas maîtrisée, est sur le point de compromettre les grands rêves collectifs sur la manière dont l’espace peut profiter à l’ensemble de la communauté humaine.
Leadership canadien
Le Canada peut décidément agir face à cette ambiguïté et contribuer à sécuriser cette nouvelle frontière en expansion constante à des fins pacifiques. Le Canada a été le troisième pays à entreprendre des activités spatiales, il est l’un des premiers membres du Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique (CUPEEA) et il fait partie du programme de la Station spatiale internationale, le tout soutenu par l’industrie spatiale commerciale canadienne, pionnière et avancée. Le Canada a été un leader dans le domaine de l’espace et des technologies connexes, et est bien placé pour être un leader dans le domaine de la sécurité spatiale.
Le Canada peut assurer ce leadership en adoptant des mesures pratiques nationales, de manière bilatérale et en dehors des instruments multilatéraux officiels, afin de promouvoir davantage la paix et la sécurité dans l’espace. Ce faisant et en s’appuyant sur ses obligations internationales actuelles dans ce domaine, il favoriserait la poursuite d’un domaine spatial pacifique.
Mesures à prendre
Dans un environnement de méfiance accrue, des activités bénignes peuvent sembler hostiles. Ainsi, les mesures de transparence et de confiance (MTC) sont un rempart important contre les menaces potentielles qui prolifèrent. Cependant, lorsque le processus des MTC multilatérales est bloqué, le Canada doit assumer sa responsabilité en tant que nation spatiale de premier plan par des actions unilatérales et bilatérales, en plus d’instiguer des mesures pouvant créer un environnement propice au progrès.
Les lignes directrices aux fins de la viabilité à long terme des activités spatiales élaborées et adoptées par le CUPEEA pourraient être mises en œuvre par le biais de la législation afin de créer des normes claires pour, entre autres, l’utilisation durable de l’espace et les évaluations conjointes précédant le lancement. Cette approche présente l’avantage d’exiger des acteurs commerciaux nationaux qu’ils se conforment aux lignes directrices, contribuant ainsi à la formulation et au renforcement des normes relatives à l’espace extra-atmosphérique. Il serait utile de codifier au niveau national certaines de ces lignes directrices – un engagement à développer, par exemple, les capacités spatiales canadiennes de manière à éviter les dommages dans l’espace et à assurer la sécurité des opérations spatiales. Un tel engagement clarifierait ce que le Canada considère comme un comportement acceptable et soulignerait son engagement à respecter les normes juridiques. Les lignes directrices pourraient être mises en œuvre dans le cadre d’une stratégie fragmentaire par domaine thématique tout en les adaptant au contexte canadien.
En plus de publier des informations techniques transparentes, le Canada devrait également formuler une doctrine spatiale approfondie avec des politiques associées afin de mieux contextualiser ses activités spatiales. En fournissant et en adhérant à une politique spatiale publique, le Canada renforcerait la confiance des autres acteurs de l’espace – une question cruciale dans les cas de technologies à double usage (comme les objets co-orbitaux). En l’absence de normes et de standards établis au niveau international, il est très utile que chaque État définisse clairement ses normes d’action, notamment en ce qui concerne les actions qui peuvent être facilement confondues avec des actions hostiles (par exemple, l’approche d’un autre objet en orbite). Le Canada, en divulguant ses standards, apporterait une contribution précieuse à la fondation de normes internationales dans ce domaine. Cette doctrine définirait notamment ce que le Canada entend par la « militarisation de l’espace », un concept généralement contesté à l’heure actuelle, mais aussi ce que le Canada considérerait comme une menace ou un recours à la force contre l’un de ses objets spatiaux, c’est-à-dire les activités qui contreviendraient à la Charte des Nations Unies (art. 2 (4)) et au Traité de l’espace de 1967.
Sécurité spatiale
Le développement et les essais de capacités antisatellites constituent un facteur de déstabilisation continu. Si le Canada souhaite un jour se doter de capacités antisatellites, il doit prendre des engagements clairs par le biais de sa législation nationale. Ces engagements pourraient suivre ceux formulés et proposés par l’Institut des Nations Unies pour la recherche sur le désarmement (UNIDIR) : pas de débris, peu de débris et notification. Une telle législation, en outre, clarifierait la manière dont le Canada réagirait à une menace ou à une attaque antisatellite, ce qui réduirait encore une fois l’ambiguïté et permettrait de définir des normes.
Pour éviter toute ambiguïté dans la nature de ses activités spatiales, le Canada devrait révéler les charges utiles de tous ses lancements et mettre à disposition pour inspection toute technologie à double usage. Cela pourrait se faire unilatéralement ou par le biais d’accords et d’ententes bilatéraux, dans l’idée de jeter les bases d’un régime de surveillance international en appui avec la proposition, vieille de plusieurs décennies, de la création d’une agence internationale de surveillance par satellite (ISMA).
En outre, le Canada devrait faire des efforts au niveau national pour élargir la participation à la discussion et à la formulation de politiques pour une utilisation pacifique de l’espace. Le développement de la technologie spatiale est mené par les acteurs commerciaux et le domaine académique, autant que par les gouvernements. Il est vrai que les entités commerciales privées exacerbent les préoccupations en matière de sécurité en poursuivant le développement de technologies suspectes à double usage. Cependant, ces entités peuvent également faire progresser le développement de capacités de reconnaissance de la situation dans l’espace et ainsi soutenir la conformité et l’établissement de la confiance par le biais d’un dispositif de sécurité coopératif pour les activités spatiales. Il est essentiel que les acteurs commerciaux soient inclus dans la discussion afin qu’ils puissent comprendre les normes qui sont développées, y contribuer, mais aussi les respecter et développer des technologies en accord avec celles-ci. Pour être un leader dans l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique, le Canada doit encadrer et diriger ses puissants acteurs commerciaux.
En élargissant l’éventail des acteurs impliqués dans la sécurité spatiale, il est probable que des solutions significatives, précises et efficaces soient générées pour répondre aux questions de sécurité spatiale. Il s’agit aussi d’une reconnaissance du fait que, dans un avenir proche, les dilemmes de sécurité dans l’espace ne seront pas strictement interétatiques et qu’ils incluront ou encore émaneront probablement des acteurs commerciaux de l’espace.
Ces actions permettront de renforcer la confiance entre les acteurs de l’espace en dissipant les ambiguïtés sur la nature et la portée des opérations spatiales. Alors que la technologie progresse rapidement dans ce domaine, il reste difficile de suivre et de surveiller les objets dans l’espace. Il est donc nécessaire qu’à ce stade les États fournissent volontairement des informations concernant leurs activités spatiales afin de garantir la clarté des intentions et des actions.
Propositions de pistes d’action
Ces actions, ainsi que d’autres qui s’y rapportent, sont décrites dans les propositions suivantes :
- Le Canada devrait s’efforcer, sur le plan national, d’élargir la participation à la discussion et à la formulation de la politique concernant les utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique.
- Le Canada devrait élaborer et rendre publique une doctrine spatiale et les politiques qui y sont associées afin de mieux contextualiser et clarifier ses activités spatiales[1].
- Les lignes directrices aux fins de la viabilité à long terme des activités spatiales élaborées et adoptées par le CUPEEA devraient être mises en œuvre par le biais de la législation[2].
- Le Canada devrait conclure davantage d’accords bilatéraux sur la coopération dans l’exploration et l’utilisation de l’espace à des fins pacifiques, à l’image de l’accord actuel entre le Canada et les États-Unis[3].
- Sur le plan bilatéral, le Canada devrait proposer des projets d’aide technologique et de renforcement des capacités aux programmes spatiaux des pays en développement afin de s’assurer qu’ils disposent des ressources nécessaires à la transparence et au respect des normes.
- Le Canada devrait entreprendre une démarche bilatérale et multilatérale de promotion de l’établissement d’une agence internationale de surveillance par satellite (ISMA).
- Le Canada devrait s’engager à diffuser volontairement le contenu de ses lancements (charges utiles) afin de certifier leur caractère non armé.
- Le Canada devrait faire la promotion, au niveau national, du lien entre les objectifs de développement durable des Nations Unies et la technologie spatiale, ce qui aidera la culture des normes et qui sensibilisera les citoyens à la façon dont l’espace est conceptualisé et utilisé dans la pratique[4].
- Le Canada devrait favoriser l’expertise nationale en matière de défense spatiale afin de la mettre à profit lors de l’élaboration des politiques dans le cadre du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) et en collaboration avec des partenaires européens, par le biais d’initiatives telles que l’Innovation pour la défense, l’excellence et la sécurité (IDEeS).
- En tant que membre de l’OTAN, le Canada devrait plaider pour le développement et la promotion d’engagements communs pour l’utilisation pacifique des satellites entre les membres de l’OTAN. Cela permettrait de renforcer le soutien au projet de Code de conduite de l’Union européenne pour les activités spatiales.
- Le Canada devrait continuer à jouer un rôle de premier plan dans les actes de transparence volontaire par l’intermédiaire des institutions multilatérales. Le Canada a été l’un des rares États à rendre compte de ses activités spatiales par le biais d’un rapport annuel au sous-comité scientifique et technique du CUPEEA.
- Le gouvernement canadien devrait reprendre ses contributions volontaires annuelles à l’UNIDIR[5] et soutenir spécifiquement les conférences sur la sécurité spatiale organisées par l’UNIDIR, en collaboration avec les ONG nationales.
Ces propositions, bien que non radicales, sont pragmatiques et reposent sur des bases techniques solides. Ces changements spécifiques peuvent être intensifiés au fil du temps, tout en contribuant à la formulation de normes et d’une culture organisationnelle claire qui peut être mise à profit. Ces mesures spécifiques sont tirées de l’identification des menaces hautement prioritaires qui peuvent être atténuées par des mesures progressives. Une telle approche permet d’éviter les obstacles désormais bien définis à l’établissement d’une sécurité spatiale multilatérale : la promotion d’accords globaux malgré l’absence de consensus international et la poursuite par certains États d’objectifs géostratégiques qui s’étendent à l’espace extra-atmosphérique.[i]
[i] Veuillez noter que cet article a été préparé à l’origine pour les bourses de recherche pour diplômés 2019-2020 pour Disarmament, Arms Control and Non-Proliferation, un concours annuel organisé par la Simons Foundation en partenariat avec le Programme de recherche et d’information dans le domaine de la sécurité internationale d’Affaires mondiales Canada. L’auteur a été l’un des quatre lauréats en 2019. L’article a été publié à l’origine à l’adresse suivante : https://www.thesimonsfoundation.ca/highlights/2019-2020-graduate-research-awards-disarmament-arms-control-and-non-proliferation-award
[1] L’espace est sporadiquement mentionné dans la politique de défense du Canada de 2017 Protection, Sécurité, Engagement, mais les références ne constituent pas une politique spatiale publique complète.
[2] Le Canada se conforme déjà à certaines directives du CUPEEA par le biais de la loi canadienne sur les systèmes de télédétection spatiale (2005) et de son règlement d’application (2007), qui font d’une méthode claire d’élimination des produits de télédétection une condition préalable à l’obtention d’une licence de satellite, et par l’adoption par l’Agence spatiale canadienne des directives du Comité de coordination inter institutions sur la réduction des débris spatiaux (2012).
[3] Accord-cadre de coopération entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique relatif à l’exploration et à l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques (2009).
[4] « Exploration, imagination, innovation : une nouvelle stratégie spatiale pour le Canada » est un bon début.
[5] Le gouvernement canadien n’a pas apporté de contribution volontaire à l’UNIDIR depuis 2015. Le Canada a fait des contributions volontaires fréquentes, mais pas toujours annuelles à l’UNIDIR entre 1991 et 2015. Le financement de l’UNIDIR est décrit dans le rapport annuel de ses directeurs.
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