Au cours de l’automne 2020, le Réseau d’analyse stratégique a tenu une série d’ateliers en ligne sur les liens entre la COVID-19 et les activités de renforcement des capacités. Dans cette note stratégique, je mets à jour mes précédents travaux sur la base des leçons tirées de ce cycle.
Comment le renforcement des capacités, mais surtout l’assistance à la sécurité et les opérations de formation militaire, a-t-il été affecté par la COVID-19 ? À quoi faut-il s’attendre pour l’avenir ?
- La pandémie a entraîné une réduction des lieux où se déroulent les opérations de renforcement des capacités, certaines missions étant suspendues ou réduites. Le schéma des répercussions semble refléter un équilibre entre les priorités de santé publique et de politique étrangère, réduisant la présence tout en maintenant les opérations considérées comme étant les plus importantes.
- En même temps, les opérations de renforcement des capacités ont réduit l’étendue de leurs activités, y compris dans des endroits qui sont des priorités de politique étrangère. Cela peut indiquer qu’une opération de renforcement des capacités est importante pour l’État expéditeur et qu’elle sera de retour à sa pleine capacité lorsque la pandémie sera terminée.
- Étant donné que les opérations de renforcement des capacités du Canada s’inscrivent dans des cadres multilatéraux, une question clé pour le Canada est de savoir comment la pandémie affectera les opérations de renforcement des capacités des alliés.
- À court et à moyen terme, la pandémie semble limiter la portée des opérations, mais elle n’a pas le dernier mot sur les lieux où se déroulent les opérations de renforcement des capacités. Les alliés du Canada continuent de réagir à des circonstances changeantes ; leurs priorités quant aux endroits où mener des opérations au début de la pandémie ne sont pas les mêmes qu’aujourd’hui.
- À plus long terme, les dommages économiques et les limites qui en découlent pour les budgets de défense peuvent rendre le renforcement des capacités moins attrayant (s’il est considéré comme inessentiel) ou plus attrayant (s’il est considéré comme un bon moyen de poursuivre des intérêts géostratégiques à un coût relativement faible, par rapport à des interventions plus robustes).
- Dans un cas comme dans l’autre, les déploiements alliés sont susceptibles de se recentrer sur des missions essentielles dans des environnements stratégiquement importants, en particulier ceux qui sont axés sur la compétition entre grandes puissances. Cela signifie probablement, entre autres, qu’il y aura une négligence du renforcement des capacités pour les opérations de paix, malgré un besoin évident.
L’assistance en matière de sécurité avant la pandémie
L’assistance à la sécurité a été une activité clé pour les Forces armées canadiennes, de plus en plus depuis la fin de son rôle majeur de combat en Afghanistan. Ce changement s’est fait à l’unisson des alliés du Canada au cours des dix dernières années. Soumis à des contraintes budgétaires après la crise financière de 2008, et réagissant à l’épuisement des déploiements à grande échelle et des opérations de combat au sol, les États-Unis ont particulièrement recentré la façon dont ils abordent la lutte contre l’insurrection, le terrorisme et d’autres défis de sécurité, en cherchant à moins utiliser leurs propres forces et à renforcer davantage les forces des partenaires. Dans le même temps, la Russie et la Chine ont fait sentir de plus en plus leur présence dans le renforcement des capacités, notamment en Afrique subsaharienne.
Dans le domaine du maintien de la paix, le renforcement des capacités est devenu une approche de plus en plus attrayante dans les années 2000. Les États du Nord global sont devenus beaucoup moins disposés à envoyer des troupes de maintien de la paix, surtout après plusieurs missions ayant donné lieu à des controverses très médiatisées et coûteuses. Le développement de l’intérêt pour le renforcement des capacités a également reflété le sentiment que les organisations régionales comme l’Union africaine et leurs membres feraient un meilleur travail de gestion des opérations de maintien de la paix, avec une plus grande adhésion locale et une meilleure compréhension des problèmes de conflits locaux. Une division nord-sud du travail est apparue : les États du Sud fournissent des troupes, tandis que les États du Nord assurent le financement et d’autres types de soutien. Le renforcement des capacités des États du Sud à contribuer aux opérations de paix en fait partie ; par exemple, l’Initiative mondiale pour les opérations de paix des États-Unis a formé quelque 139 000 personnes entre 1999 et 2016, selon la International Military Training Activities Database-USA. Malgré ces chiffres, un degré important de préoccupation a été exprimé quant au fait que les activités de renforcement des capacités existantes étaient trop à court terme et de portée limitée pour s’attaquer à la complexité des opérations de paix contemporaines.
L’impact de ces activités de renforcement des capacités n’est pas clair. Certaines recherches existantes suggèrent que la formation façonne effectivement les normes et les valeurs dominantes des armées locales. D’autres recherches soulignent ses conséquences involontaires, comme le lien entre la participation au programme international d’éducation et de formation militaire des États-Unis et les coups d’État (bien que le jury ne se soit pas encore prononcé sur ce lien). Cependant, encore d’autres recherches suggèrent que le renforcement des capacités n’a probablement que peu d’effet dans la contre-insurrection et le contre-terrorisme en particulier, car tout gain tactique peut être annulé par des problèmes au niveau politique. Cela inclut les conflits entre factions et les autorités locales qui détournent la formation, les armes et les fournitures au profit de loyalistes politiques ou qui ne permettent pas aux officiers et soldats formés d’exercer réellement leur formation. Indépendamment de ces préoccupations, le renforcement des capacités a toutefois été un outil politique populaire, en partie parce qu’il signale une volonté de faire sa part sans assumer un fardeau excessif.
Le renforcement des capacités en période de pandémie : entre santé publique et politique étrangère
La pandémie a ralenti la popularité croissante du renforcement des capacités. Elle a entraîné des changements à la fois dans les lieux où se déroulent les opérations de renforcement des capacités et dans les activités auxquelles elles se livrent. Chacun de ces changements a été motivé par une combinaison de considérations relatives à la santé publique et de priorités de politique étrangère.
La COVID-19 a conduit à un report de certaines activités de renforcement des capacités et à une réduction d’autres. Le Canada est loin d’être seul dans ce cas. Les FAC, aux côtés de leurs alliés de l’OTAN, ont suspendu leurs activités de formation en Irak (NATO Training Mission-Iraq). Le Canada a également réduit ses effectifs en Ukraine (UNIFIER) et a reporté une session de formation au Niger (NABERIUS). De la même manière, les États-Unis ont annulé des exercices dans le monde entier, y compris avec des partenaires clés comme la Corée du Sud et Israël, et le Royaume-Uni a suspendu ses activités de formation au Kenya. Dans le même temps, d’autres États ont maintenu leurs activités de renforcement des capacités, la France ayant notamment gardé l’opération Barkhane au Sahel pleinement opérationnelle, et la Chine ayant souligné qu’un exercice de formation au Cambodge en mars et avril s’était déroulé comme prévu.
Deux facteurs ont sous-tendu ces décisions : la santé publique et les priorités de la politique étrangère.
Premièrement, les conditions locales de la pandémie de coronavirus ont motivé bon nombre de ces décisions. Un exemple extrême a été la décision de l’armée américaine, fin mars 2020, de suspendre toutes les activités de formation dans tout pays désigné comme niveau d’alerte 2 ou 3 par les Centers for Disease Control (CDC). En fait, en situation d’urgence, elle a adopté un critère de santé publique général, délégué à une agence de santé publique, plutôt que de tenir compte des intérêts de politique étrangère pays par pays.
Dans de nombreux contextes, les conditions de santé publique ont en fait permis aux opérations de renforcement des capacités de se poursuivre avec peu de perturbations. L’impact direct relativement limité de la COVID-19 au Sahel a été très remarqué, et comme le souligne Marc-André Boisvert, certaines opérations ont pu se poursuivre avec relativement peu de changements, notamment au Mali.
Deuxièmement, cependant, ces décisions reflètent dans une large mesure les priorités des États formateurs. Une comparaison entre les opérations de renforcement des capacités et les déploiements de dissuasion permet d’illustrer ce point. L’OTAN a suspendu ses activités de formation en Irak le 20 mars 2020. Dans le même temps, elle a maintenu actifs ses déploiements réguliers de présence avancée rehaussée dans les États baltes et en Pologne. La fonction essentielle de l’alliance, après tout, est la dissuasion à l’égard de la Russie, tandis que le renforcement des capacités d’une armée partenaire dans un lieu « hors zone » comme l’Irak est une priorité importante, mais secondaire. Les forces américaines en Somalie, selon Louis-Alexandre Berg, se sont concentrées sur leurs opérations cinétiques qui semblaient d’importance immédiate, tout en suspendant leurs activités de renforcement des capacités à long terme.
Par conséquent, le fait de maintenir certaines missions de renforcement des capacités essentiellement inchangées a démontré un engagement. Dans certains cas, il semble que c’était voulu ainsi. La Chine a montré assez publiquement qu’elle maintenait son opération de formation au Cambodge, alors même qu’une grande partie de son propre pays était fermée en raison de la pandémie. Cela a eu deux effets : montrer son engagement envers un partenaire et montrer qu’elle — et le Cambodge — n’étaient pas particulièrement préoccupés par le virus.
Certains des choix du Canada ont montré ses propres priorités. Par exemple, le 26 mars 2020, le jour de l’annonce du retrait de l’opération UNIFIER, la Lettonie comptait plus de cas confirmés de COVID-19 que l’Ukraine. En maintenant REASSURANCE en Lettonie tout en réduisant temporairement UNIFIER en Ukraine, le Canada a indiqué que le renforcement des capacités en Ukraine n’était pas aussi important pour lui que la dissuasion et la préparation en Lettonie. Quelle que soit l’intention, le signal est vraisemblablement le suivant : une interprétation simple, qui reflète l’engagement du Canada envers la Lettonie en tant que membre de l’OTAN.
Dans une version plus sombre d’une logique similaire, cependant, de nombreuses activités de formation à court terme pour les opérations de maintien de la paix se sont arrêtées avec la pandémie, comme le souligne Arthur Boutellis : pour les pays donateurs du Nord, c’était un risque de trop. Mais le fait que d’autres déploiements pour le renforcement des capacités—en dehors du domaine des opérations de paix—ont été maintenus suggère que les États étaient prêts à prendre certains risques et à adapter leurs efforts si la priorité était suffisamment forte. La conclusion désolante est que le renforcement des capacités des opérations de maintien de la paix n’a pas souvent été retenu, ce qui reflète la tendance pré-pandémique au court terme et au déclin du soutien à ce type d’opérations.
Cela permet également de rappeler que les considérations centrales des opérations de renforcement des capacités du Canada sont ce que font ses partenaires multilatéraux. Ces opérations se déroulent presque toujours dans un cadre plus large, qu’il s’agisse de l’ONU, de l’OTAN ou d’un partenariat ad hoc. La décision du Canada en Irak s’inscrivait dans une décision plus large de l’OTAN. Cela reflète le poids des engagements au sein des alliances dans les décisions du Canada de participer à des opérations de renforcement des capacités; l’établissement de relations avec des pays hôtes spécifiques comme l’Irak est moins important.
Adapter les opérations de renforcement des capacités
Parallèlement à la réduction des effectifs de certaines missions, les opérations de renforcement des capacités se sont partout adaptées à la pandémie en modifiant leurs pratiques quotidiennes. Les considérations de santé publique ont modifié ce que les opérations étaient en mesure de faire. Comme le souligne le Lcol Pierre Leroux, l’opération UNIFIER, par exemple, a établi un système de code de couleurs pour indiquer l’état de la pandémie dans différents sites en Ukraine, ce qui a influencé ses décisions quant aux endroits où envoyer le personnel des FAC afin de limiter leur exposition. Selon la Mgén Jennie Carignan, la mission d’entraînement de l’OTAN en Irak a dû apprendre rapidement à s’adapter à l’impact du virus, et a développé un plus grand degré d’efficacité au fil du temps en apprenant de meilleures pratiques de santé publique.
Enfin, comme l’explique le Maj Audrey Hudon, les FAC dans leur ensemble ont dû adapter leur approche en matière de santé mentale à leur personnel pour faire face aux nouvelles réalités du déploiement dans le cadre de la COVID-19, par exemple avec la gestion de la suspension des congés à mi-déploiement et les difficultés de la quarantaine avant et après le déploiement pour le personnel et leurs familles. Une grande partie du soutien en matière de santé mentale a également dû être assurée par des plateformes numériques. Le personnel féminin des FAC a, en particulier, été confronté à des défis découlant de la pression exercée sur elles pour qu’elles jouent un rôle d’organisatrices du milieu familial dans le contexte d’une perturbation importante des routines domestiques pendant la pandémie.
L’une des conséquences les plus importantes pour les déploiements des FAC a été la limitation des contacts en personne. Tout déploiement doit essayer de se faire accepter par la population locale du pays hôte ; cela est aussi vrai pour un déploiement axé sur la dissuasion comme l’opération REASSURANCE en Lettonie que pour une mission de formation comme l’opération UNIFIER. En général, le contact direct en personne peut y contribuer. Toutefois, en cas d’urgence sanitaire, la limitation des contacts peut améliorer la confiance en montrant clairement qu’une mission ne constitue pas une menace pour la santé publique. Comme l’explique Carla Martínez Machain, les éclosions de COVID-19 sur deux bases des Marines américains à Okinawa, par exemple, ont suscité des inquiétudes locales quant au déploiement. Cependant, dans le cadre des opérations de renforcement des capacités, les contacts face à face limités ont également rendu plus difficile l’établissement de relations entre les FAC et les forces armées partenaires.
Sous cette contrainte, les opérations de renforcement des capacités ont changé de cap pour se concentrer sur ce qu’elles sont en mesure de faire. Le Lcol Leroux note que l’opération UNIFIER s’est réorientée pour se concentrer sur l’aspect administratif, par exemple sur les standards de formation. Selon Stéfanie von Hlatky, la formation en matière de genre à l’OTAN s’est recentrée de la formation de ses armées partenaires, comme l’armée irakienne, vers l’amélioration des pratiques de genre de l’alliance elle-même. Mody Berethe, directeur de l’École de maintien de la paix de Bamako, explique que son organisation s’est tournée vers l’enseignement à distance et a proposé davantage de cours aux forces armées et policières locales afin d’améliorer leurs propres pratiques pour les opérations nationales, en adaptant le programme pour y inclure des cours sur le terrorisme et les droits humains.
Le souci, bien sûr, est que les opérations de renforcement des capacités finissent par dénaturer les activités d’une mission, en empêchant certaines activités importantes et en concentrant les efforts sur les activités restantes. Mais d’un autre point de vue, il n’y a tout simplement pas beaucoup de choix.
En d’autres termes, dans les domaines qui les concernaient le plus, les États formateurs, dont le Canada, ont tenté de maintenir leurs opérations dans la mesure du possible, mais ont été limités dans ce qu’ils pouvaient faire. Les officiers qui ont fait des présentations lors des ateliers sur le renforcement des capacités ont laissé entendre que la bonne volonté accumulée au fil du temps se poursuivra probablement, envoyant un signal aux pays bénéficiaires que les FAC sont présentes malgré la pandémie et qu’elles reprendront leurs opérations à pleine capacité avec toute la gamme d’activités de renforcement des capacités lorsque ce sera sécuritaire de le faire. Il s’agit d’un signal d’engagement nuancé, mais compte tenu des préoccupations très réelles en matière de santé publique liées aux déploiements, c’est probablement le signal le plus efficace à envoyer.
Le corollaire est qu’avec la course permanente entre les campagnes de vaccination et les taux d’infection, en particulier avec les nouvelles variantes de la COVID-19 et dans les zones où l’infrastructure sanitaire est fragile, les opérations auront la délicate tâche de déterminer jusqu’où elles peuvent s’ouvrir. Il s’agit d’un processus qui devra être guidé par la négociation entre le Canada, ses partenaires multilatéraux et les bénéficiaires afin de maintenir une confiance mutuelle.
Les impacts de la COVID-19 sur le renforcement des capacités à court et moyen terme
Étant donné que les efforts de renforcement des capacités du Canada s’inscrivent dans le cadre d’efforts multilatéraux plus vastes, la question clé pour l’avenir est de savoir ce que vont faire ses partenaires en formation, comme ses alliés de l’OTAN. Pour se faire une idée de la situation, il faut poser quelques hypothèses sur la pandémie et ses effets globaux. Les propositions suivantes semblent être des hypothèses raisonnables :
- La pandémie va perturber le monde pendant des années. Il y a la course entre les déploiements de vaccins et les nouvelles infections, et la distribution de vaccins dans le monde en développement risque d’être très lente alors que les pays riches comme le Canada et les États-Unis s’arrachent les stocks.
- Les responsables politiques du monde entier tenteront de trouver des moyens de prévenir la prochaine pandémie et de s’y préparer, par exemple en faisant preuve d’une plus grande vigilance, en faisant plus attention aux voyages et aux chaînes d’approvisionnement, et en étant plus disposés à adopter des restrictions d’urgence plus rapidement lorsqu’une nouvelle épidémie se déclare.
Il existe en outre la sinistre possibilité que la COVID-19 et ses variantes deviennent endémiques, d’autant plus que certaines variantes sont résistantes aux vaccins actuellement disponibles et que la circulation du virus est telle que de nouvelles mutations sont inévitables. Ce que les gouvernements vont faire pour répondre à cette situation n’est pas clair. Beaucoup d’entre eux pourraient décider de s’en accommoder : avec la perspective que les restrictions de santé publique ne peuvent pas mettre fin à la crise, ils pourraient simplement renoncer à essayer. Mais le caractère endémique de la COVID-19 pourrait signifier une incertitude permanente pour les années à venir.
Ces suppositions impliquent que la préoccupation concernant les opérations de renforcement des capacités ne disparaîtra pas. Il pourrait bien y avoir à l’avenir des vagues de suspension d’opérations et de réduction des activités pour les missions existantes.
Il existe des mesures d’atténuation que le Canada et d’autres États ont déjà mises en place et peuvent appliquer plus largement, comme la mise en quarantaine avant le déploiement, les contrôles sanitaires intensifs et la limitation de certaines activités de formation. Mais une grande partie de ces mesures dépendront de la confiance entre l’État formateur et le gouvernement hôte, et de l’assurance que chacun suivra des pratiques de santé publique rigoureuses. Le Canada devra négocier les termes des protocoles sanitaires de ses missions avec les partenaires locaux afin de maintenir la confiance des pays bénéficiaires et des partenaires multilatéraux. Sinon, le soutien à ces déploiements diminuera tant au Canada que dans le pays bénéficiaire.
Même dans ce cas, rien ne garantit qu’une opération de renforcement des capacités sera mise en œuvre. Les voyages et les interactions apparemment inutiles se heurteront à un scepticisme généralisé pendant un certain temps. En cas d’épidémie locale, les opérations futures pourraient facilement être suspendues à tout moment.
Quel sera le schéma général du renforcement des capacités au cours de l’année à venir ? Dans la version précédente de cet article, je prévoyais que le renforcement des capacités serait moins important dans un avenir proche et qu’il serait concentré sur les priorités essentielles. Plus précisément, je prévoyais que l’OTAN se détournerait du renforcement des capacités dans des contextes de contre-insurrection comme l’Irak, afin de mieux concentrer ses capacités sur ses missions essentielles. Je prévoyais également quelques exceptions, comme le fait que la France maintiendrait son attention sur le Sahel. J’ai fondé ces prédictions sur la suspension des activités de formation de l’OTAN en Irak et sur le maintien de l’opération Barkhane malgré la pandémie.
J’avais tort sur les deux points. La France cherche à réduire sa présence dans le Sahel, tandis que l’OTAN a annoncé une expansion spectaculaire en Irak, passant de 500 à 4 000 personnes. Cela suggère soit que mon analyse initiale de ces décisions en tant que signaux de priorité était erronée, soit qu’elle était globalement correcte, mais pas particulièrement utile pour prédire comment les priorités allaient changer à l’avenir. Quoi qu’il en soit, ma prédiction audacieuse n’est pas aussi utile que je le pensais. Il semble au contraire que la pandémie soit désormais un facteur parmi d’autres à prendre en compte, plutôt qu’une force qui pousse les États à se concentrer uniquement sur leurs objectifs les plus importants.
La tâche immédiate du Canada est de décider du renouvellement de l’opération IMPACT après la fin mars 2021, date à laquelle elle doit prendre fin. L’opération IMPACT permet au Canada de poursuivre son rôle dans la coalition contre l’État islamique et surtout dans la mission de l’OTAN en Irak, étant donné les nouveaux plans d’expansion de l’alliance. Le Canada perdrait certainement sa crédibilité au sein de l’alliance s’il ne parvenait pas au moins à renouveler une mission déjà en cours. Toutefois, compte tenu de la menace persistante de la pandémie, la probabilité d’une nouvelle demande importante de renforcement des capacités après cela n’est probablement pas très élevée.
Du moins, c’est probablement ce qui est souhaité à Ottawa – que l’on ne demande pas au Canada d’en faire beaucoup plus. La pandémie a créé des tensions générales importantes sur le personnel. Les opérations LASER et VECTOR sont devenues une préoccupation majeure des Forces armées canadiennes, exigeant beaucoup d’efforts de la part des FAC : quelque 24 000 militaires étaient disponibles à différents moments pour l’opération LASER, à divers titres. Comme le conclut l’étude de Stéphanie Bélanger, l’opération LASER a posé des défis uniques au personnel des FAC. De plus, la COVID-19 a fait reculer la formation et le recrutement, laissant les FAC à court de troupes. Le gouvernement du Canada pourrait être confronté à des choix encore plus difficiles que d’habitude, à savoir s’il doit dire non à ses alliés ou si les FAC sont trop sollicitées.
Conséquences à plus long terme des pandémies : le renforcement des capacités et la COVID-19 dans un contexte géostratégique changeant
L’analyse des impacts probables de la COVID-19 à plus long terme nécessite des hypothèses plus larges. Les propositions suivantes semblent réalistes :
- Avec les conséquences économiques et sociales de la COVID-19, il y aura une pression importante et croissante pour réduire les budgets militaires, bien que ces réductions puissent être reportées pendant un certain temps grâce à un financement déficitaire en raison des faibles taux d’intérêt.
- La concurrence géopolitique entre la Chine, la Russie et les États-Unis va s’aggraver.
Malheureusement, ces hypothèses ne permettent pas encore de prédire clairement comment les autres États s’engageront dans le renforcement des capacités. Deux scénarios sont plausibles, découlant des deux premières hypothèses. Premièrement, les réductions peuvent affecter les opérations de renforcement des capacités de manière disproportionnée, car elles peuvent être considérées comme non essentielles par rapport à d’autres fonctions de défense (en plus des risques pour la santé publique de mettre les membres des services armés de différents pays en étroite proximité les uns avec les autres).
Cependant, les opérations de renforcement des capacités pourraient au contraire gagner en popularité au cours des prochaines années, en particulier si la rivalité géostratégique s’intensifie et que les intérêts des États-Unis et d’autres États se heurtent dans un grand nombre de pays différents. Les préoccupations relatives aux budgets de la défense pourraient en fait épargner le renforcement des capacités, voire le rendre plus attrayant, tout comme les limites des ressources ont contribué à faire passer les missions anti-insurrectionnelles à grande échelle au renforcement des capacités dans les années 2000 et 2010. Les grandes puissances qui poursuivent des rivalités géopolitiques peuvent chercher des moyens relativement peu coûteux, qui n’engagent pas leurs forces dans des interventions directes coûteuses, dangereuses et potentiellement déstabilisantes. Le renforcement des capacités des mandataires locaux pourrait être un tel outil politique, attrayant pour des États comme la Chine, la Russie, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni qui cherchent à affirmer leur pertinence et leur influence dans divers pays. Dans ce scénario, les alliés du Canada sont susceptibles de demander au Canada de faire davantage de renforcement des capacités. Cela place le Canada dans une situation difficile, car sa propre capacité de renforcement des capacités souffrira de budgets limités dans les années à venir.
Malheureusement, le renforcement des capacités des opérations de maintien de la paix risque de souffrir d’un intérêt et de contributions limités. Comme indiqué, avant la pandémie, le renforcement des capacités faisait partie d’une division du travail nord-sud plus large. Cependant, il était de plus en plus difficile de savoir si le Nord tenait sa part de ce qui était déjà un arrangement profondément critiqué : le financement des opérations de maintien de la paix de l’ONU avait diminué au cours des années précédant la pandémie, comme le note Linnéa Gelot. Compte tenu des fortes contraintes budgétaires, il est malheureusement probable que les opérations de paix poursuivent leur déclin. Cela pourrait également avoir un impact sur les investissements nécessaires à la formation et au renforcement des capacités en matière de maintien de la paix, notamment pour passer au type de modèle à long terme que nous avons vu dans les activités de renforcement des capacités avec des partenaires bien établis dans d’autres contextes. Si l’un des effets de la récession mondiale est d’aggraver les difficultés, les inégalités et les tensions sociales dans les pays en développement, les problèmes auxquels les opérations de maintien de la paix sont confrontées pourraient s’aggraver en même temps que leur capacité à y répondre diminuerait.
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